Issu d’une richissime famille de « condottieri » de la région de Ferrare, Jean Pic de la Mirandole est né le 24 février 1463, sur les terres ancestrales de Concordia.
D’une très grande précocité intellectuelle, le jeune érudit, forgé dès son plus jeune âge aux langues anciennes dont l’hébreu et l’araméen, connaissait, dit-on, vingt-neuf langues. Philosophe et théologien, disciple de Marsile Ficin et ami de Laurent de Médicis, Giovanni Pico della Mirandole est l’un des esprits les plus brillants de son temps. Humaniste de renommée européenne et chantre du néoplatonisme, il est l’auteur d’un Discours sur la dignité de l’homme, qui pose la question de la place de l’homme dans l’univers.
Poursuivi par le fanatisme de Jérôme Savonarole qui veut faire un bûcher des « livres scélérats » du grand homme, Giovanni Pico della Mirandole meurt en 1494, à l’âge de trente-et-un ans, probablement empoisonné. Le pape Alexandre VI Borgia l'avait absous de toute accusation d'hérésie. Pic de la Mirandole projetait d'écrire un livre sur la Concorde de Platon et d'Aristote.

Source
DE L'INFLUENCE DES ASTRES SUR LA DESTINÉE HUMAINE
« Pic de la Mirandole était seul, dans la communauté des lettrés, à rejeter cette idée. Il admettait que la poussée des astres puisse logiquement s’exercer sur la matière brute, sur les rochers, les vents ou les océans. Il existait d’ailleurs une science mathématique de ces mouvements, capable de prévoir dans une certaine mesure les changements climatiques et les marées. Mais comment les astres pourraient-ils avoir accès au noyau de l’Être, à la souveraine liberté de l’esprit ? La destinée d’un homme n’était pas un chemin tracé d’avance, résultant de conjonctions stellaires, mais une création perpétuelle, un exercice de liberté.
La Bible disait que l’homme était à l’image du Créateur, mais en quoi lui ressemblait-il finalement ? Pas par le visage ou la barbe, comme le pensaient les enfants et les peintres crédules ! Ni par la seule intelligence, que l’homme partageait avec les anges et les bêtes… Non, si l’homme était à l’image du créateur, c’est parce qu’il était, comme Lui, libre de créer. Un homme était l’artisan de sa vie, le maître de ses gestes, et les devins n’étaient que des imposteurs qui s’abusaient eux-mêmes. Pic les avait attaqués avec virulence en les comparant aux magiciens qui font mine d’invoquer les démons. Son pamphlet Contre les astrologues et leurs prétentions divines, paru en 1493, avait fait grand bruit et lui avait attiré l’enthousiasme de quelques esprits subtils. Un certain Érasme lui avait envoyé de Rotterdam une longue lettre pleine d’éloges.
Cependant à Florence, il n’avait convaincu que peu de lecteurs, tant l’attachement aux prodiges était puissant. Les remettre en question, c’était attenter aux traditions les plus anciennes, aux convictions les mieux enracinées. Chaque phénomène exceptionnel, coup de foudre, tremblement de terre, passage de comète, était salué par des incantations, des processions, des conjurations, des brûlements d’effigies. Depuis la mort du Magnifique, la terre avait plusieurs fois sué le sang pendant le Carême, et les vieilles avaient vu des fantômes errer entre les tombes. Priver les Florentins de miracles, c’eût été attaquer leurs âmes d’enfants […].
