Dora Maar au musée Picasso. Exposition au Musée national Picasso, Paris, 15 février-22 mai 2006 D.R. Ph. Angèle Paoli-Baldassari À la date de la mort de Picasso (8 avril 1973), Dora Maar (Henriette Theodora Markovitch, née le 22 novembre 1907 rue d'Assas, à Paris*) est âgée de 66 ans. Picasso et Dora sont séparés depuis de nombreuses années déjà. Depuis le début de l’année 1946, date de leur rupture définitive, Dora Maar vit enfermée au milieu de ses souvenirs, notamment à Ménerbes, dans le Lubéron, dans la maison que Picasso lui a offerte en cadeau de rupture. Dans l’appartement parisien du 6, rue de Savoie, qu’elle habita jusqu'à sa mort (16 juillet 1997), ont été retrouvés œuvres et documents inédits, précieusement gardés par l’artiste. Témoignages d’une époque de félicité amoureuse et de fécondité créatrice, où peinture et photographie s’entrecroisaient, portées mutuellement l’une par l’autre. Parmi les documents jalousement gardés, une série de vingt-cinq photos de Pablo Picasso, signées Dora Maar. Réalisées au cours d’une séance de pose, pendant l’automne-hiver 1935-1936, peu après que Paul Éluard eut présenté Dora Maar à Picasso au café « Les Deux Magots » (selon le témoignage de Brassaï).
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DORA MAAR © Succession Picasso/DACS 2007 Source ■ Voir aussi ▼ → (sur belcikowski.org) Dora Maar photographe et peintre → (sur YouTube) un montage de photographies de Dora Maar → (sur YouTube) Dora Maar et Picasso → (sur le site du Guardian) A tortured goddess, by Mary Ann Caws → (sur all-art.org) de très nombreuses photographies de Dora Maar → le site du Musée Picasso → (sur Terres de femmes) Son œil de Dora Maar Dora Maar Portrait de Pablo Picasso, 1936 Huile sur toile, 65 x 54,5 cm Toile vendue chez Sotheby's Paris le 9 décembre 2009 Source ■ Picasso sur Terres de femmes ▼ → 1er avril 1936 | André Lhote, « Expositions Picasso » → 13 juillet 1937 | Guernica au Trocadéro → 19 mars 1944 | Le Désir attrapé par la queue, Picasso → 8 avril 1973 | Mort de Pablo Picasso (+ vidéo) |
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… Sa fuite, course éperdue sans raison, lui faisait côtoyer la haine, accepter le vide, admettre de n'être rien. Il ne se rendit pas à l’atelier. L'horreur d'avoir à s'expliquer était insupportable. Et puis il lui fallait un prétexte pour n'avoir pas à poursuivre sa pénible mise en forme de la vie vaincue, d'une oeuvre en dépit des jours. Il avait définitivement abandonné son portrait.
Pablo pensa à Dora. A sa haine. A son désespoir. A sa vie vide. Son mépris s'éloignait, son dépit s'estompait. L’indifférence prenait le dessus. Il agençait les raisons de se taire, de les laisser aller. Les événements se succédaient les uns avant les autres dans une grande confusion. Il ne comprenait plus rien. Son arrogance et son amertume se transmutaient en ironie. Sa détresse et son nihilisme en espérance. Il écoutait simplement le cliquetis de l'appareil photo contre la ceinture de Dora scander ses pensées, rythmer leurs démarches. Ils marchaient ensemble, dans le soir, dans la ville…
Rédigé par : Guidu | 08 avril 2006 à 12:57
Dora avait le cliquetis de son Rolleiflex inscrit dans ses fibres. Et, derrière ses paupières, les flashes rapides et envoûtants de la séance de photos. Tout en marchant aux côtés de Pablo, elle le regardait à la dérobée. Il lui semblait qu’il vibrait encore, subjugué par cette force un peu masculine qui émanait d’elle, par cette volonté précise, aiguë, obstinée qu’elle avait de vouloir s’approprier sa personne. Sous l’emprise de son objectif, le taureau s’était fait docile, prêt à prolonger les poses d’animal séduit qu’elle lui imposait. Il était prisonnier de la boîte noire bien davantage que des volutes denses de sa cigarette. L’appareil photo était son allié, à elle, Theodora. Un allié dont elle pouvait se servir pour épier l’autre, impunément. Elle avait savouré avec une intense jubilation le pouvoir divin qui avait mis Pablo à sa merci. Elle se demandait ce qu’il allait advenir d’elle maintenant. Elle sentait le «toro» préoccupé, indécis, assailli de sentiments contradictoires. Mais elle sentait aussi les vibrations de son corps tendu vers elle. Elle se demanda combien de temps il lui faudrait attendre avant qu’il fasse d’elle son amante. Peut-être quelques heures à peine. Peu importait le jour et le moment. Il lui fallait être vigilante, voilà tout. Il pourrait la dévorer et ne faire d’elle qu’une bouchée. Elle regarda les lèvres pulpeuses de Pablo et sourit d’indulgence. Elle était de taille à affronter le Minotaure. Elle était Dora Maar.
