Le
4 avril 1846 naît à Montevideo
Isidore Ducasse, dit Comte de
Lautréamont.
Aquatinte numérique originale de G.AdC.
ISIDORE DUCASSE
Né au sein d’une famille originaire de Bazet, près de Tarbes (Hautes-Pyrénées), Isidore Ducasse est une figure inclassable de la littérature française. « Une planète » à part, dominée par le spectre maléfique de Maldoror, hanté par la violence et la mort. Les Chants de Maldoror, dont la première partie a été publiée en 1868, à compte d’auteur et sans signature, paraisssent l’année suivante à Bruxelles en édition complète. Sous le pseudonyme « Comte de Lautréamont. » Mais la critique, alertée par la noire audace de l’ouvrage, en fait suspendre la diffusion. Isidore Ducasse annonce alors qu’un ouvrage, empli de sagesse et de repentir, est en préparation. Il meurt le 24 novembre 1870 sans avoir eu le temps de publier l’intégralité de ses Poésies, dont n’ont été édités que le premier et le second fascicule (en avril et juin 1870 chez Balitout, Questroy et Cie, à Paris). Isidore Ducasse est inhumé le 26 novembre au cimetière du Nord dans une concession temporaire, avant d’être mis dans la fosse commune.
LES CHANTS DE MALDOROR
Composés de six chants, eux-mêmes divisés en strophes, Les Chants de Maldoror échappent à toute volonté de classification précise. S’agit-il d’un long poème en prose ? S'agit-il d’un récit ? De prose poétique sans doute, à l’orée du roman, dont chaque chant peut néanmoins se lire indépendamment de l’autre, de façon autonome.
Pourtant, un fil conducteur existe, qui guide Maldoror d’un chant à l’autre. Une unité se tisse autour du héros maudit et maléfique, porteur dans son identité même d’une dualité mortelle. Tressée de mal, de douleur et d’or. Héritier du romantisme noir, Maldoror se complaît dans la contemplation de sa souffrance. Mais au-delà de cette contemplation, le héros révolté, rongé par une soif d’absolu inextinguible, se change en une créature cruelle, meurtrière et anthropophage. Qui se hait au travers de la haine qu’il nourrit pour les hommes et pour leur Créateur.
Héros désespéré, Maldoror est la création d’un écrivain de la cruauté. L’écriture de Lautréamont, riche de fantasmagories et peuplée de monstres, est une écriture de l’incandescence. Débridée et provocante, hybride et polysémique, elle porte en elle insanité et beauté. Ces fleurs extrêmes du mal.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
CHANT IV, 4
« Je suis sale. Les poux me rongent. Les pourceaux, quand ils me regardent, vomissent. Les croûtes et les escarres de la lèpre ont écaillé ma peau, couverte de pus jaunâtre. Je ne connais pas l’eau des fleuves, ni la rosée des nuages. Sur ma nuque, comme sur un fumier, pousse un énorme champignon, aux pédoncules ombellifères. Assis sur un meuble informe, je n’ai pas bougé mes membres depuis quatre siècles. Mes pieds ont pris racine dans le sol et composent, jusqu’à mon ventre, une sorte de végétation vivace, remplie d’ignobles parasites, qui ne dérive pas encore de la plante, et qui n’est plus de la chair. Cependant mon cœur bat. Mais comment battrait-il, si la pourriture et les exhalaisons de mon cadavre (je n’ose pas dire corps) ne le nourrissaient abondamment ? Sous mon aisselle gauche, une famille de crapauds a pris résidence, et, quand l’un d’eux remue, il me fait des chatouilles. Prenez garde qu’il ne s’en échappe un, et ne vienne gratter, avec sa bouche, le dedans de votre oreille : il serait ensuite capable d’entrer dans votre cerveau. Sous mon aisselle droite, il y a un caméléon qui leur fait une chasse perpétuelle, afin de ne pas mourir de faim : il faut que chacun vive. Mais, quand un parti déjoue complètement les ruses de l’autre, ils ne trouvent rien de mieux que de ne pas se gêner, et sucent la graisse délicate qui couvre mes côtes : j’y suis habitué. Une vipère méchante a dévoré ma verge et a