Feuilleton pédagogique à l’usage des lycéens Sur la demande réitérée de nombre de mes anciens élèves et au vu des courriers que j'ai reçus ces derniers temps, j’ai pris l’initiative d'entreprendre (en exclusivité pour Terres de femmes) une lecture personnelle de l’une des œuvres au programme du baccalauréat (épreuve de français, Terminale L), en l’occurrence Les Planches courbes d’Yves Bonnefoy. Je remercie Guidu d'avoir si volontiers accepté d'illustrer chacun des épisodes d'un diptyque photographique. N.B. Pour visualiser le plan détaillé de la lecture en cours, CLIQUER ICI. |
LA MAISON NATALE
HUITIÈME POÈME
Le poème VIII de La Maison natale met en présence, face à face, « les parents ».
1. « La maison qui fut et rien de plus »
La laisse s’ouvre sur l’éveil du dormeur. La formule : « J’ouvre les yeux » fait écho à celle que l’on trouve au début du poème VI : « Je m’éveillai ». Cette identité de situation est suivie d’une opposition: l’itinérance du poème VI est remplacée ici par la confirmation du lieu: « c’est bien la maison natale. » On y retrouve la « petite salle à manger », le jardin avec son « pêcher », « la croisée ». Le vers deux replace « la maison natale » dans ce qu’elle fut réellement, dépourvue de charme, d’affect et de tout pouvoir onirique : « celle qui fut et rien de plus ». C’est la maison de Tours, celle qui s’oppose en tout point pour l’enfant à la maison des grands-parents maternels, la maison rêvée de Toirac.
2. Le face-à-face des parents
La scène décrite ici est inversée par rapport à la scène du début du poème VII. C’est l’enfant qui se trouve cette fois-ci au « fond du jardin », isolé, exclu peut-être, tandis que ses parents « se sont assis » à l’intérieur de la maison. Pourtant cette solitude et cet éloignement exacerbent son regard, tout aussi incisif que dans le poème précédent. Peut-être ce regard est-il celui de quelqu’un qui épie, désireux de surprendre ce qui lui échappe, qui lui est dérobé ? « L’enfant les voit, les regarde ».
Assis à la croisée l’un en face de l’autre, les parents sont d’abord présentés de manière indéterminée : « un homme et une femme ». Puis ils sont désignés par un pluriel qui les rassemble : « les parents ». Enfin, dans les quatre derniers vers, il est question de « l’homme » seul, dont on comprend qu’il est le père de l’enfant. L’enfant, lui, se désigne d’abord par le pronom personnel « Je », puis il prend ses distances, exclu de la scène qu’il découvre. Mais peut-être aussi pour mieux comprendre ce qu’il est en train de voir. Il parle de lui à la troisième personne: « l’enfant », « son fils ».
Le regard de l’enfant se saisit d’un détail inhabituel qui porte sur l’échange entre le père et la mère : « Ils se parlent, pour une fois ». L’absence de communication entre ses parents est une souffrance pour l’enfant qui rajoute en commentaire cette remarque : « Il sait que l’on peut naître de ces mots ». La naissance de l’enfant au langage et à l’autre, sa présence au monde, sont rendues difficiles par le silence qui sépare ses parents. Un silence dans lequel l’enfant est lui-même inscrit, qui a échoué à rapprocher l’un de l’autre son père et sa mère.
3. Le père
Dans les quatre derniers vers, le regard de l’enfant se pose sur le père, sans doute parce que celui-ci est mort alors que l’enfant n’avait que treize ans. La même silhouette que dans l’épisode VII se dessine. Appesantie par la fatigue, « seul nimbe des gestes qu’il fut donné à son fils d’entrevoir ». Du père, l’enfant n’aura rien d’autre que cette image marquée « déjà » de l’empreinte de la mort : « La fatigue…/Le détache déjà de l’autre rive ».
Dans ce contexte familial très triste, où domine l’incommunicabilité, l’enfant pourra-t-il s’épanouir ? À l’inverse du « pêcher qui ne grandit pas ». Et trouver sa voix.
Suite : Yves Bonnefoy/ Les Planches courbes (XX)
Angèle Paoli/TdF
Sur audible.fr, écouter la voix d'Yves Bonnefoy, disant un extrait des Planches courbes (LA MAISON NATALE, IV, V, VI, VII, VIII, IX [extrait]). |
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