Luri (Capicorsu)
De Santa Severa à la Tour de Sénèque
Ph. angèlepaoli
LA CORSE, UN MICROCOSME
Comme le souligne le nomade intellectuel
Kenneth White, la Corse est une terre idéale pour les cheminements de la géopoétique. Car à elle seule, « la Corse est un cosmo-poème ». Il a d’ailleurs existé à Bastia une
Accademia d'i Vagabondi *. Fondée par Ghjuvanni Banchero et l'évêque génois de Mariana, Carlo Fabrizio Giustiniani (mort en 1683), et installée à Bastia en 1659, elle a été rétablie le 1er novembre 1749 par le marquis de Cursay. Elle recrutait ses membres parmi ces « errants » et navigateurs qui partaient suivre leurs études à Pise, à Gênes ou à Padoue, ou s’exilaient un temps aux Amériques, en bons descendants de Ghjacumu de Negroni, cet amiral cap-corsin « sans peur et sans reproche » qui, en 1571, partit du porticellu de Macinaghju pour combattre les Turcs à Lépante avec ses quatre felouques, la Capitana, la Padrona, la Bastarda et la Quarta.
Pour White, la Corse est « un petit morceau de la Terre, un microcosme ». Il y a rencontré
Esprit Requien, le botaniste avignonnais, auteur d’un
Catalogue des coquilles de la Corse (1848), et
James Boswell, l’ami d’un autre herboriste et promeneur solitaire, Jean-Jacques Rousseau, mais aussi de Pascal Paoli (« u babbu di a patria »). Boswell est aussi l’auteur d’un
Account of Corsica. The Journal of a Tour to that Island (traduit et édité aux éditions du Rocher). White a aussi croisé le navigateur corse Dominique Cervoni, né et mort à
Luri, et qui apprit la navigation à Joseph Conrad, mais encore le philosophe en exil Sénèque qui détestait les montagnes corses :
« Barbara praeruptis inclusa est Corsica saxis/ Horrida desertis undique vasta locis » (lire
la Lettre de Corse de Sénèque publiée en 1995 aux éditions San Benedetto d’Ajaccio).
Corsica, l’Itinéraire des rives et des monts est tout à la fois « nouvelle (éclatée), livre de voyage (radical), essai (extravagant) ou poème (du monde). » Un cheminement à conseiller à tous ceux qui veulent explorer dans leur propre vie les champs inédits du possible.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
* L'Accademia d'i Vagabondi est aussi le nom d'une maison d'édition (exemplaire) que créa à Bastia (à la fin des années 1970)
Ghjacumu Gregorj. Cette maison d'édition a aujourd'hui disparu.
EXTRAIT
« Pourquoi avais-je si envie d’aller à U Campu ? Eh bien, c’est ici qu’est né Dominique Cervoni, le marin corse que Joseph Conrad aimait tant et dont il parle dans
Le Miroir de la mer. J’y suis finalement arrivé : un petit village plongé dans le silence et l’odeur de la fumée de bois. La maison de Cervoni n’a rien de remarquable. Mais elle porte cette plaque à sa mémoire :
Dans cette maison est né
le 28 août 1834
Dominique André Cervoni
navigateur et grand aventurier
Il y mourut le 27 juillet 1890
Pour Conrad, Cervoni était un « frère ». Ce qui ne voulait pas seulement dire qu’il faisait partie de la grande fraternité de la mer, mais qu’il était en quelque sorte un étranger (un isolato) au milieu de ses semblables, à tel point qu’il pouvait transcender leurs codes, même ceux qu’il respectait le plus, au nom de quelque chose d’autre, n’acceptant comme juge de ses faits et gestes secrets que le ciel vide et l’implacable océan. »
(page 92)
D.R. Ph. Georges Leandri
NOTE : A peu de distance de ce hameau de Luri, qui a beaucoup marqué Kenneth White, trois îles aux oiseaux : la réserve naturelle des îles Finocchiarola [en corse, Finuchjarola] (les îlots A Terra, Mazzana et Finocchiarola, au nord-est du Cap Corse, près de Macinaghju), principal site de nidification du goéland d'Audouin en Méditerranée.