Une voix
I
Vivre, qui noue
Hier, notre illusion,
À demain, nos ombres.
Tout cela, et qui fut
Si nôtre, mais
N’est que ce creux des mains
Où eau ne reste.
Tout cela ? Et le plus
Notre bonheur:
L’envol lourd de la huppe
Au creux des pierres.
Yves Bonnefoy, La pluie d’été
in Les Planches courbes,
Gallimard, Collection Poésie, 2001, page 33.
Les Planches courbes d’Yves Bonnefoy
À la fois mathématique et concret, le titre des Planches courbes n’en est pas moins mystérieux. Aussitôt franchi le premier obstacle « symbolique » que constituent pour moi le concret et le mathématique, me voilà en chemin, lectrice démunie mais curieuse, prête à me laisser traverser par les mots. Et suivre - par quelles voies ? - le poète, en voyage au-delà de la trace du temps.
La poésie d’Yves Bonnefoy est une invite à s’immerger au cœur d’une musique des mots, d’un rythme qui se livre au fur et à mesure que s’esquisse et s’ouvre le sillon de la lecture. Un balancement régulier, que vient parfois surprendre et déhancher quelque syncope, guide la voix silencieuse de la lecture, se mêle à celle lointaine et proche du poète. Un cheminement se fait, non pas tant dans un pays que dans un « arrière-pays ». L’arrière-pays de la mémoire. Qui en appelle à d’autres strates, à d’autres échos, à d’autres lumières. Et ramènent à la surface du poème des lieux enfouis, des souvenirs passés, des figures absentées, des voix qui sourdent sous la peau du texte. Mais à peine. Par touches. Légères, fluides, évanescentes presque. Insaisissables. Et pourtant anciennement vécues. « La pluie dans l’herbe », « une flaque d’eau », « l’envol de la huppe », « l’olive grise », « l’odeur de la paille sèche ». Et avec « la maison natale », la silhouette paternelle. Et toujours « la barque sur le fleuve ». Autant de signes minuscules, de « poussière d’or » qu’il faut aller dénicher à la dérobée, pour les rendre au bonheur de l’instant où ils furent cueillis. « Les planches courbes de la barque » me conduisent, sûrement, même si je me perçois contrainte un moment d’en adopter la forme inconfortable. Allongée moi aussi « au creux » de la barque*, « les yeux contre ses planches courbes », « j’écoute cogner le bas du fleuve » et m’adapte aux courbures de la proue. J’avance ainsi arrimée d’un poème à l’autre, d’un recueil à l’autre jusqu’au bouleversant récit en prose des Planches courbes. Qui livre une part du secret et donne sens à l’ensemble des poèmes. À ceux qui le précèdent - La Pluie d’été, La Voix lointaine, Dans le leurre des mots, La Maison natale -, et à ceux qui le suivent - L’Encore aveugle, Jeter des pierres.
Perméabilité des Planches courbes, qui permet de passer sans heurts d’une forme poétique à une autre, d’une époque à une autre, d’un seuil de la vie à un autre. Et du seuil de la vie à celui de la mort.
« Il faut oublier ces mots. Il faut oublier les mots ». C’est ce que dit à l’enfant le passeur des Planches courbes. Le nautonier - christophore qui nage, emportant l’enfant sur son dos « dans cet espace sans fin de courants qui s’entrechoquent, d’abîmes qui s’entrouvrent, d’étoiles ».
Au-delà du bruissement silencieux des mots, le poète-passeur délivre pour l’enfant, les étoiles. « Bientôt à deux pas du rivage », il repart. Pour « dire le bien furtif du chardon bleu des sables ». Et « l’absolue beauté ».
« Serrée contre la branche
L’olive grise ».
