Feuilleton pédagogique à l’usage des lycéens Sur la demande réitérée de nombre de mes anciens élèves et au vu des courriers que j'ai reçus ces derniers temps, j’ai pris l’initiative d'entreprendre (en exclusivité pour Terres de femmes) une lecture personnelle de l’une des œuvres au programme du baccalauréat (épreuve de français, Terminale L), en l’occurrence Les Planches courbes d’Yves Bonnefoy. Je remercie Guidu d'avoir si volontiers accepté d'illustrer chacun des épisodes d'un diptyque photographique. N.B. Pour visualiser le plan détaillé de la lecture en cours, CLIQUER ICI. |
LA MAISON NATALE
SIXIÈME POÈME
1. Un espace de transition
Avec le sixième poème s’amorce un changement. Une issue inespérée à l’enfermement dans lequel se trouvait jusqu’alors l’enfant.
Espace de transition, ce poème est celui du déplacement entre deux lieux. La maison de Tours où l’enfant vit son exil tout au long de l’année et la maison de vacances de Toirac qu’il aspire à retrouver aux grandes vacances.
Le premier vers pourtant commence par le leitmotiv connu « Je m’éveillai ». Mais il introduit aussitôt une variante fondée sur l’opposition « mais c’était en voyage ». L’espace n’est plus celui, inquiétant, de la maison natale onirique, mais un espace mobile, tendu entre deux points, entre la nuit et le jour, entre un ciel déchiré par la foudre et un autre ciel éclatant de soleil. Le lieu clos qui traverse cet espace est le train.
2. « L’avènement du monde »
L’enfant évoque le souvenir de cette longue traversée qui appartient au passé de son enfance : « Je regardais », « Je dédiais ». Un voyage qui s’étire dans le temps : « Le train avait roulé toute la nuit ». Jusqu’au jour qui éclate dans la seconde laisse, séparée de la précédente par un blanc : « Après quoi il fit jour. » Entre les deux espaces se trouve l’« aube », propice à l’observation de « l’avènement du monde ». La naissance mystérieuse et sacrée du jour nouveau peut se lire jusque dans les données les plus ordinaires du paysage, jusque « Dans les buissons du remblai. » L’enfant, jusqu’alors fermé sur lui-même et sur sa propre subjectivité, sur ses leurres, semble gagné peu à peu par un tout autre état d’esprit, qui le rend sensible à l’espace que le train ouvre devant lui : « Il allait maintenant vers de grands nuages, debout là-bas, serrés… ».
Dans cet espace clos dans lequel il est immobile, l’enfant, observateur silencieux, est en état de veille : « Je ne dormais pas ». « Je regardais ». Aucun détail ne lui échappe, ni « la dentelle/Des coussins de lainage bleu » du « compartiment », ni « le lacet de la foudre » qui déchire l’horizon.
3. « Cet autre feu »
L’irruption brutale, à la fin du septième vers, de l’expression « et soudain » indique un basculement. Un changement, immédiatement perceptible : « Cet autre feu ». Élément qui entraîne à sa suite « le champ de pierres et de vignes », « une flamme rouge », le « feu des vignerons » et, un peu plus loin, « les montagnes basses ». Autant de présences qui signent de manière tangible la proximité imminente de Toirac. Toute cette fougue généreuse de la « flamme rouge » qui embrase et embrasse « le bas du ciel », la nature et les hommes qui l’habitent, leur travail de la vigne, leur lutte contre les éléments, tout cela parle à l’enfant de la terre qu’il aime, à laquelle il aspire, promesse de présence et de partage.
L’exaltation de l’enfant explose dans la seconde strophe en même temps que le jour. Elle se manifeste dans la métaphore des flèches du soleil qui fait irruption de manière violente dans l’univers ensommeillé des voyageurs. L’enfant, lui, gagné par la générosité des hommes du terroir et empli d’« espérance » se livre à une offrande: « Je dédiais mes mots aux montagnes basses ». Il fait don de sa poésie.
Suite : Yves Bonnefoy/ Les Planches courbes (XVII)
Angèle Paoli/TdF
Sur audible.fr, écouter la voix d'Yves Bonnefoy, disant un extrait des Planches courbes (LA MAISON NATALE, IV, V, VI, VII, VIII, IX [extrait]). |
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