Il y a quatre-vingt-trois ans, naissait à Oran, le 5 juin 1937, Hélène Cixous.
Née à Oran, Hélène Cixous vit son enfance en Algérie. Marquée par la guerre, elle vit la mort prématurée de son père, originaire d’Afrique du Nord, comme un traumatisme profond, qui lui inspire son roman Dedans. Pour lequel elle obtient en 1969 le prix Médicis. La même année, Cixous fonde la revue Poétique. En collaboration avec Tzvetan Todorov et Gérard Genette. Professeur de littérature anglaise à Vincennes, Cixous est aussi traductrice. De Joyce, en particulier, auquel elle a consacré sa thèse de doctorat. Auteur de nombreux essais et romans, consacrés à la gloire et à l'exaltation de la féminité, Hélène Cixous élève la femme au rang des grandes héroïnes mythologiques. Elles ont pour nom Ananké, Promethea, Jocaste. Sans cesse interrogeant la naissance du désir. Mais aussi les souffrances et les angoisses propres aux femmes. En février 1976, Hélène Cixous signe son entrée en dramaturgie avec Portrait de Dora, joué pour la première fois au Théâtre d’Orsay par la Compagnie Renaud-Barrault. Dans une mise en scène de Simone Benmussa. Hélène Cixous aborde ainsi de plain-pied le théâtre par la psychanalyse, sa pièce mettant en scène Freud en personne. Et Dora (Ida de son vrai nom), la jeune patiente hystérique dont il s’occupe dans les années 1900. Dans cette pièce, où se côtoient scènes de la vie réelles et scènes de la vie rêvée, les promesses d’amours possibles se croisent dans l’imaginaire des personnages. Dès la première didascalie, « La voix de la pièce » déclame : « …Ces événements s’annoncent, comme une ombre, dans les rêves, ils deviennent souvent si distincts qu’on croit les saisir d’une façon palpable, mais, malgré cela, ils échappent à un éclaircissement définitif, et si l’on procède sans habileté ni prudence particulière, on ne peut arriver à décider si une pareille scène a réellement eu lieu ». En 1985, la collaboration étroite d’Hélène Cixous avec Le Théâtre du Soleil conduit l’écrivain de l’exploration de la scène de l’inconscient à l’exploration de la scène de l’Histoire. Elle compose pour Ariane Mnouchkine de grandes fresques telles que L’Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge (1985). Ou encore L’Indiade (1987), dont le sujet porte sur Gandhi et sur les questions de l’indépendance indienne. L’écriture théâtrale ne détourne nullement l’écrivain d’autres formes d’écriture. Car, quel que soit le champ notionnel pour lequel se passionne l’auteur (Rêve je te dis, L'Amour du loup et autres remords,...), celle-ci continue d’explorer sans relâche ce qui est au centre de ses recherches, l’écriture. Et la relation étroite que l’écriture entretient avec certaines interrogations fondamentales dont « l’énigme invivable de la relation homme-femme ». Chez cette grande intellectuelle, la réflexion sur l’écriture rejoint en permanence la réflexion sur le désir féminin. Une symbiose risquée mais parfaitement aboutie. Angèle Paoli D.R. Texte angèlepaoli EXTRAIT : LE LIVRE DE PROMOTHEA « …Tout devient bonheur. Je suis un peu malheureuse de n’avoir pas eu le temps de rester le matin allongée sur ton corps, quand les heures du jour sont rapides comme des minutes, et ensuite de rester l’après-midi plongée entre tes cuisses quand les minutes sont grosses comme des heures, je suis un peu malheureuse de cela, et de cela je suis heureuse. Tout nous donne du bon malheur… Elle est revenue. J’avais tout imaginé si précisément, j’avais imaginé ton premier regard, j’avais vu le feu de ton sourire tourné vers moi comme le regard qui s’élance depuis l’éternité, j’avais imaginé ton corps, exactement, depuis le brasier des cheveux jusqu’aux souliers, j’avais imaginé ta couleur, ta taille exacte, l’allure de ton pas. J’étais donc sûre que rien de ce que j’avais imaginé ne se réaliserait. Mais tout a été exactement comme je l’avais imaginé. C’était bien toi. C’était bien mon rêve, c’était pourtant bien la réalité. » Hélène Cixous, Le Livre de Promethea, Gallimard, 1983, page 159 |
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bonjour, comme vous j'ai accompagné Annie Leclerc dans sa dernière demeure au cimetière Montparnasse vendredi dernier, triste,... notre enfance, nos jeux d'enfants tout m'est revenu en mémoire... Sceaux... nous habitions dans des maisons côte à côte... sa maison était la mienne, la mienne était la sienne...je vous dit tout cela pour me présenter ...auriez-vous la gentillesse, si ce n'est pas trop vous demander, de m'adresser l'éloge que vous lui avez rendu ce vingt octobre 2006 par cette triste journée. Meilleurs sentiments. Mado
Rédigé par : rouquette | 24 octobre 2006 à 20:44
Bonsoir Mado,
Je ne peux, hélas, répondre à votre requête, car je ne suis pas Hélène Cixous. Je l'eusse fait volontiers si cela avait été le cas.