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
* Voir Barque dans l'Index de mes Topiques. Voir/écouter aussi : - (sur Terres de femmes) Yves Bonnefoy, Les Planches courbes : feuilleton pédagogique à l'usage des lycéens de Terminales L; 26 épisodes ont été mis en ligne ; - Colloque Bonnefoy (Sorbonne 2005) : Marie-Claire Bancquart, Professeur émérite à Paris-Sorbonne, « Mémoire personnelle et mémoire mythique dans Les Planches courbes ». Compte rendu de Simone Lopez. Cliquer ICI ; - (sur Terres de femmes) 25 juin 1981/Élection d’Yves Bonnefoy au Collège de France ; - (sur Terres de femmes) Yves Bonnefoy/« Le dialogue d’angoisse et de désir » ; - (sur Terres de femmes) A la voix de Kathleen Ferrier ; - (sur Terres de femmes) Yves Bonnefoy/Le myrte ; - (sur Terres de femmes) Yves Bonnefoy/Les Raisins de Zeuxis ; - (sur Terres de femmes) Yves Bonnefoy/Une silencieuse ordalie (L'Arrière-pays) ; - (sur Terres de femmes) Yves Bonnefoy/Vrai nom ; - (sur le site Université de tous les savoirs), écouter/voir la vidéo d'une conférence d'Yves Bonnefoy (La parole poétique) du 17 novembre 2000. Téléchargeable en Windows Media ou en Real Vidéo ; - Bio-bibliographie d'Yves Bonnefoy sur le site du Collège de France; - La voix qui espère, article de Jean-Michel Maulpoix sur Les Planches courbes (paru dans La Quinzaine littéraire du 15 novembre 2001) ; - (sur le site du Scéren) écouter un entretien audio avec Yves Bonnefoy sur le recueil Les Planches courbes (16 décembre 2005, Collège de France). |
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bonjour mr bonnefoy cette annee votre oeuvre est au bac en Lettres j aimerais avoir plus de precision sur votre oeuvre que vous me l expliquiez le but dans lequel vous l avait ecrit et ce que signifie cette oeuvre merci beacoup bonne journee
[COPIE in extenso d'un commentaire d'une élève de classe de Terminales littéraire.
Le webmestre de Terres de femmes]
Rédigé par : fougere geraldine | 30 janvier 2006 à 16:59
Magnifique présentation du recueil. Vous m'avez donné l'envie de reprendre mon livre pour une nouvelle errance au fil de ces mots bruissant le silence.
Rédigé par : Nortine | 22 mars 2006 à 02:02
Je suis en train de rédiger une thèse sur la poétique d'Yves Bonnefoy, pourriez-vous me faire parvenir l'adresse électronique ou personnelle du poète ? Merci d'avance.
Rédigé par : zerouali mohammed | 17 avril 2006 à 01:18
Bonjour,
Dans votre cas, l'usage est de prendre contact avec l'éditeur. L'éditeur principal d'Yves Bonnefoy est le Mercure de France. Voici l'adresse :
Editions Mercure de France
26, rue de Condé
75006 Paris
Téléphone: 33 (1) 55 42 61 90
Télécopie: 33 (1) 43 54 49 91
Bien cordialement.
Rédigé par : Webmestre de Terres de femmes | 17 avril 2006 à 09:29
Bonjour !
J'effectue également une étude sur cette oeuvre (oh, combien entraînante !) Si vous pouviez me faire parvenir l'adresse e-mail de Monsieur Bonnefoy, j'en serais ravie ! En espérant une réponse de votre part !
Au plaisir de relire de si beaux articles !
Rédigé par : Claire | 03 mai 2006 à 19:41
Bonsoir Claire,
Je ne peux faire autrement que de te suggérer de lire (ci-dessous) la réponse qu'a faite mon webmestre à Mohammed. Il faut que tu t'adresses au Mercure de France. Tu as beaucoup de chance de pouvoir travailler sur l'oeuvre d'Yves Bonnefoy. Profites-en.
