Feuilleton pédagogique à l’usage des lycéens Sur la demande réitérée de nombre de mes anciens élèves et au vu des courriers que j'ai reçus ces derniers temps, j’ai pris l’initiative d'entreprendre (en exclusivité pour Terres de femmes) une lecture personnelle de l’une des œuvres au programme du baccalauréat (épreuve de français, Terminale L), en l’occurrence Les Planches courbes d’Yves Bonnefoy. Je remercie Guidu d'avoir si volontiers accepté d'illustrer chacun des épisodes d'un diptyque photographique. N.B. Pour visualiser le plan détaillé de la lecture en cours, CLIQUER ICI. |
LA MAISON NATALE
ONZIÈME POÈME
1. Le « chemin » au « chardon bleu »
Après la halte lumineuse et la parenthèse heureuse de la Maison natale X, le poète reprend sa route. « Et je repars ». Rêve ou éveil ? Il ne le dit à aucun moment dans ce poème en deux temps, deux strophes. Peut-être s’agit-il d’une sorte de rêve éveillé, brouilleur d’images de vie et de mort.
La première strophe, construite sur sept vers, se répartit sur deux phrases qui se déroulent sur la lenteur. Le rythme régulier est celui du décasyllabe. L’errance du poète est tracée par « un chemin/Qui monte et tourne ». Un chemin qui semble réel avec son paysage de bords de mer, ses « dunes » et ses « sables »; sa végétation de « bruyères » et son « chardon bleu ». Pourtant, la synesthésie qui mêle sensations visuelles et auditives - « un bruit encore invisible » - est plutôt de celles qui caractérisent le rêve. Les sons arrivent comme assourdis par des assonances en « b » ou des affleurements en « v » et « f » : « Au-dessus d’un bruit encore invisible, avec parfois/Le bien furtif du chardon bleu des sables ». L’imprécision donnée par le groupe adverbial - « avec parfois » -, en fin de vers, crée une attente onirique. Que confirme le vers quatre. À mi-strophe, ce vers joue à lui seul le rôle de seuil, de passage, de bascule. Seuil entre le monde des vivants et celui de la mort qui se rapproche « Je suis bientôt à deux pas du rivage ». Un arrêt sur image se produit sur le « chardon bleu des sables », symbole christique d’espérance, et sur le « bien furtif », qui combine une sensation tactile concrète – « furtif » – avec la notion abstraite du « bien ». Seuil temporel aussi, le temps s’arrête et prend soudain une autre forme – peut-être celle de la vague ? : « Ici, le temps se creuse », puis s’accélère, véhiculant d’autres images ; « et c’est déjà/L’eau éternelle à bouger dans l’écume. »
Associée à l’image de la mer, l’image de la mort, déjà implicitement présente dans cette strophe, se précise. Avec son hors temps, sa mouvance, « son écume », « son rivage ».
2. La mort/La poésie
Le cheminement du poète s’arrête « à deux pas du rivage », pour prendre le temps de regarder et d’écouter. Le spectacle auquel il assiste se déroule sur deux registres, visuel et sonore.
La seconde strophe du poème, séparée par un blanc de la précédente est un douzain où alternent décasyllabes et endécasyllabes. Par deux fois, le poète insiste sur ce qui constitue le spectacle auquel il assiste. L’anaphore « Et je vois », en début de strophe, puis à mi-strophe, introduit éléments du décor et acteurs : « un navire »/« des nageurs ».
La première partie du spectacle est marquée par la confusion. Tant sur le plan visuel que sur le plan auditif, où dominent les indéfinis : « un navire », « un candélabre », « des flammes », « des fumées » ; « crie-t-on », « de toutes parts ». Le poète assiste à un drame nocturne, un naufrage : « un navire attend au large ». La vie semble suspendue au-dessus d’un gouffre invisible. Les formes et les couleurs, que domine le « Noir », mis en relief par l’apposition en début de vers, sont brouillées par la nuit et par les « fumées ». La comparaison du « navire » avec un « candélabre » est inattendue mais elle s’explique par le jeu d’alternance de lumières et d’ombres que donne le spectacle nocturne de cet incendie du navire. Au spectacle visuel se substitue, dès le quatrième vers, un spectacle sonore, confus lui aussi. Des cris surgissent, des clameurs. Des questions fusent, des réponses. Une « ombre » prend la parole. Il s’agit bien d’un naufrage puisqu’il faut « aider ceux qui là-bas/…demandent rivage ». Un rivage ultime. Sans doute celui, enveloppant, de la mort.
Le naufrage semble se confirmer dans la seconde partie de la strophe. Où apparaissent, dans l’ordre, « des nageurs », « le navire », « des lampes ». Mais le spectacle de sauvetage n’est pas tout à fait celui que le poète attendait. « Les nageurs qui, dans la nuit,/Se portent vers le navire » soutiennent « des lampes, aux longues banderoles de couleur ». Et si le spectacle semble davantage être celui d’une fête qu’un spectacle funèbre, c’est que la poésie a le pouvoir de transfigurer la mort elle-même « en son lieu de naissance ». Pouvoir de rassembler « beauté et vérité » : « La beauté même, en son lieu de naissance,/Quand elle n’est encore que vérité. »
Le poème se clôt sur l’image fondatrice de la poésie.
Suite : Yves Bonnefoy/ Les Planches courbes (XXIII)
Angèle Paoli/TdF
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