Mon bon chéri,
« J’ai eu une joie enfantine hier soir en recevant enfin l’autorisation de te voir deux fois par semaine. J’ai télégraphié immédiatement à Joseph qui m’avait offert si gracieusement de m’accompagner, de venir au plus tôt ; j’aurais volontiers fait le trajet seule pour pouvoir t’embrasser un jour plus tôt, mais la famille s’y est opposée, de sorte qu’une fois de plus j’ai dû faire taire la passion qui soulève mon cœur.
Enfin le moment viendra, mon bon chéri, où j’aurai le bonheur extrême de te serrer sur mon cœur et de te rendre par ma présence de nouvelles forces.
Je suis navrée que tu ne reçoives pas mes lettres ; je n’ai pas manqué un seul jour de venir causer avec toi. Je ne puis m’expliquer la raison de cette rigueur ; mes lettres cependant n’indiquent que des sentiments parfaitement honnêtes, le chagrin amer d’une situation aussi injustement épouvantable et l’espoir d’une réhabilitation prochaine. […]
Je m’imagine aisément les souffrances que tu as dû endurer étant ainsi sans nouvelles. Mais si tu sais aussi qu’aucune considération de santé ne peut m’empêcher de venir causer avec toi et que la mort seule m’empêcherait de t’envoyer mes pensées, l’écho de mon affection. Ne te fais donc plus de soucis, et sache bien que tant que je serai animée d’un souffle de vie, tout mon être est vers toi.
Les enfants pensent beaucoup à toi et parlent constamment de toi. Ils t’envoient de bons becs.
Et toi, je t’embrasse mille fois. »
Lucie.
Alfred et Lucie Dreyfus, « Écris-moi souvent, écris-moi longuement… », Correspondance de l’île du Diable, 1894-1899, Editions Mille et une nuits, Librairie Arthème Fayard, octobre 2005, pp. 199-200.
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