Feuilleton pédagogique à l’usage des lycéens Sur la demande réitérée de nombre de mes anciens élèves et au vu des courriers que j'ai reçus ces derniers temps, j’ai pris l’initiative d'entreprendre (en exclusivité pour Terres de femmes) une lecture personnelle de l’une des œuvres au programme du baccalauréat (épreuve de français, Terminale L), en l’occurrence Les Planches courbes d’Yves Bonnefoy. Je remercie Guidu d'avoir si volontiers accepté d'illustrer chacun des épisodes d'un diptyque photographique. N.B. Pour visualiser le plan détaillé de la lecture en cours, CLIQUER ICI. |
LA MAISON NATALE
DIXIÈME POÈME
Le poème X de La Maison natale est un hommage aux souvenirs heureux. Un poème où s’exprime le bonheur qui passe par l’expérience partagée.
1. Le simple et les sens
Le temps a passé, exprimé par le début du premier vers : « La vie alors ». La phrase nominale est complétée par une forme présentative au passé, « ce fut », qui introduit « à nouveau » la « maison natale ». Mais ce n’est pas la maison de Tours. C’est « une » maison natale, à jamais « perdue », elle aussi, mais que les lieux évoqués ainsi que les sensations qui accompagnent cette évocation rendent proche de la maison de Toirac. Les images associées au bonheur sont celles du « grenier », des céréales, « blé ou seigle », « du dernier sac monté », de « l’odeur de la paille sèche », de « la lumière » et « des étés tamisés par les tuiles chaudes » et, plus loin, de « la montagne autour de nous ». Le bonheur passe par la reconnaissance sensorielle des choses simples.
2. La troisième offrande
À cette atmosphère de chaleur, de « jeu d’ombres léger », de sensations multiples, s’ajoute le souvenir de rêves et de réveils partagés : « et je me tourne encore/Vers celle qui rêva à côté de moi ». Pour la première fois dans le recueil de La Maison natale, le poète évoque l’unité, l’adhésion réalisée à travers le « nous ».
Alors, comme dans les poèmes VI et VII, au plus fort de l’émotion, le poète accomplit une offrande. La troisième et la dernière du recueil. Au « silence » de « la maison perdue » et au « soir » qui l’enveloppe. Une offrande de « mots qui semblent ne parler que d’autre chose ». Autrement dit, qui ne parle que d’elle, la maison des étés de Toirac.
3. « Les grandes voiles » rassembleuses
Par sa structure le poème X est proche du poème VII. En effet la première laisse est séparée d’une longue parenthèse, la seconde du recueil par un blanc. Mais le contenu de la parenthèse en est totalement différent. La quête du partage, entreprise par l’enfant auprès du père et soldée dans l’indifférence (VII), semble se réaliser ici et prendre corps dans l’expérience : « J’aimais ces jours que nous avions ».
La parenthèse qui s’ouvre sur l’évocation du réveil, évoque le souvenir de jours étals, « jours préservés », à l’abri dans la mémoire. Jours dont la lenteur est comparée à celle d’un fleuve : « Comme va lentement un fleuve ». L’impression de glissement régulier invisible est donnée par les allitérations en [v] qui se faufilent dans les vers, à intervalle régulier: « je m’éveillais », « avions », « préservés », « va », « voûtes », « avançaient », « voiles », « voulaient », « vie », « navire », « souvenir »…
Le bonheur de ces jours heureux de plénitude et d’adéquation au monde s’accompagne aussi de la capacité du poète à goûter « la majesté des choses simples », « les tuiles chaudes » et « la montagne autour de nous. »
L’accès au bonheur passe, pour le poète, par une forme de dépouillement. Choix qui relève d’une véritable éthique.
Les imparfaits duratifs de ce passage laissent supposer que ce temps s’étire et se répète dans le passé. Les jours de cette époque-là « avançaient ». Cours lent du fleuve déjà en partie absorbé par « le bruit des voûtes de la mer ». Faut-il voir dans cette métaphore marine une image fusionnelle ou au contraire les prémices d’une souffrance ? L’image de la mer, maison protégée par ses « voûtes », habitat, semble pour le moment être associée à l’idée de protection, de partage : « Les grandes voiles de ce qui est voulaient bien prendre/L’humaine vie précaire sur le navire ». Les « grandes voiles » rassembleuses mêlent à leurs « claquements » et à leur « silence » « le bruit, d’eau sur les pierres, de nos voix ». Les éléments, fleuve, mer, montagne fusionnent pour former le même « navire » protecteur. Et si la mort est présente, « en avant », elle est, pour le moment encore, perdue dans un hypothétique conditionnel : « ce serait bien la mort ». Associée à des images d’enfance heureuse, de bonheur insouciant, la mort, lointaine, repoussée aux confins du temps et de l’espace, n’a encore que la « couleur laiteuse » des origines, qui s’écoule, calme, dans l’euphorie des assonances en [u] : « Et en avant, ce serait bien la mort, /Mais de cette couleur laiteuse du bout des plages/Le soir, quand les enfants/ont pied, loin, et rient dans l’eau calme, et jouent encore. »
La seconde partie du poème, tout entière consacrée au souvenir de ces temps heureux, enclôt cette évocation à l’intérieur de parenthèses, comme si l’expérience du bonheur n’avait eu qu’un temps ou qu’elle ne dût pas être énoncée.
Pourtant les souvenirs fécondent la poésie. Le poète leur rend hommage par l’exclamation lyrique : « Ô souvenir ».
Suite : Yves Bonnefoy/ Les Planches courbes (XXII)
Angèle Paoli/TdF
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Quel beau travail, Angèle !
Moi qui ne fais que parcourir les sentiers de nos forêts en ce moment, moi qui laisse vagabonder ma pensée, je suis admirative !
Le printemps m'appelle au-dehors. Hors de la routine, hors du familier, hors de moi aussi, hors de mes passions, de mes folies pour les renouveler peut-être...
Quelle belle étude, Angèle !
Je t'embrasse !
Rédigé par : nobody | 11 mai 2006 à 08:44
Merci de ton enthousiasme, nobody, il m'encourage à poursuivre jusqu'au bout cette aventure exigeante. Je suis actuellement parisienne. Je garde les sentiers en réserve pour le moment, mais j'espère bien pouvoir les retrouver très bientôt.
Bonnes balades à toi. Je t'embrasse.
Angèle
Rédigé par : Angele Paoli | 11 mai 2006 à 11:26
Bonjour Angèle,
Je trouve vos commentaires sur Bonnefoy très intéressants, moi-même m'intéressant depuis peu à sa dernière oeuvre.
Je n'ai pourtant pas trouvé le passage sur le poème "les planches courbes" faisant partie du recueil. Viendra-t-il bientôt ?
Merci de répondre à mon message, je vous souhaite une bonne continuation pour la suite.
Lily
Rédigé par : Lily | 11 mai 2006 à 22:57
Oui, Lily, dans le courant de la semaine prochaine, juste après La Maison natale. A très bientôt.
Rédigé par : Angèle | 12 mai 2006 à 10:04