Il y a cinquante-neuf ans, deux années après la sortie sur les écrans parisiens d'Hiroshima mon amour (10 juin 1959) d'Alain Resnais (sur un scénario de Marguerite Duras), sortie (le 25 juin 1961) de L’Année dernière à Marienbad. Réalisé par Alain Resnais sur un scénario et des dialogues d'Alain Robbe-Grillet. Avec Delphine Seyrig (la femme), Giorgio Albertazzi (l'inconnu) et Sacha Pitoëff (l'autre homme). Le film obtient, le 3 septembre de cette même année 1961, le Lion d’or du festival de Venise. ![]() Delphine Seyrig Image, G.AdC VARIATIONS SUR UN PRÉSENT PERPÉTUEL « L’Année dernière à Marienbad, à cause de son titre, à cause aussi des œuvres dont Alain Resnais avait auparavant réalisé la mise en scène, a d’emblée été interprété comme une de ces variations psychologiques sur l’amour perdu, l’oubli, le souvenir. Les questions que l’on se posait le plus volontiers étaient : cet homme et cette femme se sont-ils vraiment rencontrés, aimés, l’année dernière à Marienbad ? La jeune femme se souvient-elle et fait-elle seulement semblant de ne pas reconnaître le bel étranger ? Ou bien a-t-elle vraiment tout oublié de ce qui s’est passé entre eux ? etc. Il faut dire les choses nettement: ces questions n’ont aucun sens. L’univers dans lequel se déroule tout le film est, de façon caractéristique, celui d’un présent perpétuel qui rend impossible tout recours à la mémoire. C’est un monde sans passé qui se suffit à lui-même à chaque instant et qui s’efface au fur et à mesure. Cet homme, cette femme commencent à exister seulement lorsqu’ils apparaissent sur l’écran pour la première fois ; auparavant ils ne sont rien; et, une fois la projection terminée, ils ne sont plus rien de nouveau. Leur existence ne dure que ce que dure le film. Il ne peut y avoir de réalité en dehors des images que l’on voit, des paroles que l’on entend. » Alain Robbe-Grillet, Pour un nouveau roman [1963] , Éditions de Minuit.
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■ Voir| écouter aussi ▼ → la fiche-film du ciné-club de Caen → (sur You Tube) la bande-annonce de L'Année dernière à Marienbad : ![]() → (sur Terres de femmes) 15 octobre 1990 | Mort de Delphine Seyrig |
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l'année dernière à...ou se souvenir des belles choses...
bonne journée
Elisanne
Rédigé par : double je | 25 juin 2006 à 11:33
Je relis les propos d'Alain Robbe-Grillet :
"L’univers dans lequel se déroule tout le film est, de façon caractéristique, celui d’un présent perpétuel qui rend impossible tout recours à la mémoire. C’est un monde sans passé qui se suffit à lui-même à chaque instant et qui s’efface au fur et à mesure."
Etrange paradoxe que ce film de Resnais fasse partie intégrante - aux yeux du moins de notre génération - de cet inventaire et patrimoine que Pierre Nora a intitulé les "lieux de mémoire". Un paradoxe que ton intitulé au deuxième degré, à la fois humoristique et oxymorique, met bien en évidence : "Variations sur un présent perpétuel."
Mon étonnement confine au quasi-ravissement quand je sais qu'Alain Robbe-Grillet a mis en viager la totalité de ses biens (dont bien entendu ses manuscrits, et ceux de ses divers scénarios) auprès de l'IMEC, L'Institut Mémoires de l'Edition contemporaine, installé dans l'Abbaye d'Ardenne.
Rédigé par : Yves | 25 juin 2006 à 16:29
Avec Delphine Seyrig et Sacha Pitoëff...
j'ai encore dans l'oreille la voix voilée de Delphine, une voix de déesse, un jeu subtil et Pitoëff... Ah, mais où sont les neiges d'antan ?
Très beau film, à revoir.
Rédigé par : nobody | 25 juin 2006 à 19:48
Oui, Yves, c’est bien de cela qu’il s’agit, d’un intitulé fondé sur la contradiction. Puisque l’idée même de variations implique un jeu sur des notions qui n’existent que les unes par rapport aux autres. Dans une relation de concaténation spatio-temporelle. Il y a donc un avant, dans lequel ancrer le motif ou le thème principal, un pendant, un après. A partir desquels et autour desquels se construit un récit. Vouloir « gommer » le temps, essayer de ne rendre compte que d’un « présent perpétuel » (je verrais volontiers dans cette expression une antiphrase ou un défi !) qui n’aurait pas de compte à rendre à la mémoire, est certes une expérience littéraire très intéressante. Mais limite. Car elle s’avère très vite illusoire, voire irréalisable.
D’ailleurs, si mes souvenirs sont bons, Alain Robbe-Grillet, - chef de file du Nouveau Roman- est aussi l’auteur (tardif…) d’une trilogie de fictions autobiographiques. Des Romanesques : Le Miroir qui revient (1984) ; Angélique ou l'enchantement (1987) ; Les Derniers jours de Corinthe (1994). Or, comment se lancer dans l’écriture d’autobiographies fictionnelles sans faire intervenir la mémoire et les souvenirs ? Une gageure qui tient du funambulisme littéraire. Tout cela montre à quel point il y a loin de la théorie à la pratique ! Et puis, il y a les théories des écrivains et les habitudes des lecteurs (ou spectateurs). La distanciation brechtienne existe, mais peu la pratiquent et acceptent d’en jouer trop longtemps les règles. Quoi qu’on dise, très vite l’émotion prime sur l’esthétique. Et reprend le dessus.
Rédigé par : Angèle Paoli | 25 juin 2006 à 20:24
=> Bonsoir double je et nobody. Pour être honnête, ce qui m’avait fascinée à l'époque où j'avais vu Marienbad, c’est justement tout ce dont Alain Robbe-Grillet dénonce l’existence. J’avais donc tout faux. En glosant moi aussi sur les « variations psychologiques sur l’amour perdu, l’oubli, le souvenir…». Je ne me souviens pas m’être posé d’autres questions que celles-là. Mon intérêt pour les débats entre Ricardou et Robbe-Grillet, c'est venu plus tard... Quel serait mon regard aujourd'hui ? Sûrement plus analytique, mais aussi nostalgique. Je ne me suis jamais remise de la disparition de Delphine Seyrig. Ce qui me reste de Marienbad ? La sensualité étrange d'une voix unique, la félinité et la grâce d'une gestuelle.
Rédigé par : Angèle | 25 juin 2006 à 20:45
"Je ne me suis jamais remise de la disparition de Delphine Seyrig."
Moi non plus Angèle ! Elle était divine cette femme, j'ai longtemps refusé de croire en sa mort.
Féline, oui, c'est ça... Comme dessinée par Léonor Fini...
Rédigé par : nobody | 26 juin 2006 à 15:24