Feuilleton pédagogique à l’usage des lycéens Sur la demande réitérée de nombre de mes anciens élèves et au vu des courriers que j'ai reçus ces derniers temps, j’ai pris l’initiative d'entreprendre (en exclusivité pour Terres de femmes) une lecture personnelle de l’une des œuvres au programme du baccalauréat (épreuve de français, Terminale L), en l’occurrence Les Planches courbes d’Yves Bonnefoy. Je remercie Guidu d'avoir si volontiers accepté d'illustrer chacun des épisodes d'un diptyque photographique. N.B. Pour visualiser le plan détaillé de la lecture en cours, CLIQUER ICI. |
LA MAISON NATALE
APPROCHE
Le premier recueil des Planches courbes se ferme sur les deux vers qui réaffirment la confiance du poète dans la poésie : « La première parole » peut advenir, « Le premier feu » peut prendre. Dès lors, « la maison natale » apparaît, qui surgit au sortir du rêve et transcendée par lui. Vrai lieu, « la maison natale » est le lieu des origines. Lieu fondateur de l’imaginaire émotionnel de l’enfant, elle est aussi le lieu-creuset de la poésie.
Composée de douze laisses, La Maison natale confère à l’ensemble du recueil son unité. C’est à partir de ce lieu, autour de lui et des variations dont il fait l’objet, que s’organise l’itinéraire poétique du narrateur. Dès lors, il suffit de franchir le seuil et de suivre l’enfant dans ses déambulations oniriques.
1. Itinérance dans La Maison natale
Au moment où s’ouvre le recueil de La Maison natale, le poète se trouve sur cette lisière spatio-temporelle indécise, indéfinissable, cet entre-deux qui suit le rêve et précède immédiatement la phase de l’éveil. Des éléments de rêve subsistent, avec leurs formes floues, irréelles qui s’immiscent dans les souvenirs. Le recueil suit la forme d’un cheminement fait de rencontres, et se présente comme un itinéraire initiatique à rebours. Qui s’inscrit, avec ses constantes et ses réseaux de variations, dans le passé de l’enfance.
Ainsi, par trois fois, le poème s’ouvre sur le leitmotiv fondateur: « Je m’éveillai, c’était la maison natale » (I, II, III). Diverses figures apparaissent alors, dont celle, essentielle, de Cérès.
En VI, le récit commence par la même formule « Je m’éveillai », mais est proposée une variante qui marque une opposition avec les poèmes précédents et évoque un déplacement d’un lieu à un autre : « mais c’était en voyage ».
Les poèmes IV et V semblent former un diptyque. L’expression : « Dans le même rêve » marque en effet une continuité entre IV et V, et suggère le recommencement du même rêve. Le poème IV s’ouvre sur une variation temporelle : « Une autre fois ». Et le V, qui commence par la conjonction « Or », indique la volonté de construire un raisonnement. Peut-être pour tenter d’établir un lien logique entre les deux moments du même récit de rêve.
Le poème VII s’ancre dans le souvenir « Je me souviens ». La figure centrale de cet épisode est celle du père. C’est aussi dans cet épisode que se trouve la première longue parenthèse de ce recueil, qui enserre la scène du jeu de cartes.
Le poème VIII, plus bref, introduit une contradiction. L’intrusion du présent marque une rupture dans le récit et l’expression « J’ouvre les yeux » signale la fin du sommeil. Pourtant la seconde partie du vers affirme que le lieu dans lequel se trouve le narrateur est celui de l’enfance : « C’est bien la maison natale ». Les figures évoquées ici sont celles des « parents ».
Le poème IX marque l’irruption dans le récit d’un élément nouveau : « Et alors un jour vint ». Le poème est centré autour de la mère, rattachée à la figure biblique de Ruth.
Le poème X marque un saut dans le temps, résumé par l’expression nominale, très condensée, « La vie, alors ». Cette ellipse temporelle est suivie de la présentation de la maison natale, à la fois même (à nouveau/maison natale) et autre. Le déterminant indéfini « une » s’est substitué au défini « la ». Constitué de deux parties, le poème X se caractérise par la présence d’une nouvelle parenthèse, dans laquelle s’insère l’évocation de la mort.
Le poème XI s’articule en deux temps, tous deux au présent de l’indicatif : « Et je repars »/« Et je vois ». L’approche de la mort se fait sentir à travers le réseau d’images que draine le « navire ».
