 Piero della Francesca, Légende de la vraie croix.
Rencontre de la reine de Saba et du roi Salomon.
Détail.
JE SAVAIS QUE JE CONNAISSAIS CETTE FEMME
[Dans un compartiment de train, entre Montevarchi et Florence]
Pour la première fois, je remarquai la femme assise en face de moi, dans le sens de la marche, immobile, le regard tourné vers le paysage en fuite. […] Avant toute chose, je perçus un silence qui n’était pas naturel. Je commençai à la regarder attentivement et quelque chose se mit aussitôt à remonter en moi, quelque chose d’ancien qui m’appartenait et qui, au milieu d’un silence sans limite, me rapprochait d’elle, mais aussi de la terre et du soleil. Je savais que je connaissais cette femme et je sentis le silence qui l’entourait se propager en moi, autour de moi, et croître à l’infini comme une chose bien connue. Je ne parvenais pas à l’identifier, bien que sa force enfouie dans le passé m’eût déjà poussé en profondeur sur sa trace et la mienne. Enfin je la reconnus. Je l’avais vue debout, couverte d’un manteau, près de la reine de Saba, là où celle-ci adore à genoux le petit pont de bois sur la fresque de Piero della Francesca à Arezzo. C’était elle, elle n’avait pas changé. […] Je vis qu’elle percevait tout cela et me regardait tandis que je continuais à la regarder. Le train filait toujours très vite, glissant presque, dans l’air vif et lumineux.
Mario Luzi, Trames [Trame, Rizzoli, Milano, 1982], éditions Verdier, 1986, pp. 18-19. Traduit de l'italien par Philippe Renard et Bernard Simeone.

TRAMES
Je parle ici d’un livre étrange. Un livre que je n’ai ni acheté ni volé, mais qui m’a été offert. Pas par un(e) ami(e) proche, ni par mon compagnon. Mais par une libraire. Une libraire parisienne qui affiche haut et clair sa dilection pour Calaferte, et plus secrètement pour Louis-Combet.
En fait cet ouvrage, je le convoitais depuis un bon moment. Je le humais. Je m’étonnais de son air jauni, de sa reliure compassée. Déjà le copyright me semblait remonter presque « à l’andegari » comme l’on dit à Marseille (non, j’exagère, le copyright est de 1986). Et en plus, ce livre m’était un peu suspect, car il avait été publié avec le concours du ministère italien des Affaires étrangères. Cautionné par le Quai d’Orsay italien. Ce ministero degli Affari Esteri qui trône sur le Piazzale Farnesina à Rome. Bon, vous l’aviez déjà compris. C’est un ouvrage italien. Mais qui n’a pas son véritable équivalent en Italie. C’est un compendium à la française. Il s’appelle Trames. Son auteur est Mario Luzi. La libraire savait que j’aimais Luzi. Mais aussi que l’ouvrage resterait encore quelques années sur ses rayonnages. Elle a préféré me donner l’ouvrage. Je lui ai bien rétorqué qu’en procédant ainsi, elle n’allait pas s’enrichir. Mais elle m’a répondu que si elle avait choisi ce métier, ce n'était pas pour s’enrichir. Elle aimait les livres et elle voulait les faire aimer.
Eh bien, moi, je n’ai pas pu lire cet ouvrage tout à fait comme les autres. Il n’avait pas le même parfum. Je lui ai trouvé de la tendresse. Mais ce Luzi, vous le connaissez. J’en ai souvent parlé sur Terres de femmes. Il est mort il y a quinze ans, le 28 février 2005, à l’âge de 90 ans. Dans sa ville de Florence. Oui, c’était un Florentin, mais un Florentin francophile spécialiste de Mauriac, qui a frayé avec les poètes hermétistes (Carlo Bo, Piero Bigongiari, Salvatore Quasimodo, ...). Mais saviez-vous qu’il a aussi été un dramaturge et un essayiste ? Mais c’est moins d’un essai qu’il s’agit ici que d’instants de vie. Une sorte de relation contemplative, intime, presque silencieuse. Qui parle certes du monde qui l’entoure (Florence, la Toscane, l’Ombrie, Volterra, le Monte Amiata, Sienne et son Campo), mais aussi de la part féminine qui se cache derrière ce monde. Mario Luzi parle aussi de sa sérénité face à la mort. Le tout avec des mots simples, mais subtils, raffinés. Comme si après un long parcours difficultueux, Luzi avait renoué avec le monde de l’enfance. Un livre qui a la luminosité et la douce brillance de certains cailloux après la pluie.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
______________________________
Note d’AP à l’attention de Martin Rueff : peut-on espérer que Trames (épuisé depuis de nombreuses années) redevienne à nouveau disponible ?

|
Quelques compléments ICI à propos de la reine de Saba à Jérusalem.
Rédigé par : Fran | 09 janvier 2009 à 14:43