Le 27 mai 1944 a lieu au théâtre du Vieux-Colombier, à Paris, la création de Huis clos de Jean-Paul Sartre. La mise en scène est de Raymond Rouleau, les décors de Max Douy. Le rôle d’Inès est interprété par Tania Balachova. Celui d’Estelle par Gaby Sylvia. Michel Vitold joue le rôle de Garcin. Et René-Jacques Chauffard celui du garçon.
Michel Vitold, Gaby Sylvia
et Tania Balachova
lors de la création de Huis clos
le 27 mai 1944.
Source
CONDAMNÉS POUR L’ÉTERNITÉ
D’une extrême densité et efficacité, cette pièce en un acte et cinq scènes est sans doute le chef-d’œuvre dramaturgique de Jean-Paul Sartre (1905-1980). Suggérée par Simone de Beauvoir et un groupe d’amis, la forme de « ce drame, très bref, avec un seul décor et seulement deux ou trois personnages » tente Sartre, qui rédige Huis clos en quinze jours. Sartre a imaginé de faire se rencontrer trois morts, réunis dans l’univers carcéral d’un salon Second Empire. Condamnés pour l’éternité à s’affronter dans la promiscuité de leur « huis clos », les trois personnages ne cessent de ressasser leurs « crimes ». Pris dans l’enfer de cette triangularité, chacun juge l’autre, le possède, sans qu’aucun acte quelconque puisse mettre un terme à cette situation. La mort ayant mis fin à leur libre arbitre, les trois criminels - un révolutionnaire, une infanticide, une suicidée -, sont contraints de supporter des regards auxquels ils ne peuvent rien changer. Chacun des trois personnages est donc condamné à être tour à tour bourreau et victime des deux autres. Parabole impitoyable que celle de Huis clos, dans laquelle la néantisation de l’autre est rendue impossible par la mort. Reste l’enfer.
VERS L'ANTI-THÉÂTRE
Avec Huis clos, Sartre inaugure une dramaturgie totalement nouvelle qui inspirera les auteurs de l’anti-théâtre. Dépouillé à l’extrême, dépourvu d’intrigue et d’issue, le drame de Huis clos l’est aussi de toute psychologie. Ce que cherche à faire le dramaturge, « c’est à mettre en scène sans masque », « l’obscène et fade existence ».
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
INÈS
Il ne fera donc jamais nuit ?
Jamais.
Tu me verras toujours ?
Toujours
Garcin abandonne Estelle et fait quelques pas dans la pièce. Il s’approche du bronze.
Jean-Paul Sartre, Huis-clos [1947], Éditions Gallimard, Collection Folio, pp. 92-93.
Voir aussi : - la très belle fiche de la BnF sur Huis clos. Fiche réalisée à l'occasion de l'exposition Sartre de 2005 ; - (sur @ la lettre) La Naissance de Huis clos par Jean-Paul Sartre ; - (sur Terres de femmes) Rue des Blancs-Manteaux ; - (sur Terres de femmes) 3 juin 1943/Création des Mouches de Jean-Paul Sartre. |
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Reste l'enfer, c'est-à-dire les autres. Et on a le droit de ne pas être d'accord, même avec quelqu'un d'aussi illustre que J.-P. Sartre.
Rédigé par : Pascale | 27 mai 2006 à 12:29
Chère Pascale,
Dans un des liens que donne Angèle, il y a une explication de Sartre en personne à cette petite phrase "l'enfer, c'est les autres" (souvent mal interprétée). Je cite Sartre :
"l'enfer, c'est les autres" a toujours été mal compris. On a cru que je voulais dire par là que nos rapports avec les autres étaient toujours empoisonnés, que c'étaient toujours des rapports infernaux. Or, c'est autre chose que je veux dire. Je veux dire que si les rapports avec autrui sont tordus, viciés, alors l'autre ne peut-être que l'enfer. Pourquoi ? Parce que les autres sont au fond ce qu'il y a de plus important en nous-mêmes pour notre propre connaissance de nous-mêmes. Quand nous pensons sur nous, quand nous essayons de nous connaître, au fond nous usons ces connaissances que les autres ont déjà sur nous. Nous nous jugeons avec les moyens que les autres ont, nous ont donné de nous juger. Quoique je dise sur moi, toujours le jugement d'autrui entre dedans. Ce qui veut dire que, si mes rapports sont mauvais, je me mets dans la totale dépendance d'autrui. Et alors en effet je suis en enfer. Et il existe une quantité de gens dans le monde qui sont en enfer parce qu'ils dépendent trop du jugement d'autrui. Mais cela ne veut nullement dire qu'on ne puisse avoir d'autres rapports avec les autres. Ça marque simplement l'importance capitale de tous les autres pour chacun de nous."
Rédigé par : Yves | 27 mai 2006 à 14:24
Merci Yves d'avoir remis les pendules à l'heure avec cette explication limpide du grand homme.
Rédigé par : Pascale | 28 mai 2006 à 21:02