Feuilleton pédagogique à l’usage des lycéens Sur la demande réitérée de nombre de mes anciens élèves et au vu des courriers que j'ai reçus ces derniers temps, j’ai pris l’initiative d'entreprendre (en exclusivité pour Terres de femmes) une lecture personnelle de l’une des œuvres au programme du baccalauréat (épreuve de français, Terminale L), en l’occurrence Les Planches courbes d’Yves Bonnefoy. Je remercie Guidu d'avoir si volontiers accepté d'illustrer chacun des épisodes d'un diptyque photographique. N.B. Pour visualiser le plan détaillé de la lecture en cours, CLIQUER ICI. |
LA MAISON NATALE
NEUVIÈME POÈME
Emboîtements poétiques : De Bonnefoy à Keats et de Keats à la Bible.
Construit sur trois strophes (un quatrain et deux quintils), le poème IX de La Maison natale est consacré à la mère, très peu présente dans l’ensemble du recueil.
Poème d’inspiration biblique, composé autour de la figure douloureuse de Ruth, ce poème est chez Yves Bonnefoy un poème de la révélation.
Introduite par l’hexasyllabe « et alors un jour vint », cette révélation passe par un vers du poète anglais Keats, qui reprend, dans son Ode à un rossignol, « l’évocation de Ruth » la moabite. Ce « vers extraordinaire » a marqué le poète qui le retranscrit dans la première strophe et développe dans la strophe suivante les réflexions qu’il suscite en lui.
Le vers de Keats a le pouvoir de réconcilier le poète avec lui-même, avec « l’évasive présence maternelle ». Et avec le langage. Le poète effectue un retour sur son passé pour retrouver en lui, sédimenté au plus profond de lui-même, le « sens » de ces mots, révélé par le vers de Keats. Sens qu’il n’a pas eu besoin de déchiffrer, car il faisait partie de lui « depuis l’enfance ». Le passage de l’inconscient au conscient - « Quand il est revenu du fond de ma vie » - emplit le poète d’enthousiasme. Le poète s’approprie ce vers de Keats, le fait aussitôt sien : « Je n’ai eu qu’à le reconnaître » c'est-à-dire, mot à mot, re-naître – avec – « et à l’aimer ».
Le vers de Keats dévoile pour le poète Yves Bonnefoy, traducteur de Shakespeare et de Keats, l’origine de la souffrance maternelle, de ses pleurs (« tears »), engendrés par « le sentiment de l’exil ». La mère est pareille à Ruth, « sick for home », elle est séparée de ce qui lui est cher, le lieu et la maison de ses origines, contrainte de demeurer sur un sol étranger : « She stood in tears amid the alien corn ». Les « larmes » qu’elle verse sont celles du chagrin. Son regard, embué par le désespoir, cherche « Dans les choses d’ici le lieu perdu ».
Les vers de Keats, et donc sa poésie, offrent au poète ce que le langage lui avait refusé. Elle lui ouvre les yeux sur la figure réhabilitée de la mère. Elle comble les manques et déficiences du langage. C’est pourtant par les mots que passe le salut. Les mots réunificateurs et pacifiants de la poésie.
Suite : Yves Bonnefoy/ Les Planches courbes (XXI)
Angèle Paoli/TdF
Sur audible.fr, écouter la voix d'Yves Bonnefoy, disant un extrait des Planches courbes (LA MAISON NATALE, IV, V, VI, VII, VIII, IX [extrait]). |
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