Actes Sud, Collection « Le cabinet de lecture »
d’Alberto Manguel, 2005.
Traduit de l’espagnol (Argentine)
par Silvia Baron Supervielle et Claude Couffon.
Image, G.AdC « TISON DE GLOIRE, SANG PAR ÉCUME, OR, TEMPÊTE » (Mallarmé) Tenter de dire la poésie d’Alejandra Pizarnik, c’est tenter de se saisir du reflet d’une ombre noyée derrière un miroir absent. Car la poésie de Pizarnik est semblable à cet « arbre de Diane » — titre de l’un de ses recueils poétiques —, arbre transparent qui possède sa « clarté propre, étincelante et brève » et « ne donne pas d’ombre ». Encore que l’idée même de possession est totalement absente de l’univers de Pizarnik, qui ne s’approprie rien, pas même son langage, pas même ses mots. Alejandra Pizarnik n’a de prise ni sur le réel ni sur elle-même. Elle est à cru. Sans fioriture ni concession. Un os, dégagé de toute sa gangue de chair et de parade. Telle est la poésie de Pizarnik, à l’image du poète. Une poésie qui fait frémir. Mais qui pénètre sous la peau et s’infiltre jusqu’à la moelle. Jusqu’à bouleverser les assises solides sur lesquelles chacun avait construit sa perception des choses. Alors surgit la poésie de Pizarnik, non pas froide et décharnée comme il serait possible de l’imaginer au premier abord, mais incisive comme le fil d’un diamant. Et libre. Libre comme une épure. Difficile de « voir », pour celui qui ne parvient pas à « franchir les portes de corne et d’ivoire » et à s’avancer vers le centre cristallin et pur — invisible en effet et pourtant lumineux — des poèmes de Pizarnik. Concentrée à l’extrême sur elle-même autour de son noyau, la matière poétique de Pizarnik se calcifie sur sa vie même, faite de détresse, de solitude et d’impossibilité à vivre. Et l’on voudrait comprendre d’où lui vient cette douleur, de quoi est fait « ce cœur qui n’a jamais pu que battre à peine ». Alors, le lecteur, bouleversé et désarmé, se met en quête d’images, images connues-reconnues-rassurantes. Mais les images semées qui affleurent çà et là comme de minuscules cailloux sont des écueils qui déchirent la peau. Ce sont les « os », la « cage », l’« oiseau mort », le « miroir », « le jardin », « le lilas », le « mur » sur quoi viennent se cristalliser, encore et toujours, les silences et les peurs, les angoisses, la mort. Toutes les « gammes de la peur ». Errances et chutes. Et les choses les plus naturelles, la pluie et la lumière, le vent et les nuages se chargent d’une noire et inquiétante abstraction qui fait obstacle à la simple jouissance. Partant, à leur immédiate compréhension : « La lumière du vent dans les pins : ces signes de tristesse incandescente, est-ce que je les comprends ? », écrit Alejandra dans Conte d’hiver. Mais ne faut-il pas ici prendre le verbe au mot, le cueillir à sa racine : « comprendre », n’est-ce pas « prendre avec soi » ? La difficulté de la poète argentine est bien de n’avoir pas d’emprise sur les choses qui sans cesse se dérobent à elle. Sans cesse séparées d’elle par un écran qu’elle-même suscite, crée et invoque. C’est de cette mise à distance, vécue comme une fêlure, mais rageusement appelée, que naît la souffrance profonde de celle qui n’a pas non plus de préhension sur elle-même. Qui perçoit ses voix sous sa voix. Et sa voix dans ses voix. Et qui écrit dans Invocations : |
« …Crée un espace d’injures entre moi et le miroir, crée un chant de lépreuse entre moi et celle que je me crois. » |
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Bonjour Angèle Paoli,
Je viens de lire votre écrit sur A. Pizarnik que je trouve remarquable... belle référence à la métaphore de l'oiseau en vol de la Taittirya Upanishad pour parler de cette écriture et de ce parcours "extra"-ordinaire que fut celui de la Poétesse... Merci à vous... Peut-être aurons-nous l'occasion de nous rencontrer... Je profite de ce mail pour vous dire que l'exposition sur l'Empire des Gupta au Grand Palais a lieu jusqu'au 25 juin.
Bien à vous
Lara Bruhl
Rédigé par : Lara Bruhl | 12 juin 2007 à 12:09
je brûle de lire ce livre de César Aira sur Alejandra, ... à lire !
Rédigé par : lam | 23 mai 2009 à 18:32
Une partie de l'ouvrage de Cesar Aira peut être lu en ligne (en espagnol, sur books.google.fr). Voir le lien dans l'encadré ci-dessus.
Rédigé par : Webmestre de TdF | 24 mai 2009 à 10:04