Amicizia,
Angèle
Rédigé par : Angèle Paoli | 25 octobre 2006 à 19:48
5 juin : Hélène Cixous fête ses soixante-dix ans
EXTRAIT de Hyperrêve
« Je serai cette peau demain. Sans doute je préfère le dos. Si je m’en tiens au dos, il a une délicatesse sans âge. La peau est d’un blanc légèrement rosée avec une touche de jaune paille très légère. Au milieu du dos et jusqu’à la taille un semis de taches d’un rose plus vif marbre l’épiderme, puis la peau reprend sa liberté et sa finesse sur les fesses.
Toute la vieillesse est dans les jambes. L’affaissement, la corrugation, le ravinement, la fronçure du tégument des cuisses, les tuméfactions, les traces de coups violents portés par l’âge, le tuyauté artériel, il n’y a pas de doute, c’est la vieillesse humaine
J’oins ma vieille heaulmière je me confesse
Je serai cette peau demain
Et l’oignant je cultive les temps, les étale à deux mains l’un sur l’autre le sien le tien le mien le nôtre, je broute et je rumine l’avenir, la vieillesse heaulmière, elle est en parfaite santé
Sauf la Maladie extraordinaire, qui d’ailleurs n’est pas une pure et simple maladie, mais un avis de la mort, un simple appel de l’administration vitale, une maladie circulaire ou une circulaire malade quasiment réservée aux personnes d’un très grand âge qui sont toujours en bonne santé donc à presque personne. Seuls sont concernés les êtres qui vont vers leur centième année, sans cette Maladie leur excellente santé leur monterait à la tête, c’est une maladie pour sceptiques rarissimes. N’étant accueillie que par une proportion infime de la population elle est naturellement orpheline. La plupart des médecins meurent sans l’avoir jamais vue. C’est une curiosité, qui confine jusqu’à l’horreur pour moi, à la représentation que je ne veux pas avoir du travail de l’administration décomposante sur le corps de ma mère, je ne veux pas le savoir,
on nous demande de verser des arrhes, je réclame, je refuse, je prends le parti de la peau de ma mère aidée par la parfaite santé de ma mère et sa force de résistance radicale aux représentations horribles, l’inflexibilité de son imagination, la raideur de sa raison qui s’est toujours dressée comme une muraille d’acier devant les divagations, surtout les miennes, les hallucinations, le fait indéniable de l’existence de fantômes, spectres, ombres, qu’elle nie sans l’ombre de dénégation, ma mère est une forteresse terrestre, elle ne voit que le visible descriptible. L’invisible, l’imprévisible, tout ce qui immine et se prépare, derrière, dessous, sur les côtés, au-dessus, allusions, analogies, suggestions, insinuations, coïncidences, symptômes, aucune des puissances sans visage propre qui me palpitent le cœur ne l’intéresse
sa Maladie non plus, même cette Maladie pourtant dernière et indéniablement monstrueuse et terrifiante et dont je n’ai pu lire la description en anglais qu’en sentant mon âme cringe devant l’âpreté et la densité des messages hyper menaçants et maléfiquement métaphoriques, la description n’existant qu’en anglais et dans des publications scientifiques de recherche très spécialisées, car cette maladie est si rare, ne s’adressant qu’à une personne sur un million, la presque centenaire en excellente santé, personne qui, sans cette maladie, pourrait se croire en vue de la non-mortalité, qu’elle n’a aucune valeur marchande mondiale et aucun intérêt même pour l’appétit particulier à la recherche, puisqu’elle ne concerne qu’une personne sur un million et une personne par définition de très courte durée.
Tout compte fait me dis-je, en tapotant avec une sorte de hardiesse acquise la vésicule crevée sous l’aisselle gauche de la dimension d’une huître, c’est à moi que cette maladie s’adresse indirectement et directement à moi en tant que ma mère à venir et à moi en tant que gardienne de ma mère présente, c’est à moi que toutes ces lèvres flétries ridées adressent depuis leurs cuvettes purulentes leurs récriminations et leurs regrets, ma mère est sourde, elle ne s’écoute pas, elle a une force diminuante innée à l’endroit de tous les événements fastes et néfastes également, d’où sa longévité et par conséquent cette maladie ultime, réservée à des cas comme le cas maternel. Si je lui disais que ses crevasses et ses vésicules parlent, d’ailleurs toutes les ouvertures des corps ont toujours parlé depuis la nuit des temps, pas seulement les plaies des princes assassinés dans les tragédies grecques ou shakespeariennes, que tout ce qui l’ouvre parle, même une valise, mais je ne le lui dis pas.
Je serai cette peau demain, me dis-je
Je m’exerce […] »
Hélène Cixous, Hyperrêve, Éditions Galilée, 2006, pp. 37-38-39.
Rédigé par : Angèle | 06 juin 2007 à 22:24
… exercer en tant que gardienne de sa mère encore présente, "une résistance radicale aux représentations horribles", comme en une tragédie grecque…
Voilà une belle vertu également partagée dans le Mare Nostrum et plus largement dans l'univers de l’humain !
Merci chère Angèle de nous rappeler qu’appartenir à cet univers-là peut être une fierté à offrir en partage.
Amicizia
Guidu ___
Rédigé par : Guidu | 07 juin 2007 à 00:29
Joyeux anniversaire ! Je vous souhaite de faire face à l'ultime réalité de l'instant !!
Rédigé par : mohamed hassouna | 03 juin 2009 à 11:11