Amicizia,
Angèle
Rédigé par : Angèle | 03 mai 2006 à 21:22
Je suis en terminale littéraire et cette année l'oeuvre de Mr Bonnefoy est au programme. Ce que j'apprécie le plus dans cette oeuvre, c'est la remise en question du sens des mots, qui dans un sens ne sont (ou ne semblent être) qu'une convention. Je dirais simplement que la poésie fait oublier les mots, qu'elle nous fait parvenir des images sans se soucier du sens des mots, et c'est certainement un des côtés les plus intéressants de l'oeuvre.
Rédigé par : Clotilde | 15 mai 2006 à 23:24
Bonjour, je viens de parcourir votre site fort utile et si intéressant que je me permets de poster ce message afin de me venir en aide, si vous en avez évidemment le temps, la possibilité et l'envie. En effet, étudiante en terminale littéraire, nous venons de débuter l'analyse "Des planches courbes" de BONNEFOY. Pour ma part, je dois effectuer un exposé sur LE TEMPS. Or, je ne sais pas vraiment comment m'y prendre ni comment diriger mon travail. Si vous pouviez me venir en aide, je vous en serai très reconnaissante. Dans le plus grand espoir d'avoir une réponse,
cordialement,
Mlle C.K
Rédigé par : kapanci | 24 septembre 2006 à 20:03
Bonjour =)
Votre site est vraiment très bien ! Je suis en terminale littéraire et ma professeur nous donne des petites questions à faire ... et j'ai beaucoup de mal à y répondre :/ ... la dernière fois j'ai eu une mauvaise note... cette fois-ci la question est : "Quelle utilisation Bonnefoy fait-il de la traversée?" ... il faut faire un plan (une toute petite composition), je comprends un tout petit peu le terme de la traversée mais je ne sais jamais quoi faire comme plan... dans les livres comme Annabac je ne trouve jamais rien... j'espère que vous pourrez m'aider ;)
- Cerise -
Rédigé par : Cerise | 30 septembre 2006 à 19:29
Bonjour à tous,
Je suis en terminale littéraire, nous avons un total de 4 oeuvres à travailler tout au long de l'année et je dois dire que des quatres livres au programme c'est celui d'Yves Bonnefoy qui m'a laissée le plus perplexe. J'aimerais être professeur de littérature, j'aime beaucoup lire et quand je termine une oeuvre j'aime en avoir un avis assez tranché... C'est pourquoi ce livre m'a totalement troublée. J'aime ou je n'aime pas, je suis intéressée ou je ne le suis pas, mais j'ai toujours un avis, soit positif soit négatif. Et là, à ma grande surprise... Je ne sais que dire de cette oeuvre.
Je dois avouer que lorsque j'ai lu Les Planches courbes pour la première fois, je n'ai pas du tout aimé (je préfère être sincère au risque de vous déplaire). Je suis une fanatique de poésie classique. J'aime la poésie très structurée, avec des vers d'un certain nombre de syllabes, des rimes... Je n'ai pas une définition commune de la poésie. Pour moi n'est considéré comme étant de la poésie que ce qui rime et possède un rythme régulier (j'ai un grand penchant pour les alexandrins et les octosyllabes). Ce qui ne répond pas à ces deux critères essentiels est pour moi de la prose poétique. Je pense que ce qui fait toute la noblesse et toute la beauté de la poésie, c'est justement le fait qu'un auteur s'impose des règles d'écriture, le fait de faire rimer les fins de vers, de s'imposer un nombre de syllabes par vers et parfois même de déterminer à l'avance la première lettre du vers (comme dans les acrostiches). Le poète manipule les mots à sa guise, il joue sur les sonorités, sur les rythmes... La poésie ne doit pas être un simple moyen d'expression, c'est aussi un exercice littéraire. Alors quand j'ai lu ce livre, j'y ai vu une prose poétique, où l'auteur tente d'usurper l'identité de poète en allant à la ligne de temps en temps.
