Ph. Didier Cry
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L'ARCHITECTURE, C'EST L'ART DE FAIRE CHANTER LE POINT D'APPUI
À l’occasion d’une conférence donnée le 31 mai 1933 à l’Institut d’art et d’archéologie de l’Université de Paris, l’architecte français Auguste Perret déclare : « L’architecture, c’est l’art de faire chanter le point d’appui. »
Cette déclaration (pour le moins mystérieuse) mérite d’être replacée dans son contexte intégral pour prendre tout son sens. « Si la structure n'est pas digne de rester apparente, l'architecte a mal rempli sa mission. Celui qui dissimule un poteau, une partie portante, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur, se prive du plus noble élément de l'architecture, de son plus bel ornement. L’architecture, c’est l’art de faire chanter le point d’appui. »
Auguste Perret est probablement l’architecte contemporain le plus connu des habitants de villes comme Le Havre ou Amiens, villes en grande partie détruites au cours de la Seconde Guerre mondiale. Et paradoxalement aussi, l’architecte le plus méconnu et le plus mal aimé. Ainsi, jusqu'à ces derniers temps, les Amiénois n’éprouvaient aucune dilection pour les immeubles en béton armé qui ceinturent la place de la gare (place Alphonse-Fiquet) dans une dominante de gris terne. Et la fameuse « tour Perret » (le premier gratte-ciel de France) qui marque l’entrée de l’artère principale du centre-ville, n’avait pas non plus leur faveur. Il faut dire que le béton armé avait mal vieilli et que les immeubles disposés en carré à partir de la tour constituaient davantage un lieu d’étranglement qu’une perspective attrayante.
Le regard porté par les Amiénois sur l’ensemble de cet espace - construit par Perret au lendemain de la guerre - est en train de changer depuis que celui-ci est en cours de réaménagement. Déjà la fameuse tour, haute de 104 m, visible de fort loin dans la campagne picarde alentour, a été totalement toilettée. Son sommet, traité en « verre actif », est surmonté d’une horloge (comme l’avait initialement prévu Perret) qui, en fonction des heures de la journée, se joue des modulations de lumière.
UNE CONSTRUCTION MILLÉNARISTE À LA SCHUITEN
J’aime la tour Perret, surtout lorsque les énormes spots, dissimulés en contre-plongée sous la tour, l’illuminent. Bleu acier, elle prend alors des allures de constructions millénaristes à la Schuiten, qui s’en est d’ailleurs inspiré dans L'Ėcho des cités (série « Les Cités obscures », Casterman, 1993). Utopies oniriques à la fois fantastiques et inquiétantes.
Fils d’un maçon parisien communard exilé en Belgique, fasciné par le béton armé et les structures apparentes, Auguste Perret (1874-1954) a notamment réalisé le théâtre des Champs-Élysées, le Conseil économique et social, la salle Cortot de l'École normale de musique, le théâtre de l'Exposition des Arts Décoratifs de 1925, l’Église Notre-Dame du Raincy, la tour de la mairie de Grenoble, les hangars de l'aéroport de Marignane et l'immeuble du 51-55 rue Raynouard (Paris, XVIe) où logeait l'architecte, dans un appartement entièrement conçu par lui. On lui doit également la reconstruction de la ville du Havre. Assez proche des réalisations amiénoises, dans la forme et dans le ton. Dommage que le béton armé vieillisse si mal et qu’il faille l’illuminer ou le retraiter régulièrement pour qu’il échappe à la tristesse qui lui est immanquablement associée.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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