28 février 1936 : enregistrement par
Damia, l’égérie de la chanson « réaliste » et la tragédienne crépusculaire de la chanson française, de
Sombre dimanche, sur des paroles de Jean Marèze et François-Eugène Gonda, et sur une musique de
Rezsö Seress.
« Sombre dimanche... Les bras tout chargés de fleurs
Je suis entré dans notre chambre le cœur las
Car je savais déjà que tu ne viendrais pas
Et j'ai chanté des mots d'amour et de douleur
Je suis resté tout seul et j'ai pleuré tout bas
En écoutant hurler la plainte des frimas ...
Sombre dimanche...
Je mourrai un dimanche où j'aurai trop souffert
Alors tu reviendras, mais je serai parti
Des cierges brûleront comme un ardent espoir
Et pour toi, sans effort, mes yeux seront ouverts
N'aie pas peur, mon amour, s'ils ne peuvent te voir
Ils te diront que je t'aimais plus que ma vie
Sombre dimanche. »
Le titre original hongrois de Sombre dimanche est Szomorú vasárnap. Rezsö Seress avait composé cette chanson à Paris en décembre 1932, au lendemain d’une rupture avec sa fiancée (selon d'autres sources, elle aurait été écrite au début de l'année 1933 au Kispipa Restaurant de Budapest). Les paroles sont de László Jávor. A la suite d’une vague de suicides en Hongrie, cette chanson fut interdite d'antenne à Budapest, puis sur la BBC, et surnommée « The suicide song ». Elle fut reprise aux Etats-Unis (sur des paroles de Sam M. Lewis ou de Desmond Carter, et sous le titre de Gloomy Sunday) par Hal Kemp and his Orchestra, Bob Allen, Paul Robeson (version de Carter), Paul Whiteman et Johnny Hauser (1936), Artie Shaw et Pauline Byrne (1940), puis Billie Holiday [Format WMA] qui l’enregistra (avec un couplet supplémentaire) à New York en 1941 avec l'orchestre de Ken Burns.
« Sunday is gloomy, my hours are slumberless.
Dearest, the shadows I live with are numberless.
Little white flowers will never awaken you,
Not where the black coach of sorrow has taken you.
Angels have no thought of ever returning you.
Would they be angry if I thought of joining you?
Gloomy Sunday.
Gloomy is Sunday; with shadows I spend it all.
My heart and I have decided to end it all.
Soon there’ll be candles and prayers that are sad, I know.
But let them not weep, let them know that I'm glad to go.
Death is no dream, for in death I’m caressing you.
With the last breath of my soul I’ll be blessing you.
Gloomy Sunday. »
(version de Sam M. Lewis)
Cette chanson a été reprise par la suite par plus d’une soixantaine d’interprètes, dont (dans l’ordre alphabétique) Marc Almond, The Associates, Ben Becker, Christian Borel, Sarah Brightman, Bjork, Priscilla Chan, Elvis Costello (album The Trust), Christian Death, Gitane Demone, Marianne Faithfull, Anny Flore, la chanteuse américaine d’origine grecque Diamanda Galás, Hernádi Judit, Carol Kidd, Vlado Kreslin, le Kronos Quartet, Lydia Lunch, Sarah McLachlan, Marian McPartland, Edwin Marton, Big Maybelle, Ricky Nelson, Heather Nova, Sinéad O’Connor, Lim Hee Sook, Mel Torme et, last but not least, Serge Gainsbourg en 1987. Dans son album You're Under Arrest :
« Gloomy Sunday, Sombre dimanche,
Les bras tout chargés de fleurs,
Je suis entré dans notre chambre le coeur las,
Quand je savais dejà que tu ne reviendrais pas,
Et j'ai balancé des mots d'amour et de douleur,
Je suis resté tout seul comme un con pauvre conne,
Et j'ai pleuré tout bas,
En écoutant gueuler la plainte des frimas,
Gloomy Sunday.
Je crèverai un sunday où j'aurai trop souffert,
Alors tu reviendras mais je serai parti,
Des cierges brûleront comme un ardent espoir,
Et pour toi sans effort, mes yeux seront ouverts,
N'aie pas peur mon amour s'ils ne peuvent te voir,
Ils te diront que je t'aimais plus que ma vie,
Gloomy Sunday.
Dans le domaine du jazz et du blues, Gloomy Sunday est devenu un standard et a notamment inspiré (outre les très populaires versions de Billie Holiday et d'Artie Shaw) Charlie Barnet, Ray Charles, Johnny Griffin, Woody Herman, Stan Kenton, Abbey Lincoln, Herbie Mann, Carmen McRae, Branford Marsalis, Hal Russell, Sarah Vaughan et Jimmy Witherspoon (pour ne citer que quelques grands).