Finalement j'ai achevé ma première lecture en me disant que l'auteur était certes talentueux mais que lui et moi nous n'avions pas tout à fait la même conception de la poésie. Ce qui m'a également déplu, ce sont ces mots tels que "hangars" ou "broc d'eau" qu'Yves Bonnefoy se plaît tant à utiliser. J'ai perçu ça (mais seulement à la première lecture) comme un blasphème de la poésie. Mettre des mots si communs, si peu élégants, si simples dans une oeuvre poétique... C'était un choix que je ne pouvais pas comprendre, pour moi c'était un blasphème de la poésie. Par contre dès la première lecture, j'ai apprécié les références mythologiques et les clins d'oeil à certains auteurs. Ulysse, Cérès... Moi qui aime beaucoup la mythologie grecque, ces présences mythologiques ont accentué mon intérêt pour l'oeuvre.
Après, nous avons commencé à étudier cette oeuvre en cours, et à ma grande surprise, malgré une première lecture peu réjouissante de l'oeuvre, j'ai commencé à apprécier certains aspects de l'oeuvre. L'aspect philosophique m'a beaucoup intéressée, ainsi que la présence paternelle tout au long du livre. Mais ce que j'ai probablement le plus apprécié, c'est l'incertitude des hypothèses de lecture. Combien de fois en cours avons-nous analysé l'oeuvre avec des "peut-être"... Rien n'est sûr, on suppose simplement la plupart du temps. On essaye d'en déduire quelle serait l'hypothèse de lecture la plus probable mais au final tout le monde est plus ou moins déboussolé. Mêlé à la dimension philosophique de l'oeuvre, cette incertitude a augmenté encore davantage mon intérêt. Ce qui m'a le plus intriguée, c'est probablement dans la section "La maison natale", au poème X il me semble...(mais je n'en suis pas certaine): "Je me tourne encore vers celle qui rêva à côté de moi". Mais de qui s'agit-il? La mère d'Yves Bonnefoy? Sa femme? L'hypothèse la plus probable me semble être celle de la mère mais cela sans grande certitude. J'ai adoré la dimension philosophique de l'oeuvre mais sans totalement l'approuver cependant. Les mots sont trompeurs, je vous l'accorde, mais ils ne sont pas que trompeurs. Ils sont utiles et indispensables, et à partir du moment où l'on ne se laisse pas manipuler par des orateurs possédant le don de l'éloquence, pour moi le langage n'est pas un mal, au contraire. En utilisant les mots on est peut-être plus loins de la Présence mais on se rapproche d'autrui, les mots sont avant tout un outil de communication. Et ne pourrait-on pas considérer que d'une certaine manière le langage EST la pensée, comme le croyait Hegel? Sans les mots penserions-nous? Je n'en suis pas certaine. Le langage est constitué d'une multitude de nuances, de subtilités... Et puis sans les mots il n'y aurait ni poètes, ni dramaturges... Il n'y aurait pas de manuels d'enseignement, pas de panneaux sur le bord des routes indiquant le nom des villages avoisinants... Et sans les mots nous n'aurions pas de noms... Il n'y aurait pas d'annuaires téléphoniques puisqu'il n'y aurait pas de noms... S'il n'y avait pas les mots je ne serais pas là, devant mon ordinateur, en train d'essayer d'exprimer tant bien que mal la complexité de mes sensations face à cette oeuvre... Sans les mots que serions-nous? (si tout du moins nous étions quelque chose, et rien n'est moins sûr.) Il est vrai qu'à chaque objet nous avons tendance à attribuer un ou plusieurs mots, et que nous ne voyons à travers une chose que le nom que nous lui donnons, mais en quoi cela est-il un mal? La Présence... Pourrait-on réellement s'en approcher grâce à la poésie? Je ne pense pas, car pour moi-même si la poésie est bien plus que des mots elle est constituée de mots. Et que peut-on y faire? Rien. La musique n'est pas constituée de mots, le théâtre non plus... Ne serait-ce pas la meilleure façon de s'exprimer sans avoir besoin des mots qui nous plongent "dans le leurre"? Je n'ai pas du tout la même philosophie que l'auteur à propos des mots car j'aime les mots. J'aime la sonorité, le rythme, l'accentuation, la signification, la beauté de notre langage et je n'ai nullement l'intention de m'en éloigner, et tant pis si je vis dans le leurre. Je ne veux pas passer sur l'autre rive, la rive où l'on sait se passer des mots pour subsister.
