CARROSSES ET CARESSES
Délicieusement précieux, ce tractatus du « transport amoureux ». Et rempli d’un humour à réjouir le corps (et l’âme). Il s’agit pourtant bien d’un traité. Consacré, avec art il est vrai, à la « passionnante » question du « transport amoureux ». Transport ? Polysémique, le mot est fort bien choisi. Efficace et ailé. Qui permet de passer, sans détours ni préambules des émois de l’âme (et surtout du corps) aux voitures, diligences, phaétons et autres carrosses qui, frénétiquement, en rythment mouvements et secousses. C’est qu’il faut aller vite en ce siècle de libertinage et qu’il n’y a pas de temps à perdre. Homme d’avant-garde, l’homme des Lumières est tout aussi pressé que L’Homme pressé de Paul Morand. Et sans doute plus érotiquement averti. Giacomo Casanova en est l’illustre véhicule qui sillonne, inépuisable, les routes d’Europe et mène grand train dans les calèches. Dont il goûte en parfait connaisseur les délicieuses jouissances. Casanova ou le transport fait homme.
Dans ce contexte, le propos de l’auteur glisse fort habilement d’un « transport » à l’autre, transports émotionnels brillamment soutenus et étayés par les moyens de transports en fureur à l’époque. Calèches, fiacres, chaises à porteur et autres diligences défilent tour à tour, selon les nécessités du moment, investis avec brio et volupté, pour la parade amoureuse. Qui fait dire aux gourmandes voyageuses : « Quand nous reverrons-nous ? Quand referons-nous la diligence ? »
Avec la complicité entendue de cochers diligents, l’auteur transporte dans sa berline le lecteur éberlué mais séduit, conduit de main de maître, au cœur d’une réflexion nourrie et savante. Le tout au gré d’une métaphore météorique savamment filée. Fouette, cocher ! On y croise en cours de course et haletants les incontournables figures de « célérissimes » libertins. Casanova, toujours et encore et Crébillon fils, qui sait, lui, La Nuit et le Moment. Diderot et Marivaux. Personnages de fictions, fidèles doublures de leurs créateurs et comme eux emportés dans le trépidant tourbillon de la « circulation amoureuse ». On y croise des galantes, la Lepi et l’Astrodi, toutes deux coquines expertes en exercices libertins. Des actrices et des chanteuses, des Julie et des Marianne, des Manon et des Margot. Qui rivalisent d’inventivité dans leur fréquentation des hommes, qu’elles côtoient, aiment, épuisent et entraînent jusque dans les airs. Pour couronner les plaisirs et les folies des transports amoureux. Des airs, elles en prennent, dans les montgolfières, ces premiers cabriolets aériens. « Amours. Azurs. Délices. » Brillance et légèreté qui rendent hommage à la langue et à la mappemonde littéraire du XVIIIe siècle. C’est que, dans ce siècle-là, Monsieur, « carrosse et caresse » ont partie liée.
Patrick Wald Lasowski, Le Traité du transport amoureux, Gallimard, 2004.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
Voir/écouter aussi : - sur (Terres de femmes) «Voiturez-nous ici les commodités de la conversation» ; - (sur erudit.org) Faire catleya au XVIIIe siècle de Benoît Melançon ; - Le Fiacre de Xanrof chanté par Yvette Guilbert [Source]. |
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