William Strang (1859-1921),
Lady in a Red Hat, 1918
Glasgow Museum and Art Gallery
Photo de couverture de Vita Sackville-West,
Une aristocrate en Asie
Anatolia/Editions du Rocher
À son retour d’Iran, Vita Sackville-West (Knole Castle, Sevenoaks, Kent, 9 mars 1892-Sissinghurst, Kent, 2 juin 1962) écrit à Harold Nicolson, son époux*, resté en poste à Téhéran. Dans la correspondance du mois de juin 1926, Vita évoque sa saison londonienne. Et, dans sa lettre du 26 juin 1926, une soirée passée en compagnie de Virginia Woolf. Pour un spectacle de ballets de Stravinski. Virginia arborait pour la circonstance un bien curieux couvre-chef.
« C’était vraiment très bizarre, orange et noir, avec un chapeau assorti, une sorte de haut de forme en paille avec deux plumes orange comme les ailes de Mercure, mais quoique bizarre, cela lui allait bien, curieusement, et Virginia en était ravie parce qu’il ne pouvait y avoir aucune hésitation quant à l’envers et à l’arrière dudit couvre-chef. » (Source : Hermione Lee, Virginia Woolf ou l’aventure intérieure, éditions Autrement, 2000, p. 662)
Vita ajoute : « Je ne pouvais plus la tirer du théâtre, nous allions et venions sous le ciel bleu foncé, des groupes de gens bien habillés conversaient, cela ressemblait tout à fait à Mrs Dalloway. » (op. cit.)
La correspondance de Vita avec Harold éclaire de manière contrastée et souvent contradictoire la relation amoureuse qui s’était nouée entre Virginia et Vita. Relation que le voyage de l’aristocrate en Asie avait provisoirement interrompue. Virginia, probablement plus amoureuse de Vita que Vita ne l’était de son amie, s’est inspirée de sa passion pour écrire le roman Orlando. Dont le héros, un très fascinant androgyne, est à l’image de la personnalité de Vita.
« Ce fut un changement intime qui poussa Orlando à choisir des vêtements et un sexe de femme. Peut-être exprima-t-elle par là, plus franchement qu’on ne le fait d’ordinaire, - la franchise était sa qualité dominante - une aventure fort commune quoique rarement avouée. Car nous touchions ici à un problème irrésolu. Si différents que soient les sexes, pourtant ils se combinent. Tout être humain oscille ainsi d’un pôle à l’autre, et bien souvent, tandis que les habits conservent seuls une apparence mâle ou femelle, au-dessous le sexe caché est le contraire du sexe apparent. Nul n’ignore les complications et les confusions qui en résultent. Mais ce n’est pas ici le lieu d’une étude complète : notons seulement les effets étranges de ce désordre dans le cas particulier d’Orlando.
C’est en effet ce mélange en elle des deux éléments, l’homme et la femme, dont tantôt l’un était victorieux et tantôt l’autre, qui donnait souvent à sa conduite un tour inattendu. Et le problème de son sexe était pour certains esprits curieux une source de perplexité. […] Aussitôt installée, Orlando se mit en quête. Elle était venue chercher à la ville : la vie et un amant. » (Virginia Woolf, Orlando, Éditions Stock, 1974, pp. 207-208).
À la lecture de ce texte de Virginia, Vita s’éprend un peu plus d’elle-même. Pour les deux femmes, le roman est aussi une façon de surmonter les obstacles qui s’opposent à leur liaison. Un code secret en quelque sorte. Qui permet à Virginia d’introduire son amie dans la ménagerie imaginaire de son enfance, « une ménagerie exigeante, désordonnée, indisciplinée et sexuelle ».
« Vita était Towser le chien de berger et Virginia était la petite taupe en manteau de taupe, le petit écureuil blotti, ou une créature plus dangereuse, aux douces fentes bordées de crochets » (op. cit. supra).
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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* Le mariage fut célébré le 1er octobre 1913 à Knole House, la propriété seigneuriale des Sackville depuis le XVe siècle (dans le Kent).

Virginia Woolf
Image, G.AdC
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