Bernardin de Saint-Pierre est né au Havre le
19 janvier 1737 et mort à Éragny-sur-Oise le
21 janvier 1814. Ami de Jean-Jacques Rousseau dont il partage les vues philosophiques, Bernardin de Saint-Pierre est l’auteur d’un unique roman,
Paul et Virginie (1788).
Image, G.AdC
PAUL ET VIRGINIE
« C’est comme une enfance du monde que transcrit le roman de Bernardin : nous sommes projetés avant. Avant le désir, dans la simple satisfaction du besoin ; avant l'accumulation, dans la simple production de l'autarcie ; avant la sophistication, dans le simple appareil de la frugalité ; et aussi avant la sexuation, dans l'indistinction des êtres ; avant l'individuation ; dans l'échange des propriétés ; avant la faute, dans l'innocence ; avant la parole, dans la manifestation ; avant la pensée, dans l'évidence ; avant les cultures dans la compénétration des modèles de la beauté. Avant la catastrophe, dans l'enfouissement en Dieu. Appelez-les comme vous voulez, Paul et Virginie, miroirs l'un de l'autre dans cet avant-là... »
Jean Delabroy, Préface de Paul et Virginie, Pocket.
Publié en 1788, ce récit est la quatrième partie d’un ouvrage intitulé Études de la nature, déjà paru en 1784. Séparé de l’œuvre d’ensemble, ce court récit remporte aussitôt un vif succès et assure la célébrité de son auteur. Il révèle au voyageur épris d’exotisme, les paradis de l’île Maurice où Bernardin de Saint-Pierre, ingénieur du roi, a vécu pendant deux ans (de 1768 à 1770). De son séjour à l’île de France, Bernardin de Saint-Pierre avait rapporté un récit épistolaire, Voyage à l’isle de France (1773). Mais c’est avec Paul et Virginie que se confirme son talent d’écrivain.
Quel lecteur s’aventurerait aujourd’hui, sans réticence et sans préjugés, dans la lecture de Paul et Virginie ? Souvent défini comme un roman mièvre, pétri de bons sentiments, Paul et Virginie est un roman désaffecté. Dont seuls quelques doux rêveurs osent encore aborder aux rivages mythiques !
Paul et Virginie est le roman d’une idylle. L’idylle de deux enfants qu’un sort commun a réunis dans un même univers. Paul est le fils naturel de Marguerite, fille de paysans bretons, abusée par un gentilhomme et contrainte d’aller cacher « aux colonies » sa faute. Virginie, elle, est la fille de Madame de La Tour, que son époux, « mort des fièvres pestilentielles », laisse veuve et bientôt mère sur les bords d’une île perdue dans l’océan Indien. Son nom est l’île de France. L’île est le troisième personnage du roman.
Île lointaine, l’île de France est difficilement accessible. Protégée et enclose sur elle-même, elle est une matrice. Une matrice arcadienne qui abrite la vie d’une petite communauté, bien organisée, vivant en autarcie, grâce à l’office de son industrie et aux bienfaits de sa vertu. Au sein de cet « œuf primordial », Paul et Virginie, sont indissociables, élevés comme frère et sœur dans une même symbiose, au cœur d’une nature généreuse. Roman de la gémellité, Paul et Virginie est aussi un roman des origines. Les deux enfants vivent inséparables dans une innocence édénique dont le lecteur épris d’azur rêve qu’elle ne prendra jamais fin.
Pourtant, quelques signes avant-coureurs du désastre à venir émaillent çà et là le récit. Ainsi de la présence de l’esclavage sur l’île. Dure réalité dont rend compte l’épisode de la « Négresse marronne » qui fuit la cruauté de son maître. Ou encore l’épisode de la destruction du « repos » de Virginie, maltraité par l’ouragan. Sans compter les histoires de naufrages effrayants dont la mère de Virginie fait le récit à la veillée.
