Le
31 mai 1887 naît à Pointe-à-Pitre, île de la Guadeloupe, Alexis Leger. Qui prendra bien des années plus tard son nom de poète,
Saint-John Perse.
Image, G.AdC
À l’honneur en France depuis qu'il a été mis au programme de l’agrégation de lettres modernes (année 2006-2007), le poète retrouverait-il enfin, après plus de trente années d’oubli, un regain de faveur/ferveur auprès des lecteurs et amateurs de poésie ?
SUR DES SQUELETTES D'OISEAUX NAINS S'EN VA L'ENFANCE DE CE JOUR
Parmi les ouvrages récemment parus pour fêter le retour sur le devant de la scène du grand poète d’outre-mer, j’ai plus particulièrement retenu celui de
Joëlle Gardes, qui a dirigé pendant dix ans la Fondation Saint-John Perse à Aix-en-Provence.
L'imposante somme biographique, intitulée
Saint-John Perse. Les rivages de l’exil (publiée aux éditions aden, dans la collection « Le cercle des poètes disparus », en mars 2006), n'a aucun équivalent puisqu'elle est le premier ouvrage biographique consacré au poète. Aussi incroyable que cela puisse paraître au lecteur. On comprend d'autant mieux la haute et belle exigence scientifique que s'est imposée l’auteur d'examiner aussi finement et jusqu'à l'extrême détail - sans jamais se donner la facilité de les romancer - toutes les sources dont elle disposait et, conformément au projet annoncé, tous les éléments contextuels qui ont fait de Saint-John Perse une figure constante de l’exil. Un exil douloureux, charnellement vécu, au seuil de l’adolescence, avec l’arrachement des Antilles natales. En 1899. Un premier exil, ancré dans la mémoire vive du poète, qui sera suivi de nombreux autres. Ainsi celui de 1940-1941, aux États-Unis :
« Je vis seul à New York, hors du milieu français et ma solitude y est telle que je voudrais disparaître sans laisser la moindre trace à la surface de cet abîme où j’ai volontairement plongé » (Joëlle Gardes,
op. cit., p. 144. Lettre de Saint-John Perse à son amie Lilita Abreu. 4 septembre 1940).
Ce nouvel exil, vécu semble-t-il comme une résurgence ou une forme récurrente de l’ancien, lui inspire un recueil de poèmes, intitulé
Exil.
« Sur des squelettes d’oiseaux nains s’en va l’enfance de ce jour, en vêtement des îles, et plus légère que l’enfance sur ses os creux de mouette, de guifette, la brise enchante les eaux filles en vêtement d’écailles pour les îles » (
Exil V, Gallimard, Collection Poésie, page 160).
DU DIPLOMATE À L’HOMME SENSIBLE
L’ouvrage de Joëlle Gardes réussit le difficile pari de mettre au jour les arcanes complexes de ce personnage apparemment dichotomique, partagé entre sa vie publique et mondaine de diplomate et sa vie d’écrivain. Examinant les seuils de rencontre et de rupture du poète avec lui-même et l’écriture (pendant des années, Leger et Saint-John Perse ont vécu à distance l’un de l’autre), Joëlle Gardes met en relief les relations et interférences entre l’homme politique et l’homme sensible. Plus sensible qu’il n’y paraît au premier abord. Plus accessible et plus généreux que sa réputation ne l’a laissé accroire, comme l’atteste notamment l’aide qu’il apporte en 1936 à André Breton, alors dans le plus total dénuement.
Joëlle Gardes rend compte des périodes de silence ou de créativité, entrelaçant habilement ses remarques, ses analyses et ses conclusions de vers du poète qui fondent à merveille son argumentation. Innombrables sont en effet les citations - tirées de
Vents, Anabase, Éloges, Exils, Vents, Amers - qui viennent à point nommé illustrer le propos ou l’éclairer. De sorte qu’aucun fragment de la vie ou de l’œuvre d’Alexis Leger, devenu Saint-John Perse en 1924, n’est livré au hasard et/ou par hasard.
DANS LE MITAN DU SIÈCLE
Mais la biographie établie par Joëlle Gardes est bien davantage qu’une simple biographie. Elle fourmille de renseignements et d’informations historiques, diplomatiques, culturels, - tous datés avec précision - sur toute une époque. Qui prend ainsi forme et vie sous nos yeux, avec ses événements et ses mondes, ses jeux et enjeux de pouvoir, ses déchirements et ses doutes. Ainsi qu’avec tous ceux, acteurs de ce siècle - hommes d’État et intellectuels - qui en ont façonné les contours. Parmi eux Saint-John Perse, dont le lecteur suit la traversée des périls, la succession des zones de silence et d’évitements de l’écriture ou au contraire d'immersions au cœur de la poésie, jusqu’à la consécration de son œuvre, en 1960, par le Prix Nobel. Quinze ans avant la mort du poète, survenue le 20 septembre 1975, à la presqu’île de Giens, où il est enterré.
