Il y a quarante ans mourait à Rome, le
21 mai 1973, l’écrivain
Carlo Emilio Gadda, un des plus grands seigneurs de l’écriture du XX
e siècle, et un modèle pour le
Gruppo 63 (Nanni Balestrini,
Edoardo Sanguineti, Umberto Eco, Alberto Arbasino,
Giorgio Manganelli,
Giuseppe Pontiggia, ...) et la Néo-avant-garde italienne
(Neoavanguardia).
Carlo Emilio Gadda
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Lorsque Carlo Emilo Gadda (né au 5 de la via Manzoni à Milan le 14 novembre 1893) meurt à Rome le 21 mai 1973, il y a beau temps que l’ingénieur-écrivain a choisi de se retirer dans la solitude et de se tenir à l’écart des mondanités de la vie littéraire romaine. Pour lesquelles il n’éprouve que mépris et hostilité. En dépit de ce choix qui correspond à son désir, les ultimes années de la vie de Gadda sont assombries par des blessures mal cicatrisées qui tiennent en éveil angoisses et amertumes rageuses.
De formation scientifique, Carlo Emilio Gadda, ingénieur en électronique commence sa carrière d’écrivain en rédigeant des articles à caractère technique pour le journal milanais L’Ambrosiano. Mais sa situation financière souvent critique le tient dans un perpétuel désespoir. Pourtant Gadda s’est déjà imposé comme écrivain, notamment avec des romans comme La madonna dei filosofi (1931), Il castello di Udine (1934) ou encore L’Adalgisa (Disegni milanesi) (1944). Mais il lui faudra attendre la publication par Livio Garzanti de Quer pasticciaccio brutto de via Merulana (1957) [L'Affreux Pastis de la rue des Merles, trad. fr. Editions du Seuil, 1963], dont des extraits avaient été publiés dans la revue Letteratura de 1946 à 1947, pour voir l’ensemble de son œuvre publié à nouveau et bénéficier d’une large audience. En 1963, la publication de son roman La cognizione del dolore (La Connaissance de la douleur) lui vaut le Prix International de Littérature.
Par leur structure labyrinthique mais aussi par les modalités d'écriture (d'une inventivité féconde et tourmentée), les romans de Carlo Emilio Gadda s’apparentent à l’œuvre de Joyce. Véritable laboratoire de langue, y sont présentes toutes les ressources du langage (dialectes, styles, genres, etc.), rendant compte d'une réalité fragmentée et polymorphe.
Depuis la mort de l'écrivain en 1973, le « continent Gadda » ne cesse d'être redécouvert et exploré. C'est ainsi qu'ont été notamment publiés Meditazione milanese (Einaudi, Turin, 1974), Romanzo italiano di ignoto del Novecento (Einaudi, Turin, 1983 ; Récit italien d'un inconnu du XXe siècle, éd. Bourgois, 1997) et Un fulmine sul 220, une nouvelle dont Gadda avait entrepris l'écriture en 1931, nouvelle qu'il transforma en roman en cinq chapitres, et qu'il finit par abandonner en 1936. Ce roman, reconstruit par Dante Isella d'après les notes et carnets autographes de Gadda, a été publié en 2000 chez Garzanti.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
EXTRAIT de QUER PASTICCIACCIO BRUTTO DE VIA MERULANA
Mannaggia ’o pennacchie ’e chillu francese… » borbottò don Ciccio strizzando i denti: erano quelli d’un bull-dog: e la cucina all’ aglio li rendeva bianchissimi. Si vedeva beccar via i cchiù guappi uno dopo l’altro, pe’ mandarli a ingrassà la squadra: a’ squadra politica. Lui intanto steva a grufolà tra li papié.
C’era da pensare a quel bel torno, ora: e un po’ seriamente. Bel torno: si: bello: proprio bello. E a corto de quatrini.
