Il y a cinquante-cinq ans, le
31 mars 1966, le film
La Religieuse, rebaptisé
Suzanne Simonin, la Religieuse de Diderot, film de
Jacques Rivette, était interdit à l'exploitation et à l'exportation par le secrétariat d'État à l'Information (Yvon Bourges). Le film sera cependant présenté au Festival de Cannes 1966. Mais il faudra attendre plus d'un an et l'arrivée d'un nouveau ministre (Georges Gorse) pour que le film obtienne un visa d'exploitation, assorti d'une interdiction aux moins de 18 ans.
Ph. D.R.
Transposition cinématographique de La Religieuse (1796) de Denis Diderot et d’une première adaptation théâtrale de Jean-Luc Godard (1963, Studio des Champs-Élysées, avec Anne Karina dans le rôle-titre), le film a été tourné à la Chartreuse d’Avignon, le réalisateur n’ayant pas obtenu l’autorisation de le faire à l’ancienne Abbaye royale de Fontevraud (prison désaffectée depuis 1963). Le film de Jacques Rivette, jugé anticlérical, est provisoirement interdit par les pouvoirs publics, malgré l’avis favorable de la Commission de contrôle. Une vague de protestations s’ensuit dans tous les milieux intellectuels, notamment une lettre ouverte de Jean-Luc Godard à André Malraux, surnommé « Ministre de la Kultur ». Un an passe avant que le film obtienne finalement un visa d'exploitation et sorte dans les salles. Le 16 juillet 1967 (je l’ai vu pour la première fois en novembre 1967). L’Office catholique français du cinéma continue cependant de vivement déconseiller le film, jugé immoral.
Remarquablement interprété, le film de Rivette, qui repose sur une mise en scène très distanciée et un constant souci de l’épure cinématographique, recrée scrupuleusement les « conditions » sociales et morales peintes par Diderot au XVIIIe siècle. Celles d’une jeune fille, probablement adultérine, contrainte par ses parents d’entrer sans vocation au couvent. Par cette œuvre, Rivette comme Diderot dénoncent vigoureusement toutes les formes d’oppression. La Religieuse est un fervent plaidoyer pour le respect des libertés individuelles. Pour désamorcer la crise en cours, Jacques Rivette se sentira contraint d’annoncer sur le carton initial que ce film, « librement adapté d’une œuvre polémique de Diderot » est « une œuvre d’imagination ». Ce qui ne trompera personne.
Anna Karina joue le rôle de Suzanne Simonin, Micheline Presle celui de Mme de Moni, Liselotte Pulver, celui de Mme de Chelles, et Francine Bergé, celui de sœur Sainte-Christine.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
Source :
La Revue du Cinéma, Image et Son, N° 365, octobre 1981.
EXTRAIT DE LA RELIGIEUSE DE DIDEROT
« J’arrivai dans l’église. Le grand vicaire y avait célébré la messe. La communauté y était assemblée. J’oubliais de vous dire que, quand je fus à la porte, ces trois religieuses qui me conduisaient me serraient, me poussaient avec violence, semblaient se tourmenter autour de moi, et m’entraînaient, les unes par les bras, tandis que d’autres me retenaient par derrière, comme si j’avais résisté, et que j’eusse répugné à entrer dans l’église ; cependant il n’en était rien. On me conduisit vers les marches de l’autel : j’avais peine à me tenir debout ; et l’on me tirait à genoux, comme si je refusais de m’y mettre ; on me tenait comme si j’avais le dessein de fuir. On chanta le Veni, Creator ; on exposa le Saint-Sacrement ; on donna la bénédiction. Au moment de la bénédiction, où l’on s’incline par vénération, celles qui m’avaient saisie par les bras me courbèrent comme de force, et les autres m’appuyaient les mains sur les épaules. Je sentais ces différents mouvements ; mais il m’était impossible d’en deviner la fin ; enfin tout s’éclaircit.
Après la bénédiction, le grand vicaire […] s’approcha de moi et me dit :
« Sœur Suzanne, levez-vous. »
Les sœurs qui me tenaient me levèrent brusquement ; d’autres m’entouraient et me tenaient embrassée par le milieu du corps, comme si elles eussent craint que je m’échappasse ; il ajouta :
« Qu’on la délie. »
On obéit. »
Denis Diderot, La Religieuse in Contes et romans, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2004, page 301.
Cara Angele,
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Ciao e a prestissimo
Gabriella
Rédigé par : Gabriella Alù | 02 avril 2006 à 07:57