Sylvie Fabre G., Quelque chose, quelqu’un,
L’Amourier, 2006.
Frontispice de Frédéric Benrath.
Source
BRUISSEMENTS
Posés comme les pierres d’un gué sur les eaux du lac, les mots de Sylvie Fabre G. bruissent sous la langue. « Mets tes pas dans les pas », écrit Sylvie dans les marches de « Printemps ». Je mets mes pas dans les pas de Sylvie. Mes mots sous ses mots. Je me laisse guider au travers du murmure des saisons et des incertitudes. À sa suite et sous sa langue, docile et silencieuse je me glisse, confiante, sous les pierres qu’elle soulève. Son apesanteur me gagne.
Sylvie Fabre G. prend le temps au rebours des saisons. Elle le laisse infuser en elle, puis surgir en un bruissement infime. C’est d’abord l’été et, après les éclats de l’automne et l’endormissement de l’hiver, le printemps est là, qui affleure tout juste. D’une rive à l’autre des saisons, quelque chose bouge ou quelqu’un. « Du lac qui gèle nos larmes en grain de beauté » au lac « qui s’essaie aux contraires » ou « qui glisse dans le soir », quelque chose se produit. Un frémissement à peine, un tremblé de lumière ou de glace, le frisson d’une vague ou d’une aile, la fragilité d’une fleur, l’éphémère insaisissable d’une vie.
Et derrière tout cela qui se fige ou qui bruit, sous cette vibration silencieuse de l’arbre ou du lac, il y a une attente. L’attente de quelque chose ou de quelqu’un. Mais il est impossible d’en être sûr. « Quelqu’un descend le talus, tu ne sais pas si c’est toi. » Même à travers les pleurs, nul n’est sûr de rien. « Sur le lac, il y a quelqu’un d’autre que toi. » Peut-être la révélation de l’autre, de soi-même ou de Dieu. « Visage de Pâques : qui n’est pas là est toujours là. Dans les replis de la vallée, sur la crête des montagnes, son appel. »
L’attente de la restitution passe par la voix. « Derrière la mort et dans la vie, en nous et au dehors de nous, la voix nourrit. Sa tâche est de nous rendre quelqu’un. » Quelque chose se dit. Qui est de l’ordre du secret. Quelque chose s’exprime en dehors de nous. Dont nous essayons de nous saisir et qui ne nous appartient pas. Qui ne livre son mystère que dans la retenue et dans la patience. La nature ne se donne pas sans effort. Elle possède son langage et ses trahisons, que seul sait lire et dénouer par instants celui ou celle qui l’observe et qui l’habite.
Poète sourcier, Sylvie Fabre G. conduit vers leur affleurement les secrets de la terre et du temps. Elle délie et elle noue. Et si « quelque chose toujours échappe », qui fait du passager du temps un être de « l’exil », reste, d’un visage à l’autre du lac, le tissu des mots. Il coule et forme une langue qui palpite, discrète et douce, sous la chair, à peine perceptible, à peine sensible. Une bribe, un peu d’air, la trace d’une patte d’oiseau sur le sentier. Une présence. Quelqu’un ?
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli |
■ Sylvie Fabre G.
sur Terres de femmes ▼
→ Sylvie Fabre G. par Sylvie Fabre G. (auto-anthologie poétique comprenant plusieurs extraits de L'Approche infinie)
→ [À l’orée] (poème issu du recueil L’Intouchable)
→ L’Intouchable (note de lecture d’Isabelle Raviolo)
→ [C’est un matin doux et amer](poème issu du recueil L'Autre Lumière)
→ Dans l’attente d’un prolongement qui se meurt (note de lecture d'AP sur Corps subtil)
→ Corps subtil (extrait issu du recueil Corps subtil)
→ La demande profonde
→ L’Approche infinie (note de lecture d'AP)
→ Frère humain (note de lecture d'AP)
→ Frère humain (note de lecture d’Isabelle Raviolo)
→ [La pensée va, et vient à ce qui revient] (poème issu du recueil Frère humain)
→ Celle qui n’était pas à sa fenêtre (extrait issu du recueil Le Génie des rencontres)
→ Lettre des neiges éternelles (extrait de La Maison sans vitres)
→ Piero, l’arbre (autre extrait de La Maison sans vitres)
→ Le rêveur d’espace [hommage à Claude Margat] (autre extrait de La Maison sans vitres)
→ Pays perdu d’avance (note de lecture d’AP)
→ [Plus forte que la forêt] (poème issu du recueil Tombées des lèvres)
→ Tombées des lèvres (note de lecture d’AP)
→ Tombées des lèvres (note de lecture d’Isabelle Raviolo)
→ [Bien sûr le chant s’apaise dans le soir] (poème issu du recueil La Vie secrète)
→ Trouver le mot (poème issu du recueil L'Autre Lumière)
→ Maison en quête d’orient (poème issu du recueil Les Yeux levés)
→ (dans la galerie Visages de femmes) le Portrait de Sylvie Fabre G. (+ poème issu du recueil L'Approche infinie)
→ Jean-Pierre Chambon, Le Petit Livre amer, par Sylvie Fabre G.
→ Patricia Cottron-Daubigné, Visage roman, par Sylvie Fabre G.
→ Pierre Dhainaut, Après, par Sylvie Fabre G.
→ Alain Freixe, Vers les riveraines, par Sylvie Fabre G.
→ Emmanuel Merle, Ici en exil, par Sylvie Fabre G.
→ Emmanuel Merle & Thierry Renard, La Chance d’un autre jour, Conversation (lecture de Sylvie Fabre G.)
→ Pierre Péju, Enfance obscure, par Sylvie Fabre G.
→ Pierre Péju, L’État du ciel, par Sylvie Fabre G.
→ Fabrice Rebeyrolle, un peintre gardien du feu, par Sylvie Fabre G.
→ Erwann Rougé, Passerelle, Carnet de mer, par Sylvie Fabre G.
→ Roselyne Sibille, Entre les braises, par Sylvie Fabre G.
→ Jean-Marie de Crozals & Sylvie Fabre G. | [La montagne bascule]
→ (dans l’anthologie poétique Terres de femmes) L’au-dehors
→ (dans les Chroniques de femmes) L'Amourier | Le Jardin de l’éditeur par Sylvie Fabre G.
→ (dans les Chroniques de femmes) Anne Slacik par Sylvie Fabre G. : Anne, la sourcière
→ (dans les Chroniques de femmes) Ludovic Degroote | Retisser la trame déchirée, par Sylvie Fabre G.
→ (dans les Chroniques de femmes) Une terre commune, deux voyages
■ Voir aussi ▼
→ (sur le site de la Mél, Maison des écrivains et de la littérature) une fiche bio-bibliographique sur Sylvie Fabre G.
→ (sur le site des Éditions L’Amourier) une fiche bio-bibliographique sur Sylvie Fabre G.
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