Le lecteur pressent que quelque chose se trame à l’insu des deux jeunes gens. Mais le plus gros grain de sable, celui qui vient déranger cette belle ordonnance, c’est ce « mal inconnu » qui s’infiltre dans les rouages de cet univers, jusqu’alors idyllique. Et c’est de Virginie qu’il provient. Dès lors, l’harmonie des origines est battue en brèche et Virginie devra porter seule le fardeau de son mal. Adolescente tourmentée, Virginie souffre d’un mal qu’elle n’ose nommer. Le mal qui s’insinue en elle, la déchire et l’éloigne de Paul. Qu’elle aime en silence. Cette passion muette la brûle et la dévore, sans que Paul en prenne conscience. Lorsque Paul comprend, il est déjà trop tard. Le destin de Virginie est en marche, personnalisé par Madame de la Tour et par tous ceux qui la conseillent. Virginie quitte l’île. Et s’exile en France. Mais les espoirs de fortune et de beaux partis que l’on avait agités pour elle la laissent indifférente. Elle se consume loin de Paul et de sa chère île natale, dans l’univers factice de la haute société. Et Paul en est quitte pour attendre. Indéfiniment. D’abord les lettres, puis le retour deux ans plus tard de sa bien-aimée. Et lorsque, enfin, il est près d’atteindre au but, que le Saint-Géran est sur le point d’accoster et de lui rendre sa chère Virginie, une tempête imprévue secoue le bâtiment, le soulève et le couche sur le flanc. Virginie est emportée par les flots. Il ne reste plus à Paul qu’à ensevelir le corps de l’aimée au cœur de son « repos », consciencieusement reconstruit par Paul. Virginie repose au pied des deux cocotiers qui entrecroisent encore leurs branches par-dessus la tombe.
Roman mièvre alors ? Oui, si l’on considère que le roman se construit et se tisse avec ce qu’il est convenu d’appeler des ingrédients mélodramatiques. Mais c’est oublier que ce court roman, édité en 1788, est porteur de l’idéologie des Lumières. La petite entreprise familiale de Madame de La Tour et de Marguerite, aidées de leurs serviteurs noirs, est un bel exemple d’utopie heureuse. Celle dont rêve également Rousseau, ami très cher de Bernardin. Une première harmonie (de type transversal) règne entre les deux femmes d’origine sociale pourtant fort différente. Une seconde harmonie (de type vertical) règne aussi entre les deux maîtresses et leurs serviteurs.
Chaque membre de cette modeste société partie de rien, participe, selon ses qualités et dispositions naturelles, au progrès, et s’applique à faire fructifier le bien de tous. Nulle jalousie, nul désir ne viennent troubler cette famille, unie autour d’un unique projet : la construction du bonheur des deux enfants.
Roman à portée philosophique, le roman pastoral de Bernardin de Saint-Pierre « oppose les vertus de la vie champêtre à la corruption sociale ». Corruption sociale dénoncée par le narrateur-auteur à travers les récits sur l’esclavage, réellement pratiqué dans l’île de France ; et incarnée, en métropole, par la tante de Virginie. La jeune fille, envoyée en France pour y construire un avenir à la hauteur de sa naissance, ne parvient pas à adhérer aux principes éducatifs de cette femme rigide et intéressée. Virginie, hostile aux mœurs policées qui lui sont imposées, préfère retourner sur sa terre natale. Le retour de Virginie est un choix : celui de l’état de nature qui l’emporte, chez la jeune fille, sur l’état de culture. Mais Bernardin de Saint-Pierre, conscient des limites de cette nouvelle utopie, choisit à son tour d’y mettre fin par un dénouement tragique, contenu en filigrane dans le récit. Une dimension tragique rendue sensible par la présence d’un narrateur qui prend en charge le récit et élabore, à travers tout un canevas de symboles et de prémonitions, cette perspective… jusqu’à la catastrophe finale. Un dénouement miroir du pessimisme existentiel de Bernardin de Saint-Pierre.
Bernardin de Saint-Pierre, Paul et Virginie, Le Livre de Poche, 1999.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
Émile-Jean-Horace Vernet (1789–1863)
Scène de tempête après un naufrage
Huile sur toile, 59 x 72 cm
The Whitney Collection
The Metropolitan Museum of Art, New York
Source
Je trouve ce roman rempli d'émotions très vives, comme les souffrances des deux adolescents, mais aussi la tristesse des deux mères.