Mais malgré tout cela, en cours de littérature, j'ai appris à apprécier une poésie et une philosophie assez différentes de celles que je prône. Après tout, tout n'est qu'une question de goûts et d'opinions. Je suis en désaccord total avec ce style de poésie et de philosophie mais je ne peux qu'admettre le talent évident de l'auteur. Visiblement, c'est un choix de sa part de ne pas avoir suivi une structure de poésie classique, et je respecte ce choix car je suis persuadée que s'il l'avait voulu, il aurait pu écrire en alexandrins ou en octosyllabes, contrairement à certains auteurs qui font de la poésie moderne simplement parce qu'ils sont incapables d'écrire de la poésie autrement. Certains passages de l'oeuvre sont assez saisissants, toutes ces sensations et ces détails donnent l'impression de voir par les yeux de l'auteur (ma section préférée est "La maison natale" justement parce que certains passages sont captivants de par les détails et cette dimension semi-onirique propre aux premiers poèmes de la section).
Rédigé par : Claire P. | 07 février 2007 à 15:24
En réponse à Cerise:
Sur le temps tu peux parler de l'emploi des concepts de jour, de nuit et de soir et montrer en quoi selon les poèmes ils ont un sens différent. On a eu pratiquement le même sujet que toi et en correction la prof nous a donné toute une partie là-dessus.
Rédigé par : Claire P. | 07 février 2007 à 15:29
Mine de rien, ma chère Claire, vous dites déjà beaucoup! Et vous êtes bien la première élève à venir vraiment vous exprimer sur mes "Terres" au sujet de cette œuvre délicate. Habituellement, les élèves se contentent de me demander des réponses toutes faites et "prêtes à consommer" aux questions qui leur sont posées, ce qui m’agace, disons, passablement. Vous, c’est bien autre chose ! Vous vous lancez sur vos impressions de lecture, sur vos conceptions de la poésie, vous réfléchissez ! Bravo, je ne peux que vous encourager à poursuivre dans vos interrogations. Car, en poésie plus encore qu’ailleurs, il y a davantage de questions que de réponses. Et puis, il y a une belle progression entre le point de départ de votre argumentation et le point d’arrivée.
Pour reprendre quelques points que vous soulevez à propos de poésie « classique », je vais sans doute vous étonner si je vous dis qu’Yves Bonnefoy fait désormais partie de poètes dits « classiques ». Même si son écriture vous dérange, et dérange tant d’autres, rassurez-vous, elle est considérée comme une écriture sans réelle surprise formelle. L’écriture poétique d’aujourd’hui, je vous parle de celle qui se « fait » en ce moment, est autrement déstructurée et déstabilisante que celle de Bonnefoy qui a longtemps été sous l’emprise de l’alexandrin (celui de Racine, notamment) et du quatrain. Yves Bonnefoy est encore un « lyrique » et le « lyrisme » n’a pas vraiment le vent en poupe dans le monde actuel de la « poésie ».
Quant à la prose poétique, marque de la modernité - vous le savez sans doute - elle a été introduite par Baudelaire (Petits poèmes en prose), grand admirateur du poète Aloysius Bertrand (Gaspard de la nuit).
