28 janvier 1873 : naissance de Colette à Saint-Sauveur-en-Puisaye (Yonne).
Colette
Image, G.AdC
« J’ÉTAIS JUSTEMENT FAITE POUR NE PAS ÉCRIRE »
Mon premier hiver scolaire fut un grand hiver, j’allais à l’école entre deux murs de neige plus hauts que moi… Qu’a-t-on fait de ces grands hivers d’autrefois, blancs, solides, durables, embellis de neige, de contes fantastiques, de sapins et de loups ? Après avoir été aussi réels que mon enfance, ils sont donc aussi perdus qu’elle ? Aussi perdus que la vieille Mlle Fanny, immatérielle institutrice fantôme, qui vivait de romans et de privations ? Parfois Mlle Fanny sortait de son rêve romanesque, et poussait un hennissement qui annonçait la leçon de lecture… Cette année-là, nous apprîmes à lire dans le Nouveau Testament. Pourquoi le Nouveau Testament ? Parce qu’il se trouvait là, je pense. Et la vieille demoiselle fantôme institutrice scandait, à coups de règle sur son pupitre, le rythme de syllabes sacrés, psalmodiés en chœur : En ! – ce ! – temps ! – là ! – Jé ! – sus ! – dit ! – à ! – ses ! – dis ! - ci ! – ples !... Parfois un élève bébé, qui s’était assise sur sa chaufferette pour se réchauffer, poussait un cri aigu, parce qu’elle venait de brûler son petit derrière son petit son derrière. Ou bien une colonne de fumée montait d’une chaufferette… Tout autour de nous, c’était l’hiver, un silence troublé de corbeaux, de vent miaulant, de sabots sabotant, l’hiver et la ceinture des bois autour du village… Rien d’autre. Rien de plus. Une humble, une rustique image…
Mais je crois que si une petite magie inoffensive pouvait me rendre ensemble l’arôme de la pomme bavant sur la braise, de la châtaigne charbonnant, et surtout l’extraordinaire vieux tome du Nouveau Testament, rongé, loqueteux, moisi, où Mlle Fanny conservait, entre les pages, des pétales de tulipe séchés, transparents comme l’onyx rouge, des petits cadavres gris de violettes, les figures à barbe carrée des pensées de printemps, je crois, oui, que je serais bien contente. Je crois que j’emporterais avec moi, je respirerais ce grimoire à dévoiler le passé, cette clef qui rouvre l’enfance, et qu’il me rendrait mes six ans qui savaient lire, mais qui ne voulaient pas apprendre à écrire ? Cette répugnance, que m’inspirait le geste d’écrire, n’était-elle pas un conseil providentiel ? Il est un peu tard pour que je m’interroge là-dessus. Ce qui est fait est fait. Mais dans ma jeunesse, je n’ai jamais, jamais désiré écrire. Non, je ne me suis jamais levée la nuit en cachette pour écrire des vers au crayon sur le couvercle d’une boîte à chaussures ! Non, je n’ai jamais jeté au vent d’ouest et au clair de lune des paroles inspirées ! Non, je n’ai pas eu 19 ou 20 pour un devoir de style, entre douze et quinze ans ! Car je sentais, chaque jour mieux, je sentais que j’étais justement faite pour ne pas écrire. Je n’ai jamais envoyé, à un écrivain connu, des essais qui promettaient un joli talent d’amateur ; pourtant, aujourd’hui, tout le monde le fait, puisque je ne cesse de recevoir des manuscrits. J’étais donc bien la seule de mon espèce, la seule mise au monde pour ne pas écrire. Quelle douceur j’ai pu goûter à une telle absence de vocation littéraire !
Colette, « La chaufferette », Journal à rebours [Arthème Fayard, 1941], Laffont/Bouquins, III, 1989, pp. 60-61.
Bonsoir Angèle! Mais comment faites-vous pour me tenir en haleine tous les soirs (pour moi, c'est le soir) avec des textes nouveaux, pas nouveaux-récents, mais nouveaux-inconnus jusqu'à ce soir. Je me sens de la même famille "littéraire" que Colette et j'ai beaucoup aimé le texte d'aujourd'hui. Merci aussi pour les textes liés-reliés aux bois peints de ciel et de terre. J'écoute en boucle la musique du soir pour accompagner ma lecture de chaque jour. Bref, faisons-la simple et sans chi-chi, merci!!
Anie Tor
Rédigé par : anie tor | 29 janvier 2006 à 23:13