Ce livre devrait faire réfléchir un peu la jeunesse de notre temps qui en un simple regard tombe "amoureuse" de n'importe qui et qui endure des ennuis par la suite.
De nos jours, nous pouvons tirer des moralités de ce roman, où l'amour amical est plus approfondi et où amour et amitié se confondent très facilement.
Rédigé par : Ulger | 06 juin 2007 à 14:56
je trouve que ce roman est très beau mais qu' il y a trop de problèmes et que le dénouement est trop tragique. On ne connaîtra jamais la fin...
Rédigé par : sonia | 11 novembre 2007 à 17:59
Trop de problèmes ? Non, plutôt des difficultés qui sont celles d'une autre époque et de ce fait vous semblent peut-être un peu dépassées.
Tout dénouement est par nature tragique puisqu'il n'est de vie qui ne se solde par la mort. Sans laquelle il n'y aurait pas de vie. La fin, dans le roman de Bernardin de Saint-Pierre, c'est le naufrage, la mort de Virginie, le désespoir de Paul. Que faut-il attendre de plus ?
Rédigé par : Angèle Paoli | 11 novembre 2007 à 19:12
Ce roman, lu à l'école il y a plus de 40 ans, m'a marquée par son idée de la critique de la civilisation en métropole par rapport à la vie sauvage sous les tropiques. Contraste bien illustré par la fin de Virginie qui n'a pas voulu se déshabiller lors du naufrage du bateau de retour. L'eau a alourdi sa robe et elle fut aspirée au fond. Sa pudeur, acquise lors de son éducation en France, a provoqué sa perte.
J'y pense souvent en voyant des musulmanes nager avec leurs robes, ceci sans vouloir les critiquer, ni condamner cette interprétation de l'islam, mais je ne peux m'empêcher d'établir une comparaison... ceci à titre purement personnel...
Rédigé par : michelle | 03 janvier 2008 à 19:00
On peut considérer ce roman comme un hymne à la vertu .
Rédigé par : abid | 21 mars 2008 à 01:13
ce livre rend justement l'amour que l'on peut porter à quelqu'un plus douloureux encore. L'amour, et notre manière personnelle de l'extérioriser, ne tient qu'à nous, et non pas à notre génération. Ce sont les mœurs, au cœur de ce roman, qui entravent la liberté d'aimer. Ce n'est pas la dépravation de la jeunesse du XXIe siècle qui nous fait tomber amoureux le temps d'un battement de paupières, mais c’est notre siècle qui nous fait refouler ou non notre amour. Nous ne sommes pas plus libertins ou plus corrompus que les générations précédentes, nous sommes plus libres.
Marie, 17 ans
Rédigé par : marie | 25 juin 2008 à 13:37
Ce livre est facile à lire et donne envie de le faire découvrir aux autres. J'ai découvert ce livre grâce à ma professeur de francais. Je la remercie.
Rédigé par : leslie | 11 octobre 2008 à 12:02
PAUL ET VIRGINIE est vraiment un chef d'oeuvre car elle s'inscrit dans l'idéologie du siècle des lumières et en est une preuve que la nature est notre vraie mère qui nous protègera toujours contre la corruption de la vie mondaine qui en apparence est un développement mais en réalité elle sera la seule cause du malheur de l'homme,cause qu'il a lui-même créée, donc l'homme aveuglé et assoiffé par la prospérité et le pouvoir a préparé sa tombe et s'est crevé les yeux avec ses propres mains tout comme OEDIPE mais la différence c'est que l'acte de ce dernier est bien mérité et justifié tandis que l'HOMME avait le choix de vivre dans le bonheur naturel mais il a choisi sa destruction à petits feux. Les prémisses de cette destruction commencèrent déjà à surgir mais ce n'est que le début d'un drame inéluctable de l'humanité;mais en fait ce choix ou bien cette erreur qu'a commise l'Homme existait depuis ADAM ET EVE et donc c'est originel comme erreur.
Rédigé par : amina | 04 janvier 2010 à 11:17