« Vaghe stelle dell'Orsa, io non credea
Tornare ancor per uso a contemplarvi
Sul paterno giardino scintillanti,
E ragionar con voi dalle finestre
Di questo albergo ove abitai fanciullo,
E delle gioie mie vidi la fine. »
Leopardi, Canti, Le ricordanze, éd. par E. Peruzzi, pp. 435-460.
« Vagues flammes de l’Ourse, qui m’aurait dit
Que je viendrais vous contempler encore
Dans le jardin paternel scintillantes,
Et parler avec vous des fenêtres
De ce logis où j’habitais enfant
Et découvris la fin de mes bonheurs. »
Leopardi, Chants, Les souvenances. Traduction de Danielle Boillet.
Image, G.AdC
Ingénieur des télécommunications et docteur es sciences spécialisée en astrophysique, Yaël Nazé
est l’auteur de nombreux ouvrages dont le plus récent,
L’Astronomie au féminin, vient d’être publié chez
Vuibert en mars 2006. J’ai découvert cet ouvrage au hasard d’une rencontre au Salon du Livre.
Ouvrage audacieux que celui de l’astronome belge. Et jubilatoire. Puisque la lectrice tout à fait candide que je suis dans le domaine des galaxies, y découvre et y apprend avec stupéfaction et admiration que très nombreuses ont été les femmes astronomes dans l’histoire de l’humanité. Astronomes et femmes dont Yaël Nazé entreprend de révéler l’existence, longtemps occultée par leurs homologues masculins. De remettre ces femmes à leur juste place dans l’histoire des sciences, de faire connaître leurs travaux et découvertes, de les inscrire dans la longue marche des avancées scientifiques dans l’univers des astres, des comètes, des planètes, des étoiles. Des myriades de soleils. Autant dire de l’infini !
Ainsi donc, les femmes ont occupé dans les sciences célestes une place de choix et leur rôle est considérable. Et ce, depuis des temps très reculés, quasi immémoriaux. Les traces les plus anciennes de femmes engagées dans des pratiques scientifiques remonteraient à 6 000 ans avant J.-C.
Il faut pourtant attendre la dynastie de l’empereur babylonien Sargon Ier pour identifier avec précision la première astronome de l’histoire:
En-Hedu-Anna. Grande prêtresse de Nanna, « l’ornement du ciel », En-Hedu-Anna dirige les observatoires babyloniens. Mais les tablettes de son savoir ont disparu et il ne reste d’elle que ses poèmes ! L’égyptienne
Aganike rayonne de ses talents de philosophe et d’astronome à la cour de Sésostris, son père (XIX
e siècle av. J.-C.). Mais avec la grecque
Aglaonike (Ve siècle av. J.-C.), capable de comprendre les éclipses de Lune, la situation des femmes astronomes se ternit. Elle atteint son paroxysme tragique lors du meurtre de la célébrissime
Hypatie, commentatrice de Ptolémée et constructrice d’un astrolabe pour le compte de Synésius de Cyrène, évêque de Ptolémaïs.
Un seul nom émerge de la période médiévale, celui de la moniale érudite,
Hildegarde von Bingen. Les autres femmes, versées en astronomie, rejoignent le clan des sorcières et sont brûlées sur les bûchers. L’éclipse est longue qui s’étend jusqu’à la Renaissance. Mais dès 1600, des noms de femmes commencent à apparaître avec régularité dans les annales de l’astronomie.
Sophie Brahe (1556 ?-1643), brillante scientifique mais assistante très silencieuse de son frère Tycho Brahe.
Maria Cunitz (1610-1664), traductrice des travaux de Kepler, qui se consacre à l’amélioration des tables astronomiques.
Catherina Elizabetha Margarethe Hevelius (1646-1693), qui publie deux importants catalogues stellaires.
Maria Margarethe Kirch (1670-1720), qui découvre la comète de 1702. Toutes vivent dans l’ombre des hommes, père, frère ou époux, scientifiques qu’elles aident dans leurs travaux, les épaulant dans leurs calculs et classifications, poursuivant les recherches après leur mort, les complétant avec patience et précision. Mais il leur faut se battre pour faire valoir leur droit à la connaissance. Et accéder au rang de la reconnaissance. Et seule leur passion et leur obstination les sauvent de l’oubli.
Caroline Herschel (1750-1848), passionnée d’astronomie, est spécialisée dans le polissage des miroirs dont son frère William a besoin. Mais elle fabrique aussi des tubes de télescope en carton. Travailleuse acharnée, elle découvre une comète (1786). Elle est la première femme à obtenir une rémunération pour ses travaux.
Avec
Mary Fairfax Grieg Somerville (1780-1872), traductrice en anglais de la
Mécanique céleste du mathématicien Laplace, les choses changent un peu. La géophysicienne participe aux premiers combats « féministes » de son temps. Elle se bat en faveur des droits des femmes.
Le couple Shoemaker occupe une place privilégiée dans le monde de l’astronomie moderne. Leurs travaux sont quasi indissociables. Eugène Shoemaker (1928-1997) confie à Carolyn (
Carolyn Jean Spellman Shoemaker, née en 1929), passionnée par l’observation du ciel, la recherche d’astéroïdes. En 1982, Carolyn découvre un NEO, Near Earth Object, un astéroïde proche de la Terre. Dès lors, la passion des comètes ne la quitte plus. En onze ans de travail, elle en identifie 32. L’ensemble des travaux fournis par Carolyn lui vaudra d’être récompensée par la NASA. Ensemble, Carolyn et Gene reçoivent le titre de « Scientists of the Year » en 1995.
