Feuilleton pédagogique à l’usage des lycéens Sur la demande réitérée de nombre de mes anciens élèves et au vu des courriers que j'ai reçus ces derniers temps, j’ai pris l’initiative d'entreprendre (en exclusivité pour Terres de femmes) une lecture personnelle de l’une des œuvres au programme du baccalauréat (épreuve de français, Terminale L), en l’occurrence Les Planches courbes d’Yves Bonnefoy. Je remercie Guidu d'avoir si volontiers accepté d'illustrer chacun des épisodes d'un diptyque photographique. N.B. Pour visualiser le plan détaillé de la lecture en cours, CLIQUER ICI. |
LA MAISON NATALE
SEPTIÈME POÈME
1. L’énigme du père
Les poèmes VII, VIII et IX sont directement liés à la présence des parents. Le père apparaît en VII, les parents en VIII, la mère en IX. La maison natale n’est plus, comme jusqu’alors, la maison natale onirique. Elle est la maison où l’enfant a vécu la plus grande partie de son temps, la vraie maison natale, celle de Tours.
Par comparaison avec les poèmes VIII et IX, le poème VII surprend d’abord par sa longueur : quarante-deux vers, répartis en trois épisodes dont une parenthèse de vingt-et-un vers. Mais aussi par l’importance accordée à la figure du père.
Le poème s’ouvre sur la formule rituelle « Je me souviens », celle-là même qui fait remonter le passé à la mémoire. Dans le premier épisode, le fils observe son père de la fenêtre « entrouverte ». L’un est à l’intérieur de la maison, l’autre, le père, à l’extérieur, dans le jardin. L’enfant occupe donc la position privilégiée de celui qui voit sans être vu « J’apercevais mon père ». Mais ils sont suffisamment éloignés l’un de l’autre pour que l’enfant éprouve le besoin de réduire la distance qui les sépare - distance réelle mais aussi symbolique -, peut-être pour surprendre une attitude inconnue de lui, un secret, un indice qui lui permette de répondre à la question : « Qui était-il, qui avait-il été dans la lumière ? ». « Je m’approchais ».
Quelques éléments récurrents, disséminés d’un poème à l’autre, suffisent pour donner du père l’image d’un homme fatigué, tôt vieilli, usé par le travail et par les déceptions. Un homme effacé et silencieux, résigné. Ici, dans le poème VII, seuls ses outils de jardinier, bêche et pioche, ont à voir avec le monde concret qui est le sien. Au-delà, son dos voûté, son regard, son immobilité, sa lenteur, la fatigue de ses gestes trahissent un rapport au monde difficile, inabouti. Le regard de l’enfant sonde celui du père : « il regardait/Où, quoi… au-dehors de tout//« son regard vers l’inaccompli ou l’impossible ». On sent chez le père une interrogation, une incompréhension, un mystère qui le rend « impénétrable ». Tout aussi « impénétrable… que la fraîcheur de ce matin-là du monde ». Le père est semblable à ce matin d’été dans lequel il se tient, « immobile ». L’enfant cherche à comprendre et il n’y parvient pas. Le mystère de son père, celui de sa jeunesse et de sa vie, lui échappe : « il regardait, où, quoi, je ne savais… » ; « Qui était-il, qui avait-il été dans la lumière,/Je ne le savais pas, je ne sais encore ». Le père reste, définitivement, une énigme pour le poète.
2. Père et fils
À la vision du père dans le jardin vient s’ajouter celle du père à la ville « sur le boulevard ». C’est à un tout autre moment que celui de l’été et des vacances. L’enfant évoque dans cette strophe le monde du père et le sien pris dans une simultanéité qui les oppose. Quatre vers sont consacrés au père, trois à l’enfant. Ce qui caractérise la description du père, ce sont les assonances en [ã], réparties sur les participes présents et les adverbes : « Avançant lentement, tant de fatigue/Alourdissant ses gestes d’autrefois ».
La répétition de ces sons nasalisés met l’accent sur la fatigue du père, sur le poids qui pèse sur sa vie. À la lenteur du père qui repart au travail, s’oppose l’errance de l’enfant, son désoeuvrement sur le chemin de l’école. « Quant à moi/ j’errais avec quelques-uns de ma classe, au début de l’après-midi… »
3. L’offrande
Au mystère de la figure paternelle viennent se superposer d’autres mystères fortement liés à l’enfance. Celui, insaisissable, de l’absence de durée : « Au début de l’après-midi sans durée encore ». Celui ensuite de cette « fraîcheur des matins de l’enfance » et la cruauté des « souvenirs » qui lui sont associés. Car le souvenir du père, tel que l’enfant l’a surpris en ce matin d’été, lui est une souffrance. L’enfant, même s’il ne peut pénétrer la vie de son père, en saisir le sens, en a perçu tout le désastre. Il est probable que l’enfant ait fait sienne pour toujours, à partir de ce matin-là, la souffrance indicible du père. Parvenu « À ce passage-là », le poète ne peut que rendre hommage à celui qu’il a « aperçu de loin ». Cet hommage se traduit, comme pour le poème précédent, par le désir d’une offrande. « Je dédiais mes mots aux montagnes basses/« Que soient dédiés les mots qui ne savent dire ». Le langage et les mots sont impuissants à dire et à traduire l’amour du poète pour son père. Impuissants aussi à dire et à traduire son désarroi.
Suite : Yves Bonnefoy/ Les Planches courbes (XVIII)
Angèle Paoli/TdF
Sur audible.fr, écouter la voix d'Yves Bonnefoy, disant un extrait des Planches courbes (LA MAISON NATALE, IV, V, VI, VII, VIII, IX [extrait]). |
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