La Nouvelle Revue française entreprend la publication de Fermina Márquez, roman de l’écrivain Valery Larbaud. Publié en quatre fois - le 1er mars 1910, le 1er avril, le 1er mai et le 1er juin, le roman est salué de manière élogieuse par la presse et par le monde littéraire.
Un de mes jeunes amis de Paris m’avait signalé avec enthousiasme votre roman. Comme lui et moi passions hier devant un grand hôtel, me désignant des bijoux de jeunes filles du Sud-Amérique, curieuses, à leurs fenêtres, il a dit : « Fermina Márquez ! et lorsqu’il a su que je lisais votre livre, il a tenu à me conter avant que j’y sois encore parvenu l’histoire de la montre donnée à Joanny Léniot. C’est une incroyable trouvaille que ce type de « bon élève » que nous avons tous connu. « Merci ! C’est plus que très bien », dirait Léniot lui-même. » Valery Larbaud, Œuvres, Éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, Notes, pp. 1206-1207. EXTRAIT Elle abaissait ses regards sur sa gorge nue ; elle se contemplait allongée dans sa robe splendide, elle admirait la petitesse de ses pieds cambrés. N’est-elle pas, elle aussi, digne du roi de son cœur ? - Les heures de la nuit ont un aspect romanesque. Deux heures de l’après-midi est prosaïque, presque vulgaire; mais deux heures du matin est un aventurier qui s’enfonce dans l’inconnu. Et cet inconnu, c’est trois heures du matin, le pôle nocturne, le continent mystérieux du temps. On en fait le tour ; et si on croit l’avoir traversé jamais, on se trompe, car bientôt quatre heures du matin arrive sans que vous ayez surpris le secret de la nuit. Et le petit jour strie déjà les volets de ses baguettes bleues parallèles. Maintenant, lorsque Fermina Márquez paraissait sur le perron du parloir, à Saint-Augustin, il y avait à peine deux heures qu’elle était levée, et ses beaux yeux battus se fermaient à l’éclat trop vif du soleil. Mais sa démarche était plus noble, plus triomphale que jamais. Elle se montrait avant que les élèves eussent quitté le réfectoire, tout exprès pour agacer Santos, qui, ayant déjeuné en grande hâte, et étant obligé de rester à son banc, trépignait d’impatience, prêt à bondir dehors, aussitôt les grâces dites. Comme il nous paraissait heureux ! Nous savions qu’il portait, enroulé à son poignet droit et dissimulait sous sa manchette, un ruban de ses cheveux, qu’elle lui avait donné. En sorte que nous ne lui serrions pas la main, et que nous ne frôlions pas son bras droit sans éprouver un sentiment de respect : ce ruban rendait sacrée la personne de Santos. Ils se promenaient sur la terrasse. Elle lui avait permis de fumer en sa présence : la fumée de ses cigarettes, à lui, avait une odeur si bonne, si réconfortante ! Elle l’aspirait avec délices. Elle levait les yeux vers lui, avec une expression de gravité et d’admiration. Elle était contente d’être un peu moins grande que lui. Tout ce qu’il disait la touchait, la rendait joyeuse, la caressait. Une ou deux fois, ils invitèrent Demoisel à venir goûter avec eux dans le parc. Nous le vîmes aussi dans la grande allée : ils marchaient en avant du groupe formé par Mama Doloré, Pilar, Paquito Márquez ; Santos était à gauche, et Demoisel à droite de Fermina. Le nègre se tenait bien droit et portait haut la tête ; il semblait à la fois fier et très intimidé. De loin on voyait le blanc de ses yeux bouger, dans son visage noir, luisant. Sa tenue était irréprochable. Lui aussi était Américain. Valery Larbaud, Fermina Márquez in Œuvres, Éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1958, pp. 382-383. |
■ Valery Larbaud sur Terres de femmes ▼ → 29 août 1881 | Naissance de Valery Larbaud → 2 février 1957 | Mort de Valery Larbaud → Valery Larbaud | Le masque |
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Je garde un beau et vif souvenir de cette lecture. Le climat de l'enfance enfermée et rêveuse, de camaraderie. De Fermina, rien ; mais non, pas rien ; - tout peut-être ; la trace, - le chemin qu'elle creusa dans l'enfance et qui conduit à l'âge adulte.
Rédigé par : Don Diego | 02 mars 2006 à 20:58