Kenneth White, Corsica.
L'Itinéraire des rives et des monts,
Editions San Benedetto - La Marge éditions, Ajaccio, 1998.
Comme le souligne le nomade intellectuel Kenneth White, la Corse est une terre idéale pour les cheminements de la géopoétique. Car à elle seule, « la Corse est un cosmo-poème ». Il a d’ailleurs existé à Bastia une Accademia d'i Vagabondi *. Fondée par Ghjuvanni Banchero et l'évêque génois de Mariana, Carlo Fabrizio Giustiniani (mort en 1683), et installée à Bastia en 1659, elle a été rétablie le 1er novembre 1749 par le marquis de Cursay. Elle recrutait ses membres parmi ces « errants » et navigateurs qui partaient suivre leurs études à Pise, à Gênes ou à Padoue, ou s’exilaient un temps aux Amériques, en bons descendants de Ghjacumu de Negroni, cet amiral cap-corsin « sans peur et sans reproche » qui, en 1571, partit du porticellu de Macinaghju pour combattre les Turcs à Lépante avec ses quatre felouques, la Capitana, la Padrona, la Bastarda et la Quarta. Pour White, la Corse est « un petit morceau de la Terre, un microcosme ». Il y a rencontré Esprit Requien, le botaniste avignonnais, auteur d’un Catalogue des coquilles de la Corse (1848), et James Boswell, l’ami d’un autre herboriste et promeneur solitaire, Jean-Jacques Rousseau, mais aussi de Pascal Paoli (« u babbu di a patria »). Boswell est aussi l’auteur d’un Account of Corsica. The Journal of a Tour to that Island (traduit et édité aux éditions du Rocher). White a aussi croisé le navigateur corse Dominique Cervoni, né et mort à Luri, et qui apprit la navigation à Joseph Conrad, mais encore le philosophe en exil Sénèque qui détestait les montagnes corses : « Barbara praeruptis inclusa est Corsica saxis/ Horrida desertis undique vasta locis » (lire la Lettre de Corse de Sénèque publiée en 1995 aux éditions San Benedetto d’Ajaccio). Corsica, l’Itinéraire des rives et des monts est tout à la fois « nouvelle (éclatée), livre de voyage (radical), essai (extravagant) ou poème (du monde). » Un cheminement à conseiller à tous ceux qui veulent explorer dans leur propre vie les champs inédits du possible. Angèle Paoli D.R. Texte angèlepaoli * L'Accademia d'i Vagabondi est aussi le nom d'une maison d'édition (exemplaire) que créa à Bastia (à la fin des années 1970) Ghjacumu Gregorj. Cette maison d'édition a aujourd'hui disparu. « Pourquoi avais-je si envie d’aller à U Campu ? Eh bien, c’est ici qu’est né Dominique Cervoni, le marin corse que Joseph Conrad aimait tant et dont il parle dans Le Miroir de la mer. J’y suis finalement arrivé : un petit village plongé dans le silence et l’odeur de la fumée de bois. La maison de Cervoni n’a rien de remarquable. Mais elle porte cette plaque à sa mémoire : Dans cette maison est né le 28 août 1834 Dominique André Cervoni navigateur et grand aventurier Il y mourut le 27 juillet 1890 Pour Conrad, Cervoni était un « frère ». Ce qui ne voulait pas seulement dire qu’il faisait partie de la grande fraternité de la mer, mais qu’il était en quelque sorte un étranger (un isolato) au milieu de ses semblables, à tel point qu’il pouvait transcender leurs codes, même ceux qu’il respectait le plus, au nom de quelque chose d’autre, n’acceptant comme juge de ses faits et gestes secrets que le ciel vide et l’implacable océan. » (page 92)
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■ Kenneth White sur Terres de femmes ▼ → Ici, sur l'île aux oiseaux → Lettre à un vieux calligraphe → Kenneth White | Conrad sur L’Île-Grande ■ Voir aussi ▼ → (sur Terres de femmes) Maddalena Rodriguez-Antoniotti, Bleu Conrad (note de lecture) |
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LII
n’aurions-nous que ces rochers
dispersés sur la plage
(le vent ce soir
souffle fort et il pleut sur la mer)
combien
nous pourrions apprendre
car vivre
dans le concert des rochers
est possible
et celui-là qui connaît parfaitement
un seul rocher
dans son être dense
et son rapport
avec ciel et mer
a sans doute parole plus vraie
pour les frères humains
que cet autre qui ne cesse
de vivre et pourrir
dans l’entassement des cités
qui ne disent rien
de la vie
Kenneth White, Le Grand Rivage, Le nouveau commerce, 1980, p. 119.