DE DÉSIR ET DE SEL
Longtemps considéré comme élitiste et distant, Saint-John Perse s’est forgé, d’exils en voyages, et de voyages en retours, une personnalité aux visages multiples. Mais au-delà de cette personnalité protéiforme demeure la poésie. Une poésie exigeante, riche en images hautes de désir et de sel, forgée aux vents des sables de l’exil et au gypse de l’été. Une poésie cosmique toute de tension et de souffles. Poésie de l’ « estime », derrière laquelle, entre « amplification » et « ascétisme », se lit la quête de l’unité. Quête essentielle du poète, cet assembleur « de saisons aux plus hauts lieux d’intersection ».
Joëlle Gardes, Saint-John Perse, Les rivages de l'exil, biographie, éditions aden, 2006.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
L'allocution au Banquet Nobel du 10 décembre 1960 est, il me semble, à lire et à relire, de A à Z.
En particulier le rapprochement entre Poésie et...Science.
"Mais du savant comme du poète, c'est la pensée désintéréssée que l'on entend honorer ici."
Et, bien au fait des découvertes stupéfiantes de la "science moderne", Saint-John Perse souligne l'étonnante parenté entre "l'instrument logique"- dont les deux grandes doctrines posent "l'une un principe général de relativité, (et) l'autre un principe "quantique" d'incertitude et d'indéterminisme..."- et "l'instrument poétique" dont intuition et imagination secourent comme l'indiquait Einstein lui-même "la germination scientifique".
Quant à la conclusion, nous sommes certains, je l'espère, à la connaître par coeur:
"Face à l'énergie nucléaire, la lampe d'argile du poète suffira-t-elle à son propos?
- Oui, si d'argile se souvient l'homme.
Et c'est assez, pour le poète, d'être la mauvaise conscience de son temps."
Discours de Stockholm (La Pléiade, Œuvres complètes)
Rédigé par : jjd | 31 mai 2006 à 14:25
Cher jjd, je me suis permis de rajouter trois liens, dont deux liens audio (le tout premier en RealAudio [Source], et le deuxième en WMA [Source]) à votre commentaire. On peut donc lire, relire... et écouter cet admirable Discours.
Rédigé par : Webmestre de TdF | 31 mai 2006 à 15:07
Grand Merci, chère Angèle, pour ces quelques "braises phosphorescentes", qui, en effet, ravivent ce qui fut simplement un peu d'encre sur du papier.
Rédigé par : jj dorio | 31 mai 2006 à 18:32
Il faut garder en mémoire la définition persienne de l'écriture : "Écrire pour mieux vivre, et plus loin "!
Avec les poèmes, la Poésie, bien sûr, comme fiers "amers" : "... Je vous ferai pleurer, c'est trop de grâce parmi nous. / Pleurer de grâce, non de peine, dit le Chanteur du plus beau chant " (in "Invocation", Amers, Pléiade, O.C. de Saint-John Perse, page 260) !
J'ai découvert en même temps (dans les années 1970...) la poésie de Saint-John Perse et celle de Césaire - toutes deux lues, relues, méditées, infiniment mises en résonance avec et devant la Caraïbe et l'Atlantique martiniquais...
L'enchantement (au sens magique du terme) de cette fréquentation, qui n'a pas cessé, se double à présent d'un regard légèrement amusé sur l'élaboration par le poète - avec une patience soigneuse - de l'altière image de soi telle qu'en elle-même enfin l'érige ce volume de ses œuvres complètes dans la Pléiade, volume qu'il a lui-même orchestré avec la vigilance la plus sourcilleuse. En particulier dans sa notice biographique liminaire. Colette Camelin et Joëlle Gardes Tamine dans LA "RHÉTORIQUE PROFONDE" de SAINT-JOHN PERSE nous apprennent par exemple en effet qu'il y a peu de chances que Saint-John Perse soit né dans cet îlet guadeloupéen "de plaisance", appartenant à sa famille, où il se fait venir au monde. Un îlet qui s'appelle l'"Ilet-aux-Feuilles" et non comme il le nomme îlet "Saint-Léger-les-Feuilles". Les auteures avancent que le choix par Saint-John Perse de ce lieu de naissance, plutôt qu'à Pointe-à-Pitre, relève de cette "fabrication" d'une image anticipant ici la vocation maritime du poète.
De même, toujours selon Colette Camelin et Joëlle Gardes Tamine, la famille du poète ne s’appelait pas Saint-Léger Léger mais avait simplement nom : Léger.
La répétition donnerait-elle à ce lignage un peu plus ...de poids ... à moins que, et beaucoup plus poétiquement, elle ne pointe finalement une connivence atavique du voyageur, amoureux de la voile que fut Perse, avec le vent, qui n'emporte que ce qui est assez "léger" pour le suivre...
Mais "l'homme au masque d'or" évoqué dans la "Dédicace" d'Amers, ou poète au masque de bronze de son portrait sur la première de couverture de la Pléiade, n'y perd rien de sa puissance ni de son charme orphique. A mieux connaître quelques-uns de ses arrangements avec la pure "vérité" biographique, il y gagne au contraire un peu de cette fragilité humaine, un peu de cette émouvante...LÉGÈRETÉ dérisoire de "semblable" et de "frère".
Rédigé par : Martine Morillon-Carreau | 01 juin 2012 à 10:18