Le 20 février 1942, Le Silence de la mer est publié clandestinement aux Éditions de Minuit.
Le récit, une nouvelle destinée à l’origine à une publication dans la revue communiste La Pensée Libre (revue fondée par des intellectuels résistants communistes, dont Jacques Decour et Georges Politzer), est signé Vercors. Vercors, du nom du maquisard Jean Bruller (1902-1991), graveur et dessinateur. Le Silence de la mer, imprimé clandestinement à 350 exemplaires dans un atelier du boulevard de l’Hôpital, à Paris, est la première publication des Éditions de Minuit, cofondées par Jean Bruller et Pierre de Lescure en octobre 1941. L’ouvrage, dont l’idée est venue à Vercors après la lecture de Jardins et routes de l’officier et écrivain allemand Ernst Jünger, est dédié à la mémoire de Saint-Pol Roux, « poète assassiné » le 18 octobre 1940. Werner Von Ebrennac, officier allemand dont la présence est imposée par la Kommandantur à un vieil homme et sa nièce, tente de briser le silence obstiné que lui opposent ses hôtes forcés. Au cours des soirées qu’il partage avec la nièce et son oncle, Werner Von Ebrennac se lance dans de longues rhapsodies, ponctuées toujours par le même leitmotiv final : « Je vous souhaite une bonne nuit. » Pourtant, l’officier salue ce silence : ― « Je suis heureux d’avoir trouvé ici un vieil homme digne. Et une demoiselle silencieuse. Il faudra vaincre ce silence. Il faudra vaincre le silence de la France. Cela me plaît. » Homme raffiné, musicien et lettré, amoureux de la France et de sa culture, Werner Von Ebrennac croit encore en une possible union entre l’Allemagne et la France. L’Allemagne qui doit son génie à ses grands compositeurs : Bach, Haendel, Beethoven, Wagner, Mozart. Et la France, qui doit le sien à ses grands hommes de lettres : Molière, Racine, Hugo, Voltaire, Descartes, Chateaubriand, Flaubert, Buffon, Boileau, La Fontaine… Mais lorsque l’officier comprendra, au cours d’un séjour dans le Paris de l’Occupation, que l’union rêvée entre la « Belle et la Bête » n’aura pas lieu, que l’Allemagne est bien décidée à anéantir la France, que l’Europe entière périra de cette « peste », alors Werner Von Ebrennac choisira l’« Enfer ». Il rejoindra le front de l’Est. Après-guerre, malgré les réticences de Vercors, Le Silence de la mer fait l’objet d’une adaptation cinématographique, réalisée par Jean-Pierre Melville. Le film est tourné entre août et décembre 1947, pour partie dans la maison de campagne de Vercors, 31 bis rue du Touarte, à Villiers-sur-Morin (Seine-et-Marne), mais la sortie sur les écrans parisiens n’a lieu qu'en avril 1949. La naissance des Éditions de Minuit a été racontée par Vercors lui-même dans un ouvrage intitulé La Bataille du Silence, publié en 1967 par les Presses de la Cité et réédité par les Éditions de Minuit en 1992, au lendemain de la mort de Vercors (10 juin 1991).
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■ Voir aussi ▼ → (sur NonSoloProust) Il Silenzio del mare. Ma non solo, par Gabriella Alù → (sur NonSoloProust) Il Silenzio del mare (2), par Gabriella Alù → (sur YouTube) la bande-annonce du film de Jean-Pierre Melville |
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J'ai plusieurs questions à poser à propos de la lecture par Vercors de Jardins et routes de l'officier et écrivain allemand Ernst Jünger :
Quand ce texte a-t-il été écrit ? Comment Vercors a-t-il pu en prendre connaissance en 1941 en pleine Occupation ? Pourquoi un auteur aussi important que Ernst Jünger, et qui semble si proche de la figure de Werner von Ebrennac, n'est-il jamais cité (à ma connaissance) dans la documentation concernant Vercors ?
Ernst Jünger, d'après les informations fournies par Wikipédia, est considéré par certains "comme l'un des plus grands écrivains de langue allemande du XXe siècle". Merci de me l'avoir fait découvrir.
Rédigé par : Martine | 27 février 2006 à 13:46
Bienvenue à vous, Martine, sur Terres de femmes.
Vercors a bien fait référence à plusieurs reprises à cet ouvrage de Jünger, notamment dans ses entretiens avec Gilles Plazy (A dire vrai). Il en avait pris connaissance en 1941 grâce à André Thérive. Dans ces entretiens, Vercors souligne "qu'il ne fallait pas se laisser séduire, même par un Otto Abetz "grand ami de la France", ni par un Drieu La Rochelle, ni par Ernst Jünger, auteur d'un livre, Jardins et routes, plein d'amabilité et d'amour pour notre pays."
Il était d'autant plus facile de se procurer cet ouvrage en 1941 (cet ouvrage est sorti en 1939/1940) que Paris était occupé et que Jünger, officier de la Wehrmacht, était alors à Paris.
Jünger a marqué quelques grands écrivains, dont Julien Gracq qui a souvent fait référence (notamment dans le Cahier de L'Herne qui lui est consacré) aux ouvrages Sur les falaises de marbre et Orages d'acier.
Oui, Jünger est bien l'un des plus grands écrivains du XXe siècle, mais il est vrai aussi qu'il n'est pas en odeur de sainteté auprès de l'intelligentsia française. Je vous mets en lien un article de Libération.
Bien cordialement à vous,
Angèle
Rédigé par : Angèle | 27 février 2006 à 14:02
Merci pour ces précisions pointues concernant la genèse d'un texte, ainsi que pour l'article de Libération.
Le site Terres d'écrivains, en assurant la promotion du livre: Ballades littéraires dans Paris (1900-1945), propose des références complémentaires de lecture.
Le récent téléfilm de Pierre Boutron (2004) a redonné au Silence de la mer une nouvelle audience.
J'aurai plaisir à consulter régulièrement votre site, et vous adresse mes meilleures salutations.
Martine S.
Rédigé par : Martine S. | 27 février 2006 à 14:13
merci beaucoup pour ces informations
Rédigé par : samèh | 21 janvier 2010 à 10:48
j'ai le souvenir, adolescent, d'avoir eu entre les mains le texte de Vercors, dans un version clandestine des éditions de Minuit, acquise dans les années 1950 par mes parents.
Ce fut une révélation. Je ne cessais, alors, de me rêver dans la peau de cet écrivain clandestin, capable d'écrire sur l'Occupation dans des termes si poétiques. Merci.
Rédigé par : Xavier Lainé | 20 février 2011 à 14:34
Merci pour cette belle présentation du Silence de la mer. Merci également pour la documentation fort intéressante sur Ernst Jünger.
J'apprécie beaucoup Terres de femmes.
Monique.
Rédigé par : Monique Sicard | 22 février 2011 à 13:01