Rédigé par : Florence Trocmé | 28 mai 2006 à 09:50
Merci de parler de Kenneth White, à mon sens le plus grand de nos jours. Je connais Kenneth depuis très longtemps, comme moi il demeure en Bretagne à Trébeurden et je suis heureux à chaque fois que l'on parle de lui, il le mérite tant.
Bien cordialement,
Yann
Rédigé par : Yann | 28 mai 2006 à 17:59
Ci-après un extrait d’un échange épistolaire entre Angèle Paoli, Emmanuel Dall’Aglio et Kenneth White
Courriel adressé le 15 décembre à Emmanuel Dall’Aglio (président de l’Association des Amis de Kenneth White):
« Je vous écris afin de savoir si vous pouviez interroger Kenneth White sur un point qui me laisse perplexe.
Je viens de me rendre à Luri devant la maison Cervoni et j'ai lu :
" Dans cette maison est né le 18 janvier 1858 César CERVONI navigateur. Il y mourut le 16 mai 1936. Il fut l'ami et le compagnon de route du célèbre écrivain anglais Joseph Conrad qui en fit un personnage de ses romans."
L'ami de Conrad est-il Dominique André ou César ???
Amicizia,
Angèle Paoli/Terres de femmes
Réponse de Kenneth White ce jour :
Chère Angèle Paoli,
Emmanuel Dall’Aglio vient de me transmettre votre courriel du 15/12/2006 concernant les Cervoni.
En fait, il y a eu deux Cervoni dans la vie de Conrad, tous les deux natifs de Luri: Dominique (Dominic) et César, son neveu. Il parle des deux dans ses mémoires, Le Miroir de la mer. C’est Dominique qui fut son grand ami, et le modèle pour Nostromo. Le portrait qu’il fait de César, par contre, n’est pas flatteur (il le décrit comme veule, menteur et traitre), et Dominique lui-même avait honte de son neveu.
Il faut croire qu’il y a deux plaques, et celle sur César déforme la vérité en prétendant qu’il était l’ami de Conrad. Je ne me suis jamais intéressé moi-même qu’à Dominique.
Amicizia, pace e saluta.
Kenneth White
Rédigé par : Webmestre de TdF | 23 janvier 2007 à 16:52
Chère Angèle Paoli,
Je viens de visiter votre site et j'y ai découvert ci-dessus le livre de Kenneth White inspiré par un de ses voyages en Corse : L'Itinéraire des rives et des monts.
Je désirerais me le procurer, or l'éditeur, d'après mon libraire, a fait faillite. Si à tout hasard vous aviez une piste pour retrouver la trace de cet ouvrage, merci de me le faire savoir. Je suis un breton exilé, amoureux de la Corse et de la poésie !
Cordialement
Yves Corbel
Rédigé par : Yves Corbel | 14 février 2007 à 19:21
Le livre Corsica de Kenneth White est disponible au prix de 12€20 au:
Journal de la Corse
1, rue Sebastiani
BP 255
20180 Ajaccio cedex 1
Tél. : 04 95 21 50 02
télécopie : 04 95 21 50 13
Amicizia
Rédigé par : Le Webmestre de TdF | 14 février 2007 à 19:29
Au hasard de mes consultations sur Internet, je suis tombé sur l'échange de correspondance que vous avez eu avec Mr Kenneth WHITE.
Moi-même natif de LURI où je réside une grande partie de l'année, j'ai eu, à la suite de mon père, ancien maire (1947-1983), à m'intéresser au destin de Dominique André CERVONI 1834-1890), ainsi qu'à celui de César (1858-1936).
Lors d'une réunion-débat que j'avais mise sur pieds le 11.09.1993 à LURI avec l'"Association des amis de Conrad", en présence de sa présidente, de personnes venues souvent de très loin dont Philippe CONRAD, petit-fils du romancier, nous avions procédé à la mise en place de plaques commémoratives sur les maisons de Dominique et de César.
J'ai donc une documention relativement volumineuse les concernant et suis en mesure de vous apporter les précisions suivantes :
César CERVONI, que mon père a bien connu, malgré son patronyme courant à Luri et en Corse, n'a JAMAIS été le neveu (ou parent quelconque) de Dominique, sinon pour les besoins du roman de Conrad Le Miroir de la mer. Il n'a jamais été non plus le traitre... l'homme veule qui y est dépeint, les vieux Lurois qui l'ont connu peuvent encore en témoigner, c'était un colosse, certes coléreux, mais un homme de bien, sans doute avait-il eu... des mots avec Conrad qui n'a pu que le "noircir" dans son roman.