L’histoire de cette chanson a aussi fait l’objet d’une adaptation cinématographique : Ein lied von liebe und Tod - Gloomy Sunday (1999) du réalisateur allemand Rolf Schübel, d'après un roman de Nick Barkow.
Emotion soudaine ! Ma mère chantait cette chanson. Elle aimait Damia...
Rédigé par : Nobody | 28 février 2006 à 12:52
Pas surprenant que la BBC ait interdit cette chanson sur ses ondes. Qu'elles sont tristes et sans équivoque les paroles ! Je vous en livre ici une traduction libre qui vous donnera une idée de la force irréversible de ces mots...
"Dimanche est sombre, mes heures sont sans sommeil.
Ma très chère, les ombres avec lesquelles je vis sont innombrables.
Les petites fleurs blanches ne te réveilleront jamais,
Pas là où le coche noir du chagrin t'a emmenée.
Les anges n'ont pas pensé à jamais te ramener.
Seraient-ils en colère si je pensais te rejoindre ?
Sombre dimanche.
Sombre est dimanche ; avec des ombres je le passe tout entier.
Mon coeur et moi avons décidé d'en finir.
Bientôt il y aura des bougies et des prières qui sont tristes, je sais.
La mort n'est pas un rêve, car dans la mort je te caresse.
Avec le dernier souffle de mon âme je te bénirai.
Sombre dimanche."
Rédigé par : pascale | 01 mars 2006 à 09:23
Irréversible, sans doute, comme tout voyage sans retour. Ce qui surprend le plus, c'est l'envoûtement irrépressible que continue à avoir Gloomy Sunday, si l'on en juge par le nombre de sites "dédiés" qui fleurissent un peu partout (fleurs vénéneuses bien sûr comme dans A rebours de Huysmans), mais particulièrement en Asie. Les chanteurs ne s'y sont pas trompés, qui sont pléthore (il est vrai que la mélodie, sublime, a contribué à rendre cette chanson totalement "mythique", et pas seulement à en faire un must un peu "gothique"). Une demande d'enquête avait d'ailleurs été soumise en France à une commission d'experts en psychiatrie, pour que l'on tente de déterminer - dans le cas précis de cette chanson - de quoi pouvait relever l'envoûtement morbide et autolytique qui subjuguait tant ses auditeurs. Mais cette enquête n'a pas, à ma connaissance, abouti. Ceci dit, que cette chanson ait aussi été interdite en 1940 pour "atteinte au moral des troupes" me fait paradoxalement sourire. Mais là c'est mon côté "anar" qui ressurgit.
Rédigé par : Yves | 01 mars 2006 à 10:37
Pascale, je n'ai pas précisé qu'à partir de 1941 (Billie Holiday), un troisième couplet avait été rajouté pour rendre la chanson plus soft :
"Dreaming, I was only dreaming
I wake and I find you asleep in the deep of my heart, here
Darling, I hope that my dream never haunted you
My heart is telling you how much I wanted you"
C'est beau comme un conte de fées.
Rédigé par : Angèle | 01 mars 2006 à 23:58
Eh bien, voilà ce que j'appelle un revirement en effet ! Un peu mièvre certes, pas très subtil mais bien nécessaire. La lecture des deux premiers couplets m'avait donné des frissons et laissée mal à l'aise....Ah, le pouvoir des mots (et de la mélodie) !
Rédigé par : pascale | 02 mars 2006 à 09:00
Hi,
J'ai quelques versions de Gloomy Sunday. Si certains veulent faire des échanges, écrire à : [email protected]
Rédigé par : Mic | 17 mars 2006 à 00:23
En recherchant de vieux souvenirs improbables réveillés par la lecture de Mémoires de Hongrie de Sandor Marai, j'ai découvert votre historique de la chanson "Sombre Dimanche".
J'ai recherché sans grand espoir, mais avec de la suite dans les idées, cette page depuis environ 30 ans, après avoir entendu une partie de l'histoire et quelques accords à la radio dans je ne sais plus quelle émission tardive (la ligne est ouverte peut-être).
Qui plus est, après quelques clics, je réalise que nombre de mes souvenirs présents ou oubliés, parmi ceux qui comptent vraiment, sont là également.
Merci d'avoir rassemblé toutes ces choses (avec une maîtrise de l'outil informatique encore rare à notre époque).
Vous comptez désormais un visiteur fidèle de plus.
Stephane de Toldi
Shanghai
Rédigé par : Stephane de Toldi | 17 février 2007 à 15:21
Merci Stéphane. Très touchée par vos compliments. J'aurai plaisir à vous relire. De Toldi, un patronyme peu courant en France. On pense immédiatement à la Hongrie. Avez-vous lu Toldi szerelme (L'amour de Toldi) de János Arany (1817–1882) ?
Amicizia,
Angèle
Rédigé par : Angèle | 17 février 2007 à 15:32