Le
9 avril 1963, le film anglo-américain de David Lean,
Lawrence d'Arabie, est récompensé par
sept Oscars. Dont l’Oscar du meilleur cinéaste et celui du meilleur film.
Servi par une palette de grands acteurs – Peter O’Toole dans le rôle du colonel Thomas Edward Lawrence, Alec Guinness dans le rôle du prince Fayçal, Anthony Quinn dans celui du cheikh Auda et Omar Sharif dans le rôle du cheikh Ali –, le film Lawrence d’Arabie, réalisé en 1962, connaît un important succès commercial.
Je crois que je me souviendrai toujours de Lawrence d’Arabie et de la musique envoûtante de Maurice Jarre. Jamais je ne pourrai oublier les longues chevauchées dans les déserts brûlants, les ondulations lentes des caravanes sur la crête des dunes, les mirages qui faisaient miroiter les oasis, la djellaba éclatante virevoltant autour du cavalier Lawrence. Jamais non plus ne s’effacera de ma mémoire la scène des sables mouvants et du jeune chamelier englouti avec sa monture. Aspiré dans son cri, devant les hommes impuissants.
C’était le temps des séances de cinéma du mercredi après-midi. C’était Marseille. Le premier choc du désert. Choc et fascination. Je me souviens de la scène d’ouverture du film - une motocyclette roulant dans la campagne verdoyante d’Angleterre - et l’accident qui coûta la vie à Lawrence en 1935. Scène immédiatement suivie d’un flash-back qui m’a propulsée dans les villes blanches du pourtour méditerranéen, grouillantes d’une animation de ruche. Et entraînée dans la vie mouvementée et exaltante de cet homme dont jusqu’alors j’ignorais tout.
Pour réaliser Lawrence d’Arabie, David Lean s’est plongé dans l’ouvrage qui, en 1935, révèle Thomas Edward Lawrence (1888-1935) au grand public : Les Sept Piliers de la sagesse. Publié dans une édition limitée à Oxford en 1922, puis par souscription en 1926, cet ouvrage retrace l’épopée du colonel Lawrence en Arabie, à partir de notes prises au jour le jour. Il est le témoignage d’un homme d’action engagé dans le soutien de la révolte des Arabes contre les Turcs. Mais surtout celui d’un intellectuel qui ne croit plus aux idées mais aux seuls actes, et que son désespoir conduit au nihilisme. Les Sept Piliers de la sagesse sont aussi l’œuvre d’un écrivain « à la langue heurtée, tumultueuse, agitée de fantômes, pleine de sons et de couleurs intenses… »
Source
EXTRAIT
« À midi, nous nous arrêtâmes à un endroit qui évoquait un jardin à l’état sauvage, où montait jusqu’à notre taille de l’herbe juteuse et des fleurs dont nos chameaux réjouis se gavèrent pendant une heure, avant de se coucher, repus et éberlués.
Le jour paraissait devenir de plus en plus chaud; le soleil se rapprochait et nous grillait, sans air qui nous séparât de lui. Le sol propre et sableux était si cuit que mes pieds nus ne pouvaient les supporter, et je devais marcher en sandales, à l’amusement de Juheina, dont la corne épaisse résistait même à la braise. Comme l’après-midi avançait, la lumière pâlit, mais la chaleur augmenta régulièrement, avec une oppression et une lourdeur qui me prirent par surprise. Je tournais sans cesse la tête pour voir si quelque masse ne se trouvait pas juste derrière moi, empêchant l’air d’arriver.
Toute la matinée, il y avait eu de longs roulements de tonnerre dans les collines, et les deux pics, Serd et Djasim, étaient enveloppés de replis de brume bleu sombre et jaune qui paraissaient immobiles et solides. Enfin, je vis qu’une partie du nuage jaune du Serd venait lentement contre le vent dans notre direction, faisait lever à ses pieds des dizaines de démons de poussière.
Le nuage était presque aussi haut que la colline. Pendant qu’il approchait, deux colonnes de poussière, cheminées étroites et symétriques, s’avancèrent, une à la droite et une à gauche de son front. Soucieux, Dakhil-Allah chercha du regard un abri en avant ou sur les côtés, mais n’en vit aucun. Il m’avertit que la tempête serait rude.