pris sa place : elle m’a rendu eunuque, cette infâme. Oh ! si j’avais pu me défendre avec mes bras paralysés ; mais, je crois plutôt qu’ils se sont changés en bûches. Quoi qu’il en soit, il importe de constater que le sang ne vient plus y promener sa rougeur. Deux petits hérissons, qui ne croissent plus, ont jeté à un chien, qui n’a pas refusé, l’intérieur de mes testicules : l’épiderme, soigneusement lavé, ils ont logé dedans. L’anus a été intercepté par un crabe ; encouragé par mon inertie, il garde l’entrée avec ses pinces, et me fait beaucoup de mal ! Deux méduses ont franchi les mers, immédiatement alléchées par un espoir qui ne fut pas trompé. Elles ont regardé avec attention les deux parties charnues qui forment le derrière humain, et, se cramponnant à leur galbe convexe, elles les ont tellement écrasées par une pression constante, que les deux morceaux de chair ont disparu, tandis qu’il est resté deux monstres, sortis du royaume de la viscosité, égaux par la couleur, la forme et la férocité. […]
Voyageur, quand tu passeras près de moi, ne m’adresse pas, je t’en supplie, le moindre mot de consolation : tu affaiblirais mon courage. Laisse-moi réchauffer ma ténacité à la flamme du martyre volontaire. Va-t’en... que je ne t’inspire aucune piété. La haine est plus bizarre que tu ne le penses ; sa conduite est inexplicable, comme l’apparence brisée d’un bâton enfoncé dans l’eau. Tel que tu me vois, je puis encore faire des excursions jusqu’aux murailles du ciel, à la tête d’une légion d’assassins, et revenir prendre cette posture, pour méditer, de nouveau, sur les nobles projets de la vengeance. Adieu, je ne te retarderai pas davantage ; et, pour t’instruire et te préserver, réfléchis au sort fatal qui m’a conduit à la révolte, quand peut-être j’étais né bon ! Tu raconteras à ton fils ce que tu as vu ; et, le prenant par la main, fais-lui admirer la beauté des étoiles et les merveilles de l’univers, le nid du rouge-gorge et les temples du Seigneur. Tu seras étonné de le voir si docile aux conseils de la paternité, et tu le récompenseras par un sourire. Mais, quand il apprendra qu’il n’est pas observé, jette les yeux sur lui, et tu le verras cracher sa bave sur la vertu ; il t’a trompé, celui qui est descendu de la race humaine, mais, il ne te trompera plus : tu sauras désormais ce qu’il deviendra. Ô père infortuné, prépare, pour accompagner les pas de ta vieillesse, l’échafaud ineffaçable qui tranchera la tête d’un criminel précoce, et la douleur qui te montrera le chemin qui conduit à la tombe. »
Lautréamont, Les Chants de Maldoror, Chant IV, 4, Le Livre de Poche, 1968, pp. 233-237.
Et quand bien même de Serge Gainsbourg !
Et quand bien même
tu m'aimerais encore
j'me passerais aussi bien de ton désaccord c'est l'mêm' dilemme
entre l'âme et le corps
comme un arrière goût de never more Lautréamont les chants d'Maldoror
tu n'aimes pas moi j'adore et quand bien même
tu m'pass'rais sur le corps
je ne me sens plus de faire aucun effort c'est le théorème
de tous les anticorps
un problèm' de rejet ou d'accord Lautréamont les chants d'Maldoror
tu n'aimes pas moi j'adore et quand bien même
je me lève aux aurores
et je fais les cents pas dans le corridor les chrysanthèmes
sont des fleurs pour les corps
refroidis ça t'va bien quand tu dors Lautréamont les chants d'Maldoror
tu n'aimes pas moi j'adore et quand bien même
tout se voile dehors
je me guiderais sur l'étoile du nord rompre les chaînes
sans souci de son sort
s'éloigner des regrets et remords Lautréamont les chants d'Maldoror
tu n'aimes pas moi j'adore et quand bien même
tu m'aimerais encore
j'me passerais aussi bien de ton désaccord c'est le mêm' dilemme
entre l'âme et le corps
comme un arrière goût de never more Lautréamont les chants d'Maldoror
tu n'aimes pas moi j'adore
Amicizia
Guidu ____
Rédigé par : Guidu | 08 décembre 2006 à 14:40