Autre signe de la modernité - une modernité qui n’en est plus à ses premières expérimentations, l’usage chez Bonnefoy comme chez Baudelaire, l’un de ses maîtres, mais aussi, à mi-chemin, chez Guillaume Apollinaire, de ces termes que vous jugez ordinaires et impropres à la poésie. Je ne crois pas qu’il s’agisse de « blasphème », ni dans l’esprit ni dans la lettre, car il n’y a nulle part une parole qui manifeste la volonté « d’outrager quelque divinité que ce soit ». C’est sans doute que vous mettez la poésie très haut et que vous la reliez (« religere » => religion) au sacré. Vous êtes très jeune et vous appartenez pourtant, sans en avoir forcément conscience, au passé. Un passé qui a définitivement sombré dans le dépassé. La poésie que vous aimez est celle du XIXe siècle et plutôt du côté des perfectionnistes de la forme, Théophile Gautier, Mallarmé, que de Baudelaire ! Ce n’est nullement un reproche, je suis un peu comme vous moi aussi.
Pour ne pas perdre de vue cette question des termes « ordinaires », je vous invite à vous interroger sur le « sens » à donner à ces "présences" dans Les Planches courbes. Dans quel contexte immédiat ces termes apparaissent-ils ? Où et comment apparaissent-ils ailleurs ? Comment les interpréter ? Quelle est leur force « poétique » ? Je suis sûre que vous pouvez trouver. Ce n’est pas gratuit, vous vous en doutez ! C’est même existentiel chez Bonnefoy ! Il y a chez Yves Bonnefoy intrication constante du complexe et du « simple ». Quel rapport le « simple » entretient–il avec le complexe ? Mais aussi avec le « sens ».
Et puisque vous êtes sensible à la présence de la mythologie dans cette œuvre, vous pouvez aussi établir un lien entre ces références et l’emploi de termes empruntés à la vie courante, à l’univers du quotidien. Comment cela joue-t-il, entre les extrêmes ? Comment les images glissent-elles, d’un monde à l’autre ? Et pour dire quoi ?
Voilà, ce sont des pistes de lecture que je vous suggère. Comme vous, je continue de m’interroger sur cette œuvre forte et déconcertante, qui nous engage, nous lecteurs, dans de vraies questions (philosophiques, poétiques, existentielles, …) et en définitive dans le dialogue - le nôtre mais aussi celui que nous entretenons avec le poète (vivant), avec d’autres qui réfléchissent comme nous sur la dimension d’une œuvre originale - absolument - et attachante - tellement - parce que tellement humaine ! Une œuvre belle et grande, que vous êtes en train de commencer à apprécier parce que vous essayez de trouver des clés qui vous permettent d’entrer comme par douce effraction. Calez-vous dans Les Planches courbes, laissez-vous porter par le rythme de Douve. Laissez-vous bercer par la musique intérieure du recueil. L’on ne sort pas indemne de pareille expérience poétique. Et ça, c’est rarissime !
Rédigé par : Angèle Paoli | 09 février 2007 à 16:54
Je viens de lire votre message et je tenais simplement à préciser que mon terme "blasphème" était voulu, je considère la poésie comme une divinité, j'ai foi en la poésie "classique" (je sous-entends par classique tout type de poésie respectant les règles classiques) et je conçois comme un blasphème cet irrespect totalement volontaire des règles de la poésie. Cependant, comme je vous l'ai dit précédemment, j'ai tout de même fini par apprendre à apprécier certains aspects de l'oeuvre d'Yves Bonnefoy et j'espère pouvoir apprendre à l'apprécier davantage au fil des prochains mois qui me séparent du BAC.
Rédigé par : Claire P. | 09 février 2007 à 21:12
Violhine à Claire P.
Un blasphème? Quelle horreur! Mais nous ne sommes plus au XVIIe siècle où tout devait être parfaitement bien cadré selon les bonnes moeurs du pays. En tant qu'amatrice de poésie moderne et ayant apprécié l'oeuvre de Mr Bonnefoy, je ne peux qu'être indignée.