Quand elle approcha, le vent qui nous desséchait le visage de sa brûlante oppression changea soudain et, après avoir attendu un instant, souffla un froid et une humidité amers sur mon dos. Il augmenta aussi beaucoup de violence et, au même moment, le soleil disparut, masqué par d’épais lambeaux d’air jaune au-dessus de nos têtes. Nous nous tenions dans une lumière horrible, ocreuse et agitée. Le mur brun de nuages venant des collines était maintenant très proche : inaltérable, il se précipitait sur nous avec un fort bruit grinçant. Trois minutes plus tard il frappa, enroulant autour de nous une couverture de poussière et de grains de sable piquants, se tordant et tournoyant en violents tourbillons, et avançant vers l’est à l’allure d’un fort ouragan… »
T.E. Lawrence, Les Sept Piliers de la sagesse, Éditions Gallimard, Collection Folio, 1992, pp. 289-290.
Désert, action, littérature... C'est vrai que le film avait de la présence. A T.E. Lawrence, j'ai appris, depuis, à préférer son homonyme, D.H. Lawrence (pour sa bravoure morale) et... Théodore Monod. Qui déserte, lui aussi, qui agit, qui écrit. Faut-il choisir ? C'est selon. J'ai choisi de choisir David et Théodore. - J.-M.
Rédigé par : Jean-Marie | 10 avril 2006 à 00:48
David et Théodore comme Jules et Jim ? J'ai un peu de mal, tout de même, mon cher Jean-Marie, à imaginer Théodore lisant sur son chameau L'Amant de Lady Chatterley, ou comme figurant dans Women in Love de Ken Russell, dissertant sur l'art de manger les figues. Ceci reste entre nous évidemment...
Rédigé par : Yves | 10 avril 2006 à 01:23
Pour ce qui est de Théodore, je suis assez d'accord avec Yves. Le seul et unique roman que Théodore lisait dans le désert, c'était, c'était... Allons, Jean-Marie, donnerez-vous votre langue au chat ?
Ce n'est que lorsque vous nous aurez donné votre réponse que nous pourrons réellement choisir!
Rédigé par : Angèle Paoli | 10 avril 2006 à 01:38
"Il savait écouter. Et il savait lire. Pas les livres, ça tout le monde peut : lui, ce qu'il savait lire, c'était les gens. Les signes que les gens emportent avec eux : les endroits, les bruits, les odeurs, leur terre, leur histoire... Ecrite sur eux, du début à la fin. Et lui, il la lisait, et avec un soin infini, il cataloguait, il répertoriait, il classait... Chaque jour, il ajoutait un petit quelque chose à cette carte immense qui se dessinait peu à peu dans sa tête, une immense carte, la carte du monde, du monde tout entier..." Alessandro Baricco, >Novecento, pianiste, page 44. (JM)
Rédigé par : Jean-Marie. | 10 avril 2006 à 08:40
Oui, les grands espaces d’humanité, la fierté du désert
…
Mais toute cette tristesse dans les yeux de Lawrence, dans les yeux de Peter...
Et cette inévitable trahison des hommes…
Rédigé par : Yann | 10 avril 2006 à 14:05
Bien sûr, il y avait le livre de la vie. Celui-là, il le lisait presque les yeux fermés, jusque dans les moindres ridules de la peau. La peau de la terre et celle des hommes. Pourtant, il avait toujours avec lui un livre, "Le livre". Le seul dont il ne pût se passer. Celui-là l'accompagnait partout. Tous les jours il en lisait de larges extraits, grignotés ici et là par le sable du désert. Il connaissait tous les rouages de ce roman d'une époque révolue, il en avait analysé toutes les finesses, toutes les subtilités. Il l'aimait. Il en savourait les phrases. Le style sobre de cet écrivain hors pair l'absorbait tout entier. Seul, perdu dans les immensités arides, il se reposait des fatigues de ses longues marches avec une femme de lettres. Une femme du Grand Siècle. Madame de La Fayette. Et il bivouaquait, tous les soirs, sous le ciel étoilé de la cour d'Henri II, avec la plus noble des princesses. La Princesse de Clèves.
Rédigé par : angelepaoli | 10 avril 2006 à 23:48