Santu reçut Saveria dans ses bras. Elle se sentait lasse, Saveria, mais c’était bien compréhensible dans l’état qui était le sien. Pourtant, elle ne pouvait rester inactive. Elle avait besoin de se dégourdir les jambes. Poussée par la curiosité, elle s’aventura au-delà du massif de bruyères et découvrit, en contrebas de la pente, de belles fougères qui grimpaient à l’assaut des grands arbres. Elle en coupa de pleines brassées qu’elle déposa à l’entrée de la grotte. La jeune femme pénétra dans le vaste abri naturel qui portait encore les traces d’une visite récente. Des pierres disposées en demi cercle, d’autres noircies par le feu, quelques fagots de bois secs, debout dans un arrondi de muraille. C’est là, dans cet antre, qu’ils allaient passer leur première nuit de voyage. Avec un balai de scopa trouvé dans un recreux de roche, Saveria balaya le sol de terre battue. Elle était heureuse de s’activer à des tâches ménagères. Son dos engourdi lui faisait mal. Et ses épaules étaient lourdes de l’effort inconsciemment fourni pour ne pas tomber du dos de Manfarinu. Avec des gestes précis et souples, elle confectionna un lit en prenant soin d’alterner feuilles et tiges de fougères. Elle recouvrit ensuite la litière d’une lourde couverture en poils de chèvre. Elle aspira à larges bouffées cette bonne odeur de feuillage frais mêlée de chaleur animale lourde.
La nuit était maintenant tout à fait tombée, une nuit étoilée que le scintillement des astres rendait plus froide encore. Saveria et Santu, blottis l’un contre l’autre autour du feu, se réchauffaient doucement. Le crépitement régulier des flammes berçait leur corps engourdi par l’effort de la marche. Santu tirait sur sa pipe tout en attisant les flammes avec des tiges d’asphodèles. Les ferluccci crépitaient et faisaient monter des gerbes d’étincelles joyeuses vers la voûte culottée de suie. Santu défit ses lourdes bottes qui s’abandonnèrent à leurs formes. Saveria aurait bien aimé procéder à un brin de toilette, mais il faisait trop froid et elle ne se sentait pas le courage de se mettre nue. Demain peut-être, si Santu voulait bien lui chauffer un baquet d’eau. Pour le moment, ce qu’elle voulait, c’était s’allonger sur le lit de fougères. S’allonger pour détendre son corps, étirer ses jambes et permettre au figliolu qui gîtait dans ses flancs de prendre ses aises. Santu aida sa femme à se coucher, puis il s’allongea à ses côtés. Elle se blottit dans ses bras, heureuse de sentir son corps musculeux contre le sien. Ensemble, ils parlaient du petit à naître, qui gigotait dans son sein. Pourvu qu’elle tienne jusqu’à leur retour au village, pourvu qu’elle arrive jusqu’à l’après-solstice. Pourvu, pourvu… Elle lui parlait et le berçait, mon petit, u mo figliolu. Elle s’endormit sur ces mots de tendresse et d’amour. Santu la serra dans ses bras.
Ce matin-là, après trois jours de marche, ils sont arrivés à la ville. Ce matin-là, ils ont reconnu la ville à la couleur de l’horizon. Ce matin-là, ils ont reconnu la ville à cet éblouissement du ciel au-dessus de la mer.
SUITE>>>> Manfarinu, l’âne de Noël, IV
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