Gli pareva di ricordare una frase del Balducci, una sera alla « cantina di Albano », uscita come a un benigno opinante da quel suo faccione rubizzo: parlava d’una cugina. « Le donne, se sa, quanno so’ innamorate… » aveva cacciate 'o portasigarette, « non badano a certe miserie. Hanno le vedute larghe. » Aveva acceso a Ingravallo, aveva acceso la propria. « Largheggiano, largheggiano. » Là per là non ci aveva fatto caso: le nobbili opinioni del dopocena. Con lui Ingravallo dottor Francesco, a vero dire, nessuna donna aveva mai largheggiato: salvo forse, già, già, la povera signora : in bontà, in gentilezza: come una gentile… inspiratrice. In onor di lei, una volta (arrossì) aveva tentato… un sonetto. Ma non gli erano venute tutte le rime. I versi, però, anche ’o professore Cammaruto li aveva trovati perfetti. « Largheggiano, largheggiano. » Gli pareva, ora, di dover convalidare quella insinuazione un pò generica: forse, già, le donne. « Don Cicce ! ne tenesse nu poco 'a parte. » Il pensiero gli correva via dietro a una rabbia, dietro a una vendicativa rancura. « Mollano pure soldi, oltre al resto ? » No, no. Volle distornare l'ipotesi. Da troppi segni, no, Liliana Balducci… no, no, non era innamorata del cugino. Innamorata? Che, che! Si, certo lo aveva guardato compiaciuta, chella vota, sorridendogli, ma… come a un bel campione della famiglia, come si sorride a un fratello. Uno, ora lo capiva, uno che faceva onore alla gente: disceso anche lui dallo stesso nonno, a lui, anzi, bisnonno. Lei, povera creatura, cugina di suo padre, era. Lei non aveva più né padre né madre. Soltanto ’o marite, bah ! E Giuliano…un bel pollone dritto dritto, venuto su tutto in un momento della medesima ceppaia. Forse… ah, già, s’erano frequentati da ragazzi: come cugini. La genealogia (don Ciccio consultò un foglietto) glie l’aveva racimolata Pompeo. « Zia sua, zi’ Marietta, la moje de zi’ Cesare, era la nonna de Giuliano. Ereno cresciuti insieme, se po dì. Sicché lei, a Giuliano, je parlava come una sorella. Una sorella più granne. »
« E comm’è che se chiamava Valdarena pure essa, da ragazza ?... »
« Com’è ? Ma se spiega appunto cor fatto che er padre suo e er nonno de Giuliano, zi’ Cesare, ereno fratelli. »
« Pecché allora me tiri in scena la Marietta ? ’A parentela, semmai, viene dagli uomini, dai due padri… »
« Sicuro ! »
« Sicuro na capa 'e cavolo ! Zi’ Marietta me l’hai a levà da li cojoni.
Carlo Emilio Gadda, Quer pasticciaccio brutto de via Merulana, Aldo Garzanti Editore, 1957, pp. 78-79-80.
Qu’il aille se faire empapouater a’ecque son plumeau… », marmonna don Ciccio entre ses dents, un dentier de bouledogue, que la cuisine à l’ail blanchissait gratis. C’était vrai, quoi, il se voyait souffler les plus durs-à-cuire l’un après l’autre, pour aller engraisser la sétion. La-sétion-politique. Lui, en attendant, y restait là à farfouiller dans la paperasse.
À présent, il fallait penser un peu au beau gosse: et sérieusement. Beau gosse, oui, tout c’qu’y avait d’ beau. Et à court d’oseille.
