Il y a cent neuf ans, le 22 avril 1912, naissait dans le Lancashire, à Higher Walton, Kathleen Ferrier, troisième enfant de William et Alice Ferrier.
Kathleen Ferrier appartient à une famille de mélomanes. Durant sa petite enfance, elle pianote. À l’âge de neuf ans, elle peut enfin commencer à prendre des leçons. Mais, à quatorze ans, contrainte de renoncer à l’école, elle travaille comme télégraphiste à la poste. Malgré les difficultés financières que connaît sa famille, elle poursuit ses études musicales. En 1937, après avoir obtenu le premier prix d’un concours de piano, elle entre dans un cours de contralto. En 1940, elle prend des leçons de chant avec le Dr Hutchinson, qui obtient pour elle une bourse. Kathleen Ferrier commence à se produire en concert. La CEMA (Conseil pour l'Encouragement de la Musique et des Arts) s’intéresse à elle. Elle travaille d'arrache-pied sa technique vocale, enrichit son répertoire, qui s’étend de Bach à Dvořák. Engagée par l’impresario John Tillett, elle s’installe à Londres où elle prend des cours avec le baryton Roy Henderson, professeur à l’Académie Royale de Musique. La rencontre de Bruno Walter Son premier grand succès date du 17 mai 1943. Elle interprète Le Messie de Haendel, aux côtés de Peter Pears. Dans l'abbaye de Westminster. Après la guerre, Kathleen Ferrier commence à enregistrer. En 1946, elle est choisie pour créer Le Viol de Lucrèce, de Benjamin Britten. Bien qu’elle se sente mal à l’aise dans l’opéra, elle donne de « Lucrèce » une interprétation inoubliable. En 1947, elle interprète « Orphée », dans l’Orfeo de Gluck, un rôle mythique dans sa carrière de chanteuse. C’est à cette période qu’elle fait la rencontre de Bruno Walter. Qui lui fait découvrir Gustav Mahler. Ensemble, ils interprètent Le Chant de la Terre au premier festival d’Édimbourg. Kathleen Ferrier éprouve pour la musique de Malher une profonde affinité et Bruno Walter écrit à son sujet : « J’ai reconnu avec bonheur qu’il y avait là, potentiellement, une des plus grandes chanteuses de notre temps, une voix d’une rare beauté, chaleur d’expression, et une compréhension innée de la phrase musicale. » Le Chant de la Terre [Das Lied von der Erde] En 1948, elle entreprend sa première tournée en Amérique du Nord. Elle interprète Le Chant de la Terre avec Bruno Walter et le Philharmonique de New York. En présence d’Alma Mahler. En 1949, au Festival de Hollande, elle chante à nouveau l’Orfeo de Gluck, avec Pierre Monteux. Puis, pendant l’été, elle est à Salzbourg avec Bruno Walter pour interpréter Le Chant de la Terre. Elle triomphe à Vienne, à Paris, en Scandinavie. En 1950, elle effectue une nouvelle tournée en Amérique du Nord. De retour en Europe, elle est à Vienne au Festival Bach où elle chante La Passion selon saint Matthieu, la Messe en si mineur et le Magnificat. Elle poursuit ce programme à la Scala de Milan. Trois grandes interprétations qui atteignent des sommets inégalés et mettent le public en larmes. L’année suivante, en 1951, après une série de tournées en Hollande, en France, en Italie, en Allemagne, elle subit une première intervention chirurgicale. Elle est atteinte d’un cancer du sein. 8 octobre 1953 En mai 1952, elle reprend à Vienne Le Chant de la Terre avec Bruno Walter, dans une interprétation poignante, qui, aux qualités vocales, allie la profondeur des sentiments. En 1953, Kathleen Ferrier est faite Commandeur de l’Empire Britannique. Avant de mourir, à Londres, le 8 octobre 1953, elle se produit une dernière fois à Covent Garden dans l’Orfeo de Gluck. Bruno Walter a dit de Kathleen Ferrier qu’« elle était dans son art comme dans sa vie un exemple éclatant, et quiconque l’écoutait ou la rencontrait se sentait enrichi et soulevé par son art sublime. » Angèle Paoli D.R. Texte angèlepaoli KATHLEEN FERRIER ET YVES BONNEFOY A la voix de Kathleen Ferrier « Toute douceur toute ironie se rassemblaient Pour un adieu de cristal et de brume, Les coups profonds du fer faisaient presque silence, La lumière du glaive s'était voilée. Je célèbre la voix mêlée de couleur grise Qui hésite aux lointains du chant qui s'est perdu Comme si au-delà de toute forme pure Tremblât un autre chant et le seul absolu. O lumière et néant de la lumière, ô larmes Souriantes plus haut que l'angoisse ou l'espoir, O cygne, lieu réel dans l'irréelle eau sombre, O source, quand ce fut profondément le soir ! Il semble que tu connaisses les deux rives, L'extrême joie et l'extrême douleur. Là-bas, parmi ces roseaux gris dans la lumière, Il semble que tu puises de l'éternel. » Yves Bonnefoy, Hier régnant