Cette oeuvre est un réel hommage à la poésie, à la création et à la matière poétique notamment la nature, les 4 éléments, les "choses proches". Déjà utilisons les bons mots pour les bonnes choses : un blasphème a quand même une connotation religieuse, alors si vous souhaitez traiter l'oeuvre de Bonnefoy de blasphème je crois qu'il vous rirait au nez, du fait qu'il est tout bonnement athée. Qu'on puisse dire que le marquis de Sade écrive des blasphèmes, après tout cela serait plus compréhensible, mais par pitié évoluez avec votre temps. Tout a évolué, on n'écrit plus un roman comme au Siècle des Lumières, la période des peintures des scènes religieuses est bien finie, alors laissez la création poétique se renouveler.
Rédigé par : violhine | 23 mai 2007 à 18:28
Elève en Terminale Littéraire cette année, je me suis attaquée aux livres au programme dès l'été.
Je ne connaissais alors absolument pas Yves Bonnefoy, n'en ayant jamais entendu parler.
J'aime énormément la poésie, mais jusqu'à présent les seuls poèmes à m'avoir touchée comme Les Planches Courbes étaient les textes de Baudelaire, et les Lettres à un jeune poète, de Rainer Maria Rilke.
Contrairement à bon nombre des élèves de ma classe, j'ai tout de suite adoré cette oeuvre, mais je dois avouer que je n'y avais en réalité pas compris grand-chose.
Ses mots m'ont touchée d'une façon telle que je ne saurais dire si j'en ai été touchée par le sens qu'ils portent ou non.
Toujours est-il que ce fut un réel plaisir de l'étudier cette année, et qu'en le relisant au fil des études de ce texte, j'ai de plus en plus compris (heureusement, me dira-t-on !) et apprécié le "message" dont il est porteur.
Je n'ai malheureusement pas le temps d'écrire un commentaire plus long (je suis justement en train de relire Les Planches Courbes pour l'épreuve de Littérature de demain), mais je voulais remercier un peu Yves Bonnefoy de m'avoir donné de si beaux moments, même s'il ne lira certainement jamais cela ; un petit hommage personnel en quelque sorte.
Rédigé par : Astrid | 14 juin 2007 à 18:55
Bonjour.
Je passais par ici car je recherchais l'adresse e-mail de monsieur Bonnefoy, pour lui dire à quel point il m'avait aidé, non pas pour réussir mon bac, mais pour comprendre certaines choses de la vie qui étaient obscures et disloquées dans mon esprit.
Je suis admirative lorsque je relis son oeuvre Les Planches Courbes, c'est un livre dont je ne me lasserai jamais.
Tout simplement pour dire que j'aimerais le connaître.
Rédigé par : Marine | 22 juin 2007 à 03:27
Réponse à Violine:
Pourquoi devrais-je évoluer avec mon temps? Tout est une question de goûts. Quand je parle de blasphème je parle avec un mot qui me semble juste mais qui n'est en rien une attaque de l'oeuvre de M. Bonnefoy... J'aime beaucoup les poètes comme Mallarmé... Et cette poésie je la place tellement haut dans mon estime que c'est une sorte de seconde religion pour moi. Je la lis comme certains lisent la Bible. Rassurez-vous, "blasphème" n'est en rien péjoratif...
Et puis si j'ai quelques générations de retard au niveau poétique tant pis, je n'ai pas à suivre les modes... Ce n'est pas parce que maintenant il est courant d'écrire de cette façon que je dois y être sensible... Je préfère les "perfectionnistes de la forme".
Mais cela ne m'empêche en rien d'apprécier l'oeuvre de M. Bonnefoy pour ses messages... Si je n'aimais vraiment pas DU TOUT je n'aurais pas pris la peine d'écrire sur ce site. J'aime partiellement disons.
Rédigé par : Claire P. | 05 juillet 2007 à 16:19