Ph. D.R. Source Poète voyageur né à Vichy le 29 août 1881, Valery Larbaud meurt dans sa ville natale le 2 février 1957. Connu pour sa traduction de La Ballade du vieux marin (1901) de Coleridge et pour son travail de révision, avec Joyce, de la traduction française d’Ulysse, Larbaud est le créateur du personnage de Barnabooth, qu’il présente comme un grand écrivain, auteur d’une œuvre complète comportant un conte, des poésies et un journal intime. Journal intime paru dans le cinquantième numéro de La Nouvelle Revue française (février 1913) sous le titre Journal d’un Milliardaire. PREMIER CAHIER FLORENCE […] « Mais vient l’hiver de l’Europe centrale ! le froid immense et plein de dignité. C’est alors que je retrouve mon Allemagne, comme une épouse aimable et comme un foyer chaud. La vie devient décente et propre, avec des occupations sérieuses ; c’est le temps des études philologiques, avec des cigarettes et des baisers. Et le soir, sur la glace bleue des étangs, on patine jusqu’à la nuit dans les jardins royaux, tandis qu’au loin les lumières de la ville mouillent le ciel entre les branchages couverts de neige. A travers les hautes glaces de mon wagon-salon, j’ai vu venir et s’éloigner toutes les petites villes. Et j’aurais voulu passer ma vie dans chacune d’elles, humblement ; allant tous les dimanches à la chapelle ; prenant part aux fêtes locales ; fréquentant la noblesse du pays. Au loin, les grandes destinées feraient leur tapage inutile. Pendant l’arrêt à la frontière autrichienne, le valet attaché au wagon-salon m’apporte plusieurs brassées de journaux. Eprouvé une secousse : un grand illustré de Vienne publie ma photographie (peu ressemblante, et rajeunie, on me donnerait seize ans !) avec ce seul commentaire : Mr A. Olson BARNABOOTH 10.450.000 livres sterling de rentes ! Quelques pages plus loin, une note apprend au lecteur que je suis « probablement un des hommes les plus riches de cette planète » et qu’en tout cas je suis « certainement le plus jeune des grands milliardaires ». Le chroniqueur, qui me vieillit d’un an, me félicite d’avoir fondé des hôpitaux et des asiles dans l’Amérique du Sud ; mais il ajoute : « La manière de vivre du jeune multimillionnaire ne diffère pas de celle de la plupart des oisifs de son monde. » J’ai d’abord pesté contre l'impertinent. J’ai même eu un instant de véritable chagrin, tout seul dans mon wagon-salon ; y avait-il au monde un homme plus injustement traité que moi ? Un caractère plus méconnu que le mien ? C’était si peu moi, mes rêves, mes aspirations, ma physiologie et mes élans d’enthousiasme, c’étaient tellement « les autres », ce jeune multimillionnaire fondateur d’hôpitaux ! Et « oisif », moi qui consume ma vie dans la recherche de l’absolu ! C’est toi qui es un oisif, petit journaliste courbé toute la nuit sur une table. […] » Valery Larbaud, A.O. Barnabooth, Bibliothèque de la Pléiade, Éditions Gallimard, 1958, pp. 83-84. |
■ Valery Larbaud sur Terres de femmes ▼ → 29 août 1881 | Naissance de Valery Larbaud → 1er mars 1910 | Début de la publication de Fermina Márquez de Valery Larbaud → Valery Larbaud | Le masque ■ Voir aussi ▼ → 1er février 1926 | Italo Svevo et Adrienne Monnier |
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"Vous devinez, n'est-ce pas ? la joie que j'ai ressentie à me retrouver en Toscane. Car vous savez que j'ai la superstition du Toscan. L'Italien, en général, et quel que soit son dialecte, est pour moi comme un frère aîné. […] Or, parmi les Italiens, le Toscan exerce sur moi une facination particulière. Oui, je l'avoue humblement, le Toscan m'épate […]."
Valery Larbaud, Lettre d'Italie.
Rédigé par : Don Diego | 05 février 2006 à 19:40
"Mais vous désirez savoir quel a été l'emploi de mon temps, ce que j'ai mis dans ces trois mois écoulés depuis que j'ai quitté la France. Eh bien, voici. Six semaines sur la côte tyrrhénienne, près de l'embouchure de l' Arno; et six semaines sur (ou près de) la côte adriatique entre Rimini et Ancône."
Valery Larbaud, Lettre d'Italie, Éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1958, p. 805.
Rédigé par : Angèle Paoli | 05 février 2006 à 21:55
Chère Angèle, je copie à votre intention ces quelques lignes de la fin de l'hommage très émouvant de Saint-John Perse : « À la mémoire de Valery Larbaud. Larbaud ou l'honneur littéraire ».
« Il fut homme de langage, respectueux de l'écrit et de tout ce qu'il consacre de la personne humaine, de l'aventure humaine elle-même. Il a cru au bienfait, à la puissance occulte du langage, et le langage fut pour lui d'éminente souveraineté, étant pour lui l'instance la plus haute et la plus haute collusion, l'intercession suprême et la suprême méditation. […] Et celui-là, de son vivant, fut dessaisi de la parole: relevé du serment et comme "désobligé", au sens propre du mot… Privé du pouvoir de l'écrit, celui qui s'honorait le plus de gratitude envers l'écrit! Privé du mot, de la syntaxe et de l'articulation, celui pour qui l'enchaînement d'écrire fut aussi bien enchaînement de vivre et de connaître !
Tragique d'une telle destinée: l'homme de langage atteint au siège même du langage…
[…] Ah! qu'il fut homme d'honneur, envers sa langue, envers son œuvre, et toute la lignée française où il prenait, si simplement, son rang ! »
(Saint-John Perse, Bibliothèque de la Pléiade, pp. 497-498)
Bien amicalement,
Joëlle
Rédigé par : Joëlle Gardes | 07 février 2006 à 09:45