(hommage à Hélène Cixous)
« Stands lumineux de la fête foraine vibrations circulaires des manèges virevoltant obliques autour d’un pilier ancré immobile dans la rumeur chaude du sol Du haut de l’immeuble inondé de soleil de silence sur un vaste balcon du dixième étage tu te penches à peine pour dominer du regard ces mouvantes baignoires qui tournent rigides tenues maintenues par leurs tiges d’acier remontent puis plongent au gré du rythme de la mécanique endiablée Déjà un vertige léger te prend et tu recules vacillante vers ton centre Une femme surgie de nulle part tend vers toi féline sauvage ses bras dépliés langoureux se saisit de tes mains qu’elle arrime aux siennes doigts enlacés Elle prend son élan tournoyante toupie accélère sa valse fluide pas qui glissent résonnent sur les tommettes rouges le balcon s’élargit de vos ondulements Le vertige t’enserre tout entière titubante tu veux hurler ton angoisse tu halètes sous la force centrifuge qui te happe tu es au bord de lâcher prise La chute terrible te prend te saisit à la gorge tu la supplies impassible sourde à tes appels elle sourit avec détachement ironie presque tu tentes une ultime tension pour recouvrer tes forces ton sang-froid comment peux-tu avoir peur elle règle le rythme de vos pas elle est là rayonnante glaciale devant toi tu t’éloignes du bord le balcon a cessé de s’élargir au gré du creusement de vos sillons la rampe protectrice se défait se dissout dans l’étoupe du ciel elle continue de virevolter sur cette ligne sur ce fil de plus en plus ténu à la limite du plein et du vide bras tendus vous valsez elle légère et souple liane toi lourde gravide d’une épaisseur de magma magnétique et glacé elle dominatrice séduisante toi anéantie dans ta nausée la chute te guette qui va te happer dans son mouvement elle est encore là qui te retient mains gantées de lionne dans cet équilibre précaire qu’elle maîtrise à merveille soudain elle ralentit le rythme de ses cercles les ondes diminuent elle fige sa danse ramène sur son front une mèche frivole tandis qu’épuisée tu t’effondres sur les tommettes rayées par les entrelacs de vos figures tu t’efforces de ramper loin du bord tu fixes de tes yeux embués de larmes le mur salvateur qui t’attire loin du vide tu as au ventre un goût de mort et de sang un goût de voltige haute elle s’éloigne de toi t’abandonne à ton pauvre destin de proie poupée broyée par la peur qui te nargue elle te toise de son sourire rejoint dans un halo de musique criarde manèges et tourniquets un sursaut de vitalité grinçante t’empoigne te projette te rue sur son corps diablesse toi aussi panthère à ton tour tu extirpes tes griffes lacères sa peau vénéneuse la ploie et la plie cambrure de ses reins sous les tiens chevelures emmêlées sueurs de sel de salive de sang tu roules avec elle dans le vide corolles déployées tubéreuses enlacées désagrègement de vos corps en poussière d’étoiles »
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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