Ph., G.AdC
[Croisset], lundi 19 juin [1876].
« Me revoilà revenu dans cette vieille maison, que j’avais quittée l’année dernière aux trois quart mort de découragement ! Les choses ne sont pas superbes, mais enfin elles sont tolérables. Je me suis remâté. J’ai envie d’écrire. J’espère en une période assez longue… de paix. Il n’en faut pas demander plus aux dieux ! Ainsi soit-il ! Et pour vous dire la vérité, chère vieille amie, je jouis de me retrouver chez moi, comme un petit bourgeois, dans mes fauteuils, au milieu de mes livres, dans mon cabinet, en vue de mon jardin. Le soleil brille, les oiseaux roucoulent comme des amoureux, les bateaux glissent sans bruit sur la rivière plate, et mon conte avance ! Je l’aurai probablement fini dans deux mois.
L’Histoire d’un cœur simple est tout bonnement le récit d’une vie obscure, celle d’une pauvre fille de campagne, dévote mais pas mystique, dévouée sans exaltation et tendre comme du pain frais. Elle aime successivement un homme, les enfants de sa maîtresse, un neveu, un vieillard qu’elle soigne, puis son perroquet ; quand le perroquet est mort, elle le fait empailler et, en mourant à son tour, elle confond le perroquet avec le Saint-Esprit. Cela n’est nullement ironique comme vous le supposez, mais au contraire très sérieux et très triste. Je veux apitoyer, faire pleurer les âmes sensibles, en étant une moi-même. Hélas ! Oui, l’autre samedi, à l’enterrement de George Sand [décédée le 8 juin 1876], j’ai éclaté en sanglots, en embrassant la petite Aurore, puis en voyant le cercueil de ma vieille amie.
Les journaux n’ont pas dit toute la vérité. La voici : Mme Sand n’a reçu aucun prêtre et est morte parfaitement impénitente. Mais Mme Clésinger, par chic (et peut-être en haine de sa mère, afin de la contrarier jusque dans la mort), a télégraphié à l’évêque de Bourges pour demander des obsèques catholiques. L’évêque s’est empressé de répondre : « oui ». Et le tour a été joué. Maurice, qui est maire du pays (point notable), a craint de faire scandale. »
Gustave Flaubert, Correspondance, Folio classique, 2004, pp. 674-675.
Excellente idée cette lettre Angèle !
Oui donner la parole aux écrivains dans leurs lettres les plus simples, et non plus sur le piédestal du Livre. Merci !
Rédigé par : Chan | 20 juin 2006 à 06:24
"EH BIEN TOUT DOUCEMENT
Un jour chassant l’autre
Un printemps sur un hiver
Et un automne par-dessus un été
Ça a coulé brin à brin miette à miette
Ça s’en est allé C’est parti
C’est descendu je veux dire
Car il vous reste toujours quelque chose au fond
Comme qui dirait…
Un poids, là, sur la poitrine !"
Je ne sais si ce cher Gustave aurait apprécié cette (re)mise en forme
Oui c'est bien un extrait d'une belle longue phrase de Mme B
Rédigé par : jjd | 20 juin 2006 à 22:13
LA SUITE
"Mais, puisque c'est notre sort à tous,
on ne doit pas non plus se laisser dépérir,
et, parce que d'autres sont morts,
vouloir mourir.."
Rédigé par : Yves | 20 juin 2006 à 22:44