Voix blanches envahies de nuit.
Voix de femme, Voir de femme,
c'est aussi voir “les larmes,
les larmes dans l'œil frère”
Ph., G.AdC
Stimmen
“Stimmen, ins Grün
der Wasserfläche geritzt.
Wenn der Eisvogel taucht,
sirrt die Sekunde :
Was zu dir stand
an jedem der Ufer,
es tritt
gemäht in ein anderes Bild.
*
Stimmen, vom Nesselweg her :
Komm auf den Händen zu uns.
Wer mit der Lampe allein ist,
hat nur die Hand, draus zu lesen.
*
Stimmen, nachtdurchwachsen, Stränge,
an die du die Glocke hängst.
Wölbe dich, Welt:
Wenn die Totenmuschel heranschwimmt,
will es hier läuten.
*
Stimmen, vor denen dein Herz
ins Herz deiner Mutter zurückweicht.
Stimmen vom Galgenbaum her,
wo Spätholz und Frühholz die Ringe
tauschen und tauschen.
*
[...]
Jakobsstimme :
Die Tränen.
Die Tränen im Bruderaug.
Eine blieb hängen, wuchs.
Wir wohnen darin.
Atme, daß
sie sich löse.
*
Stimmen im Innern der Arche:
Es sind
nur die Münder
geborgen. Ihr
Sinkenden, hört
auch uns.
*
Keine
Stimme – ein
Spätgeräusch, stundenfremd, deinen
Gedanken geschenkt, hier, endlich
herbeigewacht: ein
Fruchtblatt, augengroß, tief
geritzt; es
harzt, will nicht
vernarben.”
Paul Celan, “Stimmen”, Sprachgitter, S. Fischer Verlag, Frankfurt am Main, 1959.
Voix
« Voix, rayures
dans la face verte de l’eau.
Quand le martin-pêcheur plonge,
la seconde grésille :
ce qui était à tes côtés
sur chacune des rives,
pénètre
fauché dans une autre image.
*
Voix venues du chemin d’orties
viens sur les mains jusqu’à nous.
Quand on est seul avec la lampe,
on n’a que la main pour y lire.
*
Voix, envahies de nuit, cordes
auxquelles tu pends la cloche.
Arque-toi, monde :
quand le coquillage des morts s’approchera de la rive
les cloches vont sonner ici.
*
Voix devant qui ton cœur reflue
jusque dans le cœur de ta mère.
Voix venues de l’arbre gibet,
où bois dur et bois jeune échangent,
sans cesse échangent leurs anneaux.
*
[…]
Voix de Jacob :
Les larmes.
Les larmes dans l’œil frère.
L’une d’elles est restée suspendue, a grossi.
Nous habitons dedans.
Respire, pour
qu’elle se détache.
*
Voix dans l’intérieur de l’arche :
n’ont été
sauvées que les
bouches. Vous
qui sombrez, écoutez-
nous aussi.
*
Pas une
voix – un
bruit de la fin, étranger aux heures, offert
à tes pensées, ici, enfin porté
jusqu’ici à force de veille : un
pistil, gros comme un œil, avec une profonde
rayure ; il
bave de la résine, ne veut pas cicatriser. »
Paul Celan, « Voix » in Grille de parole, Choix de poèmes réunis par l’auteur, Gallimard, Collection Poésie (édition bilingue), 1998, pp. 124-129. Traduction de Jean-Pierre Lefebvre.
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* Les choix typographiques adoptés (alternance de romain et d'italiques) respectent ceux de l'édition bilingue Gallimard et sont aussi conformes aux intonations particulières de la voix de Paul Celan à la lecture de ce poème (voir ci-dessous).
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