Quant à Dominique, il a été l'ami de Conrad, celui qui l'a initié à la navigation et aux choses de la vie, et le héros de TOUS ses romans, car Attilio, Jaques Perrol, Nostromo... et tous les autres, c'est toujours... Dominique.
Je demeure à votre disposition et à celle de Mr WHITE.
Georges LEANDRI
Rédigé par : Georges Leandri | 12 mars 2007 à 19:53
Comme nous vous l'avons annoncé par courrier personnel, votre message a bien été transmis à Kenneth White. Cependant, même si César Cervoni n'a pas été le neveu de Dominique Cervoni, rien n'atteste qu'il a été "l'ami" de Conrad, comme le dit la plaque apposée sur sa maison.
Bien cordialement à vous.
Rédigé par : Webmestre de TdF | 15 mars 2007 à 09:02
Chère Angèle Paoli,
Merci de m’avoir transmis la lettre de M. Georges Leandri.
Conrad se serait donc trompé sur la parenté ? Possible. Je n’ai aucune raison de mettre en doute les recherches et les affirmations de M. Leandri sur ce point.
Il aurait noirci le caractère de César ? Possible aussi. Question d’opinion… Précisons seulement que Le Miroir de la mer n’est pas un roman, mais des mémoires.
Toujours est-il que, comme vous le dites vous-même, il est un peu abusif de déclarer que César était l’”ami” de Conrad. C’est, comme le reconnaît M. Leandri, Dominique qui était l’ami de Conrad.
Cela dit, je ne voudrais pas faire de tout cela une affaire d’Etat.
Salutations amicales.
Kenneth White
Rédigé par : Kenneth White | 21 mai 2007 à 15:46
Merci, Kenneth White, pour cette réponse. Depuis lors, Mr Georges Leandri a eu l'amabilité de nous faire parvenir une photographie de la plaque apposée sur la maison de Dominique Cervoni (voir la note ci-dessus). Plaque où il est bien fait mention de l'amitié qui lia Dominique Cervoni et Joseph Conrad.
Rédigé par : Webmestre de TdF | 30 mai 2007 à 15:54
Dans Corse Matin du 4 décembre :
Lors de l'examen, vendredi, du rapport du conseil exécutif sur le Cunsigliu di a lingua, l'assemblée de Corse a adopté à l'unanimité une proposition de Jean-Guy Talamoni au nom du groupe Corsica Libera, visant à réactiver l'Accademia di i vagabondi.
Cette académie a été fondée au XVIIe siècle (1659), sur le modèle des académies créées à l'époque dans la péninsule italienne. Le mot vagabondi faisait référence aux voyages effectués par ses membres, voyages que l'on considérait comme indispensables à l'acquisition d'une réelle culture. Après une longue période d'activité, elle resta en sommeil un quart de siècle.
Elle fut réactivée en 1749 - sous le nom d'« Académie de Corse » - à l'époque où le marquis de Cursay représentait la France dans l'île (en concurrence avec les autorités génoises). Un concours littéraire fut alors lancé par l'Académie. Observons qu'à cette époque de grande complexité politique, les autorités nationales corses, et notamment Jean-Pierre Gaffori, entretenaient d'excellentes relations avec de Cursay (en 1752, lorsque la France changera de politique et se désengagera de l'île, elle fera endosser son attitude équivoque par de Cursay et ira jusqu'à le faire emprisonner au fort d'Antibes pour collusion avec les « rebelles corses »).
Cette première réactivation de l'Accademia di i Vagabondi sera considérée comme un événement important par les autorités nationales corses : dans sa Giustificazione di a Rivoluzione di Corsica(1758), ouvrage essentiel de la propagande paolienne, Don Gregorio Salvini salue cette initiative de de Cursay. On sait l'importance que le gouvernement de Pasquale Paoli donnera à la culture et à l'éducation.
Vendredi donc, l'assemblée de Corse a décidé de renouer avec cette institution multiséculaire au service de la langue et de la littérature. Elle dépendra du Cunsigliu di a lingua, et aura en charge les questions de terminologie (dictionnaire de langue corse) ainsi que la promotion de la littérature (colloques, séminaires, salons, prix littéraires…). L'Accademia se réunira dans la salle principale du Cunsigliu di a lingua à Corte, qui sera baptisée Sala Simone Vinciguerra, dettu Giuvanni di a Grotta en l'honneur du poète et résistant corse.
Rédigé par : Agenda culturel de TdF | 14 décembre 2011 à 09:40