Ingravallo avait comme l’impression de se rappeler une phrase de Balducci, un soir, au « Petit Bacchus », sortie de cette hure rubiconde comme avec une complice indulgence. L’autre parlait d’une sienne cousine: « bah, les femmes, quand elles ont l’béguin… » il avait tendu son étui à cigarettes, « elles font pas attention à certaines vétilles. Elles voient large. » Il avait donné du feu à Ingravallo avant d’allumer la sienne. « Elles s’font larges, très larges. » Sur le coup, le Ciccio n’y avait pas prêté attention: les nobles discours de sortie de table. Avec lui, Ingravallo François, à vrai dire, aucune femme n’avait jamais vu large. Sauf, peut-être, en effet, oui, la pauvre Madame: en bonté, en gentillesse. Comme une charmante… inspiratrice. En son honneur, un jour (il s’empourpra) il avait tâté…du sonnet. Oui. Mais les rimes ne lui étaient pas toutes venues. Les vers, en tout cas, même le professeur Cammaruta les avait trouvés parfaits. « Larges, très larges. » Et lui se voyait contraint, à présent, d’entériner cette insinuation d’ordre assez général. Peut-être, en effet, les femmes. « Don Ciccio, devriez en mettre un peu à gauche ! »
Ses pensées lui échappaient, emportées par une sorte de hargne, de vindicative rancoeur. « Et elles lâchent des sous, en plus du reste ? » Non, non. Il s’efforça d’écarter l’hypothèse. Trop d’indices témoignaient que, non, ça non, que Liliane Balducci… non, n’était pas amoureuse de son cousin. Amoureuse ? Quoi, quoi ! bien sûr, elle l’avait regardé avecque complaisance, c’te fois- là, en lui souriant, mais…comme à un beau spécimen de la famille, comme on peut sourire à un frère. Quelqu’un, il le comprenait à présent, quelqu’un qui faisait honneur à la lignée : descendu du grand-père, plutôt. Elle n’avait plus ni père ni mère. Rien que son mari, bah ! Et le Giuliano… un beau rejeton, dru et droit, venu d’un coup de la souche commune. Peut-être… mais, oui, en effet s’étaient-ils connus tout gosses: à titre de cousins. La généalogie (don Ciccio consulta un papier) c’était Pompée qui la lui avait fournie. « Sa tata, tata Mariette, la femme d’tonton César, était la mémé à Giuliano. Y zavaient poussé ensemb’, quasiment. Si bien qu’elle, au Giuliano, elle y parlait comme une vraie sœur. Une grande sœur. »
- Et pourquoi qu’elle s’appelait Valdarena elle aussi, avant de se marier ?...
- Pourquoi ? Mais justement, pasqu’ son papa et l’pépé d’Giuliano, l’tonton César, y zétaient frères.
- Bon, et alors, qu’est-ce que j’en ai à foutre, moi, de c’te Mariette ? La parenté, de toute 'açon, elle vient des hommes, des deux pères.
- Bien sûr !
- Bien sûre des clous ! Ote-moi doncque du milieu cette tata qui me les casse.
Carlo Emilio Gadda, L’Affreux Pastis de la rue des Merles, Éditions du Seuil, 1963, pp. 68-69-70. Traduction de Louis Bonalumi.
Grandissimo Gadda, inarrivabile.
Bello ricordarlo col suo "pasticciaccio", straordinario laboratorio linguistico a tutt'oggi insuperato!
Rédigé par : r.r.florit | 22 mai 2006 à 16:44
Come stai, tutto bene?
Scrivo qui velocemente per avere tue notizie... la mailbox sta traboccando, appena mi fermo un attimo scrivo, abbi fede prima o poi ce la farò! Baci, tanti, rita
Rédigé par : r.r.florit | 22 mai 2006 à 16:47
La revue Le Trait a consacré son n° 10 (automne-hiver 2003) à Gadda. Contributions, notamment, de Jean-Paul Manganaro, Jacqueline Risset, Cécile Guilbert, un commentaire de Pasolini inédit en français sur l'écriture de Gadda.
Informations sur : [email protected]
A bientôt
Rédigé par : Olivier Renault | 28 février 2007 à 13:47
Grande scrittore l'ingegnere, grande storia il "Pasticciaccio" e grande il film tratto dal libro (dal chandleriano titolo di Un maledetto imbroglio), che il regista Pietro Germi dirige, impersonando uno straordinario comissario Ingravallo...
Rédigé par : Renato | 16 avril 2008 à 17:22