Feuilleton pédagogique à l’usage des lycéens Sur la demande réitérée de nombre de mes anciens élèves et au vu des courriers que j'ai reçus ces derniers temps, j’ai pris l’initiative d'entreprendre (en exclusivité pour Terres de femmes) une lecture personnelle de l’une des œuvres au programme du baccalauréat (épreuve de français, Terminale L), en l’occurrence Les Planches courbes d’Yves Bonnefoy. Je remercie Guidu d'avoir si volontiers accepté d'illustrer chacun des épisodes d'un diptyque photographique. N.B. Pour visualiser le plan détaillé de la lecture en cours, CLIQUER ICI. |
LA MAISON NATALE
DOUZIÈME POÈME
La traversée de La Maison natale prend fin avec le poème XII, et l’ultime hommage rendu à Cérès.
1. Confrontations
Assez proche du poème XI par sa structure - une strophe de sept vers, une strophe de douze vers (à quoi viennent se rajouter cinq vers conclusifs) -, ce poème final est très différent du poème précédent sur le plan thématique. Le point d’articulation avec le poème antérieur est donc ici la première strophe. Qui prolonge le thème du naufrage ; quant à la seconde strophe, elle est à mettre en relation avec le poème III de La Maison natale, puisque Cérès, qui réapparaît ici, est la figure centrale sur laquelle se clôt le recueil.
2. Naufrage de « beauté et vérité »
Condensées sur les trois premiers vers, les images du naufrage et de la mort, avec « ces hautes vagues », « ces cris qui s’obstinent », ce « tumulte » sont un écho du douzain précédent. Est présente aussi « l’espérance », annoncée implicitement dans La Maison natale XI par l’image du « chardon bleu ». Par ailleurs, le poème s’ouvre sur le couple binaire « Beauté et vérité », en totale symbiose grammaticale en ce début de poème. Pourtant cette symbiose est instable, remise en question dès le premier vers par la tragédie intense qui se joue : « mais ces hautes vagues ». Le poète, porte-parole des hommes et en butte comme eux avec les contradictions intenses auxquelles ils sont en proie, s'interroge sur les moyens de concilier les contraires. « Comment garder/Audible l’espérance dans le tumulte », « Comment faire pour que vieillir, ce soit renaître ». La répétition de l’adverbe interrogatif « Comment » à trois vers d’intervalle montre l’insistance et l’urgence des questions posées. Trois fois est répétée la subordonnée de but introduite par la locution « pour que » ; qui contient chaque fois un renversement, plus ou moins explicite, du négatif vers le positif : « pour que vieillir, ce soit renaître » ; « Pour que la maison s’ouvre, de l’intérieur » ; « Pour que ce ne soit pas que la mort qui pousse/Dehors celui qui demandait un lieu natal ? » La formulation de ces interrogations se fait par gradation, du plus général au plus particulier. C'est-à-dire ici au plus autobiographique. Au-delà de la question terrifiante du vieillissement et de la mort qui se pose à tout être humain, se pose aussi la question de la maison natale, du vrai lieu et du rapport du poète avec ce vrai lieu, cette maison à jamais « perdue ». Avec l’évocation de la maison ressurgissent les images déjà rencontrées tout au long du recueil, et avec celle toute particulière de la mort qui pousse la porte et cherche hospitalité, renaît l’image de Cérès.
3. Réhabilitation de Cérès
Consacrée à Cérès et à sa réhabilitation, la seconde strophe est une réponse aux questions posées dans la première strophe. La poésie est la seule réponse ontologique possible. Même énigmatique, même confrontée à ses insuffisances et à ses leurres, elle garde en elle sa force d’affirmation au monde. Elle est et demeure pour Yves Bonnefoy, source d’espérance et de salut.
Ce dernier poème de La Maison natale est une relecture par le poète de son propre mythe personnel. Une élucidation de l’énigme du tableau d’Adam Elsheimer dans « l’arrière-pays » affectif et pictural qui est le sien. Poème de fermeture du recueil, il en donne aussi les clés.
Suite : Yves Bonnefoy/ Les Planches courbes (XXIV)
Angèle Paoli/TdF
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