Mais l’ouvrage de Yaël Nazé ne se borne pas à des fiches biographiques. II comporte également de nombreuses explications, parfois fort savantes, agrémentées de tableaux, schémas, graphiques, diagrammes ou ellipses. De photos de nébuleuses et de galaxies. Celles de la mystérieuse NGC4550 et de l’une de ses voisines, la NGC4551. Entre lesquelles navigue
Véra Rubin (née en 1928) qui en étudie les mouvements et rotations. Première femme à obtenir de pouvoir travailler dans l’observatoire du Mont Palomar, Véra Rubin est aussi la première femme à avoir réussi à concilier son travail d’astronome et son métier de femme. Véra Rubin a eu un maître exceptionnel en matière de galaxie. Elle a été initiée par
Margaret Peachey Burbridge (née en 1919), pionnière dans la mesure de la vitesse de rotation des galaxies. Passionnée par les « quasars », galaxies d’un genre nouveau, Margaret Burbridge forme avec son mari Geoffrey Burbridge et leurs amis William Fowler et Fred Hoyle, le Quatuor B2FH. C’est à ce fameux quatuor que l’on doit, depuis 1964, l’idée d’« effondrement de matière vers un trou noir massif ». Ce qui n’empêche pas les Burbridge de s’opposer, pour des raisons strictement scientifiques, à l’idée du Big Bang.
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Précédées par les nombreuses astronomes qui leur ont ouvert la voie, Margaret Burbridge, Véra Rubin et après elle encore, Susan Jocelyn Bell Burnell (née en 1943) - spécialisée dans la recherche de l’astronomie infrarouge et à qui l’on doit la découverte des pulsars (pulsating star/étoile pulsante) -, ont notamment pensé à utiliser la spectroscopie, la « science des spectres », pour classer les étoiles. Car noter la position des astres est une chose, comprendre leur organisation en est une autre. Et pour parvenir à la compréhension de l’organisation des astres, la condition sine qua non était de préalablement trouver un moyen de les classer. Outil essentiel de l’astronomie moderne, la classification stellaire remonte à l’Antiquité, en 120 av. J.-C. Avec les catalogues d’Hipparque et de Ptolémée.
Plus près de nous, l’essor de cette science est dû à Edward Charles Pickering (1846-1919), directeur du Harvard College Observatory (HCO). Pickering redresse le flambeau du laboratoire en créant « son harem ». Il s’appuie sur de riches « mécènes » qui lui avancent l’argent dont il a besoin pour mener à bien ses projets et s’entoure d’un personnel féminin capable d’accomplir des tâches répétitives et peu exigeantes sur les salaires ! Certaines se plient sans trop broncher mais d’autres, plus téméraires, contestent le système en place. Beaucoup parmi elles se révèlent être d’excellents « computers ». Des calculatrices dont Pickering tire fierté et satisfaction. Mais il leur faut se mettre sans tarder à la classification. Parmi les plus célèbres d’entre elles, Williamina Fleming (1857-1911), Antonia Maury (1866-1952) et Annie Cannon (1863-1941), toutes trois inventrices de nouveaux systèmes de classification des étoiles. Le premier système reposait « sur la mesure de l’intensité des raies de l’hydrogène dans le spectre stellaire ». Antonia Maury est chargée d’étudier le spectre de l’étoile Sirius et les étoiles boréales. Annie Cannon se spécialise, elle, sur les étoiles australes. Toutes deux élaborent de nouveaux systèmes de classification, encore utilisés aujourd’hui.
Henrietta Swann Leavitt (1868-1921), nommée par Pickering à la tête du département de photométrie stellaire, travaille elle aussi à la classification des étoiles. Elle doit sa renommée à la découverte des « chandelles standard », unité de mesure qui va permettre d’évaluer les distances d’une constellation à l’autre. Inventrice de la relation période-luminosité des céphéides (grandes étoiles jaunes brillantes), Henrietta Leavitt aurait dû recevoir le prix Nobel. Lorsque en 1925, l’Académie des Sciences de Suède s’avise de le lui proposer, elle est morte depuis quatre ans déjà ! Son décès survenu en 1921 avait été passé sous silence.
Quant à Cecilia Helena Payne-Gaposchkin (1900-1979), nommée chef du département d’astronomie de l’université de Harvard, elle est, en 1956, la première femme à obtenir cette charge. Elle était spécialisée dans l’étude des trois ou quatre mille étoiles variables des Nuages de Magellan.
Si certaines de ces astronomes de renommée mondiale ont rejoint le monde stellaire qui les a absorbées leur vie durant, nombreuses sont celles qui, aujourd'hui encore, continuent d’arpenter la voûte céleste jusqu’aux confins de l’univers et d’interroger pour nous les astres.
Je referme l’ouvrage, orné en première de couverture de la toile de Théodore Chassériau, Sappho. La lyre de Sappho résonne en moi. Bercée par le chant des étoiles, je me prends à rêver d’M31, la galaxie d’Andromède, fille de Cassiopée.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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