Refusant de regarder la mort en face, pourtant omniprésente dans ce récit, j’avais gardé en mémoire le titre moins noir et plus exotique
L’Amour en Perse. J’avais commencé d’écrire lorsque j’ai pris conscience que c’était bien de mort qu’il s’agissait et non d’amour.
Tod in Persien.
Image, G.AdC
Si l’amour existe sous la forme d’une rencontre, celle de la narratrice avec la jeune Yalé, la mort prédomine dans ce récit de voyage intérieur, et l’emporte sur l’amour. « Ange inconsolable » selon l’expression de Roger Martin du Gard, Annemarie Schwarzenbach (1908-1942) hante de son désespoir les terres désertiques qu’elle a arpentées au cours de l’année 1935. La mort rôde autour d’elle, relayée par la peur. La mort sous toutes ses formes, mort d’un passé historique hors du temps, exécutions, razzias et meurtre, incendie de l’ancienne Perse de Darius assassiné. Mort présente de la belle et tendre Yalé. La mort est là, vaste cimetière à l’entrée de la ville et ruines de Raghès d’où la narratrice exhume tessons et crânes, enfouis sous les sables d’un passé détruit. Tout, dans ces vastes étendues monotones, saccagées jadis par les cruelles incursions mongoles, traduit la présence de la mort. Jusqu’au fleuve noir qui, au pied du mont Demavend, roule ses eaux inquiétantes.
Source
En Perse, la mort est accompagnée de son cortège d’angoisses, de peurs incompréhensibles qui assiègent le corps et l’âme de la narratrice. Peur de la fièvre et de la malaria. Qui monte et désempare. Peur de la chaleur intolérable qui cloue le corps, abasourdi sous la tente. Peur des vents du désert qui déplacent les collines, peur de la montagne et de la nuit. Peur envahissante et destructrice qui anéantit la narratrice.
En proie au désespoir le plus profond, la jeune archéologue est à bout de forces. Elle a fui l’Europe, une famille qui ne la comprenait pas, une mère possessive dont elle voulait se libérer, des amis qu’elle chérissait trop. Elle n’a trouvé sur les pistes de la Perse que la peur et la mort. La mort et la peur. Incapable de quitter le vaste pays, elle l’est tout autant d’y rester. Jusqu’à la dernière page, Annemarie Schwarzenbach lutte pour trouver la force de survivre. Désespérément seule dans sa nuit, elle s’arrime au mât de la mort.
Récit très émouvant, La Mort en Perse dilue au fil des pages, mêlé aux images sublimes de paysages inscrits de tout temps dans notre mémoire, un sentiment confus de malaise étouffant. D’une « inquiétante » et belle « étrangeté ».
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
D'un lien à l'autre, d'une page des "carnets de marche" à l'autre, j'ai cueilli pour vous dans L'Irréversible et la Nostalgie cette méditation sublime de Jankélévitch. C'est dans le chapitre VI : La nostalgie.
" La nostalgie est une mélancolie humaine rendue possible par la conscience, qui est conscience de quelque chose d'autre, conscience d'un ailleurs, conscience d'un contraste entre passé et présent, entre présent et futur. Cette conscience soucieuse est l'inquiétude du nostalgique. Le nostalgique est en même temps ici et là-bas, ni ici ni là, présent et absent, deux fois présent et deux fois absent ; on peut donc dire à volonté qu'il est multiprésent, ou qu'il est nulle part : ici même il est physiquement présent, mais il se sent absent en esprit de ce lieu où il est présent par le corps ; là-bas, à l'inverse, il se sent moralement présent, mais il est en fait et actuellement absent de ces lieux chers qu'il a autrefois quittés. L'exilé a ainsi une double vie, et sa deuxième vie, qui fut un jour la première, et peut-être le redeviendra un jour, est comme inscrite en surimpression sur la grosse vie banale et tumultueuse de l'action quotidienne ; l'exilé tend l'oreille pour percevoir le pianissimo des voix intérieures à travers le vacarme tonitruant de la rue ; ces voix intérieures, ce sont les voix du passé et de la ville lointaine, et elles chuchotent leur secret nostalgique dans la langue de la musique et de la poésie."
Rédigé par : Christiane | 11 août 2009 à 11:25