désert, in Poèmes, Gallimard, Collection Poésie, 1982, page 159. « Proche de l’immédiat, inscrite dans le corps, dispensatrice du commencement, de l’ouverture et du « sens », la voix est en avant de la poésie : le poète veut se faire voix. À cet égard, le texte dédié à Kathleen Ferrier est exemplaire. Par delà l’hommage à la cantatrice disparue, ce texte révèle l’aspiration profonde de toute poésie à sortir de l’écriture, à devenir voix. Le désir d’une écriture faite voix est le désir profond du poème consacré à Kathleen Ferrier. Le projet qui sous-tend ce poème est certes de suggérer l’essence de la voix de la cantatrice. Mais plus profondément, ce poème suggère l’essence de la poésie, l’urgence du désir de la voix qui habite toute poésie […] Entre le projet poétique de Hier régnant désert et l’essence de la voix de Kathleen Ferrier, il y a une convergence profonde qui donne tout son sens au poème dédié à la cantatrice. Pour Bonnefoy, la voix de Kathleen Ferrier est […] une voix de femme mûre qui a intériorisé la durée. Cette intériorisation coïncide avec le consentement de la conscience poétique au temps, qui est l’enjeu de Hier régnant désert. À cet égard la figure de Kathleen Ferrier est une figure de femme initiatrice : sa voix est le lieu spirituel d’une initiation à la dimension temporelle… » Michèle Finck, Yves Bonnefoy, Le simple et le sens, José Corti, 1989, page 363. |
■ Kathleen Ferrier sur Terres de femmes ▼ → 8 octobre 1953 | Mort de Kathleen Ferrier → Kathleen Ferrier interprète Erbarme dich, Mein Gott, BWV 244/39 ■ Écouter | voir aussi ▼ → Nun will die Sonn' so hell aufgeh'n ! (Maintenant que le soleil se lève !) [Source] [Kindertotenlieder, Mahler] → (sur deezer.com) l'intégralité de l'enregistrement historique (Vienne, 1952) de Der Abscheid (L’Adieu, dernier lied du Chant de la Terre [Das Lied von der Erde] de Gustav Mahler) → (sur le site cantabile-subito) un enregistrement live de Immer leiser wird mein Schlummer de Brahms, interprété par Kathleen Ferrier au festival d’Édimbourg 1949 → (sur le site Ramifications) un dossier hommage à Kathleen Ferrier, comprenant notamment une bibliographie et une discographie commentées |
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Bonjour,
je découvre avec intérêt et plaisir votre blog. Je m'y sens bien… Merci d'avoir parlé de Kathleen Ferrier, à mon goût, trop oubliée aussi.
Bonne continuation.
Rédigé par : Fabrice | 24 avril 2006 à 11:25
Et encore, de la même Ville orange de E. Motsch, p. 135 :
"Nun will die Sonn 'so hell aufgeh'n." Après la nuit, si noire fût-elle, le soleil se lève, chante Kathleen Ferrier dans les Kindertotenlieder. [...] Comme il s'est levé après la mort de la chanteuse, à quarante et un ans, d'une leucémie. Sa voix étrange et naturelle, irréelle et féminine, grave et androgyne, cette voix qui vient de la nuit et parle au jour, dit que tout recommence ou plutôt que tout continue."
Voilà pour commencer la journée en beauté, avec émotion...
Amitiés à tous,
Rédigé par : pascale | 28 avril 2006 à 08:36
Merci de nous offrir autant en partage...! Il est passionnant de découvrir sous d'autres angles certains auteurs et autres artistes que l'on connaissait mais qu'une ou même plusieurs lectures et approches ne suffiront jamais à en épuiser l'infinie richesse ! La Voix de Kathleen Ferrier est toujours nouvelle, toujours aussi pénétrante ; de même ordre sont les écrits d'Yves Bonnefoy.
Rédigé par : Voltuan | 12 septembre 2010 à 21:09
Comment ai-je pu ignorer ce billet alors que j'écoute si souvent Kathleen Ferrier interpréter "Das Lied von der Erde" de Mahler et les mélodies de Brahms ? De sa voix jamais entendue, une vraie voix de contralto, d'une couleur intime et lointaine. Une voix jamais forcée, posée sur le chant, délicatement pour en éveiller la mélancolie.
Un des lieder que j'aime réécouter de Malher (d'après le poème de Friedrich Rückert)
Je respirai une suave senteur de tilleul
"Je respirai une suave senteur de tilleul./Dans la chambre se dresse/une branche de tilleul/,le don/d'une main chère./Qu'elle était chère sa senteur !
Qu'elle est aimable sa senteur !/Délicatement tu cueillis/le brin de tilleul./Je respirai doucement/dans la senteur du tilleul/le doux parfum de l'amour."
Ich atmet' einen linden Duft
"Ich atmet' einen linden Duft./Im Zimmer stand/ein Zweig der Linde./ein Angebinde/von lieber Hand./wie lieblich war der Lindenduft !
Wie lieblich ist der Lindenduft !/Das Lindenreis/brachst du gelinde ./Ich atme leis/im Duft der Linde/der Liebe linden Duft."
Rédigé par : christiane | 13 septembre 2010 à 12:04