Le dernier poème, le poème XII, le plus mystérieux, apporte des éléments de réponse à l’énigme de la poésie de Bonnefoy : « Je comprends ». Il se clôt sur la réhabilitation de Cérès.
La maison natale, lieu des origines, de l’enfance convoitée et inaccessible, est ce lieu auquel rêves et souvenirs ramènent sans cesse le poète. C’est le lieu où s’ancrent les images génératrices de sens. Lieu fluctuant auquel le poète retourne tout en continuant sa quête de présence au monde. Sa quête de la poésie et du sens.
2. Petite fantaisie allégorique
La parenthèse du poème VII, qui insère l’étrange scène de la partie de cartes jouée entre le père et l’enfant, n’est pas sans évoquer les célèbres Tarots de Milan et de Ferrare. Apparus dès 1425, à la fois jeux de société et méthodes de divination, les tarots étaient très en faveur dans les cours princières des Este, des Visconti et des Sforza. Tarots dont le poète Torquato Tasso, qui en connaissait les subtils arcanes (Trionfi), s’est inspiré dans La Jérusalem libérée. Peut-être Yves Bonnefoy, sensible à la fonction symbolique et « magique » de ces images, a-t-il disséminé dans Les Planches courbes le souvenir de ces mystérieuses figures ?
Le recueil de La Maison natale serait alors un ensemble crypté à la manière d’un jeu de cartes structuré en douze arcanes. Chaque arcane proposant un grand nombre de figures (situations, personnages, objets, vertus).
Les cartes numérotées I à V renvoient à « La Maison natale » onirique. Elles s’organisent autour d’une image centrale :
• « La sans-visage » (I)
• « La déesse » (II)
• « Cérès » (III)
• L’enfant charpentier (IV)
• « Les planches courbes » (V)
Les cartes numérotées de VII à IX, renvoient à « La Maison natale » de la ville. C’est la maison de Tours. Surgissent avec elles les figures du père et de la mère, ou des deux parents ensemble :
• Le père (VII)
• Les parents (VIII)
• La mère (IX)
Entre les deux maisons se trouve une carte unique, la VI. C’est la carte du voyage en train, de la distance qui sépare la ville de Tours de la région aimée où règnent « le feu des vignerons » et « les montagnes basses ». Ce sont les retrouvailles avec la terre maternelle, c’est Toirac retrouvé.
• « La flamme rouge » (VI)
En X surgit une autre maison natale, à la fois lieu du bonheur. Période heureuse de la vie du poète contrebalancée par le surgissement des images de la mort.
• « Les étés »
• « Les tuiles chaudes »
• « Le blé »
Les deux derniers poèmes, éloignés de la maison natale, en rupture avec elle, sont marqués par l’errance et par les images d’angoisse et de mort (XI) et par la réhabilitation de Cérès (XII) :
• Cérès réhabilitée.
Suite : Yves Bonnefoy/ Les Planches courbes (X)
Angèle Paoli/TdF
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Chère Angèle,
Connaissez-vous le jardin des Tarots de Niki de Saint-Phalle ?
Vous devriez aller le visiter ICI.
En attendant, je vous offre une de ses broches !
Amicizia
Guidu________
Rédigé par : Guidu | 24 avril 2006 à 17:01
Guidu le seurçu surtout !
Chère Angèle permettez moi de vous remercier pour votre superbe travail sur l'oeuvre d'Yves Bonnefoy.
Sur ce
Amitiés de la part de la Princesse Semoule
Rédigé par : Belio Semoule | 16 janvier 2007 à 00:09
Bonjour,
Je suis actuellement élève de Terminale L dans un lycée Cherbourgeois et je tenais à vous remercier pour toutes ces précieuses informations sur cette section :).
J'ai en effet un devoir maison à rendre d'ici quelques jours et j'étais cruellement en manque d'inspiration concernant ce sujet que j'estime, sûrement à tort, assez difficile à cerner et traiter: "En quoi peut-on dire que la section La Maison Natale participe d'une écriture autobiographique ?". Il ne s'agit donc pas là de s'attarder sur l'autobiographie elle-même mais sur l'écriture autobiographique, ce qui me perd un peu.
Quoi qu'il en soit, je tenais à vous adresser mes remerciements pour votre travail, sachez qu'il est très apprécié d'un étudiant un peu perdu et surchargé :].
Appréciable de travailler sur du Bonnefoy en lisant vos articles, l'Air de la reine de la nuit (Der Holle Rache) dans les oreilles.
Encore merci,
Ath'.
Rédigé par : Athamo | 14 mai 2007 à 21:00