Chroniques de femmes - EDITO
Le mois dernier, j’ai fait mon marché de Noël chez Jean Princivalle, l’éditeur de L’Amourier qui fait pousser les plantes, germer les images et s’épanouir les mots dans son jardin de Coaraze, là-haut au-dessus de Nice. L’homme, le sol et l’air, la lumière méditerranéenne y sont favorables aux productions de la terre, du corps et de l’esprit, dont le dernier livre publié par l'éditeur nous livre les beautés.
Dans Le Jardin de l’éditeur Amourier, on cueille vingt-quatre photos des légumes, fruits et plantes qui garnissent notre table, qui habitent notre regard et notre langue. Chaque page sur fond noir est une fête des sens. Les soixante-douze écrivains du recueil ne s’y sont pas trompés. Chacun, par groupes de trois, a choisi son légume, son fruit ou sa plante et dévoilé le lien secret qui les unit. Ce qui en ressort est une étonnante synesthésie entre règne végétal et règne verbal. Michel Butor ouvre le chant par un poème où sont invoquées les muses jardinières qui méditent les couleurs des racines, murmurent les parfums d’herbes fines et répandent la rosée des planètes. Est-ce elles qui ont donné aux auteurs l’inspiration ?
Les textes, verticaux ou horizontaux, proses ou poèmes, font résonner les mots et les images en délicieux accords. Daniel Biga commence par célébrer la chair mordorée et juteuse de l’abricot. Quelques pages après, Jean-Gabriel Cosculluela vante l’aubergine dont l’épluchure est le paradis perdu du jaune et du bleu. Bernadette Griot, un peu plus loin encore, sent la vibration subtile du vert persil. Jean-Pierre Chambon dénude l’oignon translucide.
Ph. D.R. L'Amourier
Devenir des larmes, présent de la joie, dans Le Jardin, le jadis joue aussi son rôle. La mémoire fait lever des réminiscences, dévoile des souvenirs d’enfance, des instants de bonheur, des éternités de lecture. La menthe chère à Henri Maccheroni, la figue, fruit d’Olympia Alberti, nous rendent à la chair tendre d’enfants, à la main odorante posée sur une femme, à des bouches pulpeuses. Plaisirs d’amour, paradis perdu, musique des langues, sous la plume de Paolo Ruffilli et de Fabio Scotto, l’italien chante les chicorées de Vérone con le loro maliose rosse campane ou la laitue batavia. Amoureux de ce même légume, François Bon nous apprend que c’est Rabelais, en février 1536 qui, d’Italie, en envoya quelques graines à son ami D’Estissac. Il fut à l’origine de la première salade sur le sol de France.
Ph. D.R. L'Amourier
Je mords de mes mots à ton cœur vert d’émeraude, écrit Fabio Scotto. Saveur des choses, faim des mots, soif (étanchée) du lecteur. Dans Le Jardin, nous rappelle Bernard Noël, il y a toutes sortes de plantes et des mots-plantes comme ce basilic qui parfume la sauce-tomate de sa cuisine mentale. Sans doute avons-nous tous une pensée-pomme de terre, carotte, olive, fraise, piment… où se nouent le dire et le faire.
Sylvie Fabre G.
D.R. Texte Sylvie Fabre G.
Voir aussi le site de L'Amourier éditions
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A la bonne heure ! Bienvenue à Sylvie Fabre G. dans nos lectures favorites.
Amitiés,
J.-M.
Rédigé par : Jean-Marie | 08 janvier 2006 à 19:17
"Mon idée, c'est que, plus on est cultivé, plus on s'amuse en faisant les courses. Je choisis les pommes de terre en hommage à Van Gogh, les salades en me souvenant que Rabelais écrivit : " Dieu n'a pas créé le carême mais les salades." Je pense à Diogène qui offrit des figues à Platon, et à La Rochefoucauld qui envoyait des Maximes inédites à une amie sans prétendre pour autant mériter son potage de carottes. Quand il ne réussissait pas à trouver les truffes qu'elle lui demandait, il lui envoyait à la place quelques Maximes qui, s'excusait-il, ne valaient pas de bonnes truffes."
François Weyergans, Trois jours chez ma mère, Editions Grasset et Fasquelle, 2005, p. 176.
Rédigé par : pascale | 06 février 2006 à 14:59