Rédigé par : Angèle Paoli | 08 avril 2006 à 17:01
Oui, Angèle, je le sens bien comme toi.
C'était effectivement la rencontre de deux séducteurs créateurs qui sentaient qu'ils pouvaient s'apporter.
Dora ne devait pas penser possible alors de se faire détruire par une telle passion, elle qui avait eu tant de prétendants auparavant auxquels elle faisait tourner la tête. N'aurait-elle pas lors de leur première rencontre planté un couteau entre les doigts de sa main ? Symbolique, non ? Mais là, elle allait trouver son maître. Elle lui aura tout donné.
Lui, ne lui aura donné que ce qu'il aura voulu, en gardant la distance nécessaire. Il était minotaure et pouvait comme un toréador respecter les limites de "sécurité".
Picasso est toujours resté maître de sa relation, plus expérimenté, ayant déjà souffert et se retrouvant au moment de la rencontre avec Dora au plus bas, dans une période de doute comme il n'en connaîtra jamais d'autres. Il ne peignait plus. Il avait besoin d'elle, de sa lumière.
Dora photographiait en noir et blanc, Picasso peignait habituellement en couleurs. Il était alors terne, elle était lumineuse. Terres de contrastes, qui s'inverseront ensuite, plus tard.
Mais Picasso était un homme de feu qui devait tout prendre, tout dévorer, tout posséder. Il devait s'alimenter de ses femmes.
J'étais allée voir une autre exposition consacrée à Picasso au Musée Picasso il y a 2 ans je crois. J'avais été impressionnée par le nombre de femmes qu'il avait eues. L'expo était superbe non seulement par les pièces exposées, mais par le fait qu'elle retraçait chaque période de Picasso au travers des femmes (si nombreuses) avec lesquelles il avait vécu.
Une question : Picasso était-il capable de peindre sans aimer. Ne lui fallait-il pas toujours une muse ?
Cet homme est fascinant et Dora Maar ne l'est pas moins. J'ai eu un goût de trop peu lors de l'expo intitulée "Dora Maar", ses propres oeuvres à elles n'y étaient pas assez nombreuses, Picasso l'écrasait encore...
Merci à toi. Bravo à Guidu pour son travail et pour son commentaire.
Rédigé par : chrysalide | 08 avril 2006 à 19:27
"Elle allait trouver son maître...". Je suppose que tu as noté la "petite phrase" (comme l'on dirait d'une ligne mélodique inoubliable que l'on fredonne) de Dora Maar : "Je n'ai pas été la maîtresse de Picasso. Il a seulement été mon maître".
Rédigé par : Yves | 08 avril 2006 à 20:00
La différence entre Dora Maar et les autres femmes que Picasso a aimées, c'est que Dora était une artiste. Une artiste reconnue au moment de leur rencontre. Le piège dans lequel Dora est tombé, c'est de s'être mise à la peinture. Poussée par Picasso, elle s'est installée sur son terrain. Là, elle n'était plus de taille, évidemment ! Dès lors, il était facile pour Picasso de tourner son travail en dérision. Dora aurait dû résister à cette tentation et continuer de lui tenir la dragée haute, comme photographe exclusivement ! Comment une femme aussi douée a-t-elle pu commettre pareille erreur ?
Rédigé par : Angèle Paoli | 08 avril 2006 à 20:29
Merci pour ces petits éclaircissements et ces liens riches en découvertes...
Rédigé par : herwann | 08 avril 2006 à 22:54
Comme l'histoire se répète. Ce que tu dis, Angèle, de la facilité avec laquelle Picasso a pu tourner en dérision le travail de peinture de Dora Maar, m'a instantanément fait penser à la relation Camille Claudel-Auguste Rodin. La maîtresse et le maître qui, là aussi, accepte mal de partager son talent...
Rédigé par : pascale | 09 avril 2006 à 15:36
Du régal que vos commentaires sur Picasso et Dora Maar, merci à vous tous.
Mais pour rebondir sur la remarque d'Angèle : "Comment une femme aussi douée a-t-elle pu commettre pareille erreur ?"
Tu le sais bien, n'est-ce pas?
Rédigé par : Edith | 09 avril 2006 à 22:31
Oui, Edith, bien évidemment, je le sais. Tu fais allusion dans un de tes courriers à plusieurs commentaires de toi, mis en ligne ce week-end. Celui-ci est le seul qui me soit parvenu. Le précédent remonte au 6 mai.
Rédigé par : Angèle | 12 avril 2006 à 00:29