Torse nu, frissonnant, il décida de se raser lui-même, et sourit stoïquement en s’aspergeant le visage d’une eau parfumée de gel. Oui, il avait vécu dangereusement ! Et il continuait ! Il ne pouvait s’en empêcher ! Il n’avait jamais cessé de contredire ses contemporains, de déconstruire leurs certitudes ! Et maintenant, une fois de plus, il se lançait, sans bouclier, à l’assaut des fausses évidences de Savonarole, qui prétendait connaître les desseins de Dieu. Selon la kabbale, au contraire, c’étaient les actions des hommes et leurs pensées qui influençaient les mondes supérieurs, le mouvement des astres et des anges, ainsi que tous les phénomènes intermédiaires. L’homme était responsable de l’univers entier, seul comptable de son devenir. Les astres avaient une âme sans volonté, une simple parcelle de la grande âme universelle qui se manifeste tout entière dans l’œil d’un enfant. Les corps célestes ne sont que des corps matériels tournoyant dans le vide…
Pic de la Mirandole se demanda quel démon le poussait donc à briser toutes les idoles avec une telle constance…
Sans répondre, le faune moussu l’observa en riant de son rire millénaire. Pic songea qu’un obscur artisan, dans un lointain passé, avait durement travaillé pour polir cette roche, pour fixer dans la mémoire des hommes cette grimace sardonique. Il y avait de quoi rire, en effet. »
Catherine David, L’homme qui savait tout, Seuil, 2002, pp. 295-296.
Pic est une des figures les plus attachantes de la Renaissance. Son enthousiasme juvénile, sa joyeuse et candide arrogance qui le fait défier les doctes d'Europe au moment de la parution de ses 900 propositions est des plus réjouissante. Aussi, cette audace intellectuelle, cette insatiable soif de savoir, ce désir de synthèse universelle (si caractéristique de la Renaissance, et immortalisé en quelques représentations célèbres : "l'uomo universale", "l'école d'Athènes", etc.), cet exceptionnel génie interprétatif, ce chevaleresque courage : autant de choses qui me le rendent cher et qui manquent.
A la prossima, Angela,
Don Diego
Rédigé par : Don Diego | 24 février 2006 à 19:56
* Merci, Don Diego pour ce portrait du grand homme. Il était né, paraît-il, sous une très bonne étoile ! Avez-vous eu accès à l'un ou l'autre de ses textes ?
* J'adore le portrait de Mirò proposé par Guidu. Un jongleur plein d'esprit et d'humour!
Merci à tous deux.
Rédigé par : Angèle Paoli | 24 février 2006 à 21:39
Quand je viens te trouver, ma chère Angèle, je regrette d'avoir été absente depuis si longtemps... car je trouve tant de "bijoux" que je crains d'en avoir perdus... et alors je m'empresse d'ouvrir, çà et là, et me mets à lire et à sourire...
Pic de la Mirandole...
j'ai toujours songé à lui comme à la sympathique quintessence de l'Humaniste, ayant mis Dieu et l'homme presque au même niveau pour ce qui concerne l'importance de la présence de l'Un dans la vie de l'autre.
Et viceversa.
bises.
Rédigé par : madeinfranca | 24 février 2006 à 23:41
Prego Angela ! Oui, et on trouve plusieurs de ses textes dans un livre orange (désolé, je n'ai pas noté l'édition) à la bibliothèque municipale de la rue Mouffetard, à Paris. J'ai ainsi pu lire De la dignité de l'homme, Heptaple, et quelques autres textes. Quant aux 900 propositions, c'est un petit livre aux éditions Allia, déniché chez mon soldeur favori, Culture, dans le Marais, qui m'a permis d'en prendre connaissance.
Allons, une citation, tirée d'Heptaple : "… Dieu […] une fois construite toute la machine du monde, plaça enfin l'homme au beau milieu, comme son image et la ressemblance des formes."
Rédigé par : Don Diego | 25 février 2006 à 07:26
Merci, cher Don Diego, pour ces précisions. Pour Allia, pas de problème. Pour le "petit livre orange" déniché à la bibliothèque de la rue Mouffetard (l'édition PUF des Oeuvres philosophiques parue en 1993 ou une édition plus ancienne ?), ça me paraît plus délicat. Reste la bibliothèque municipale de ma propre ville. Je pense avoir quelque chance de trouver à partir de leur base de données bibliographique.
Rédigé par : Angèle Paoli | 25 février 2006 à 13:36
Oui, après recherche, ce sont bien les éditions PUF. Voici une image de la couverture.
Vous pouvez commander le livre sur l'excellent site (et que j'utilise avec bonheur) Priceminister, et à cette page.
Buena sera !
Rédigé par : Don Diego | 25 février 2006 à 19:00