Chroniques de femmes - EDITO
Pour finir en beauté cette fin d'année, je ne peux résister au plaisir de mettre en ligne pour les lectrices et lecteurs de Terres de femmes le courrier que nous a tout dernièrement fait parvenir Laetizia, une jeune et sémillante étudiante corse qui vient d’entreprendre des études de Beaux-Arts à Rome.
Pace è Salute, Leti
Angèle
CHRONIQUE ROMAINE D'UNE JEUNE ÉTUDIANTE CORSE
Ce mail est peut-être un peu long, mais je tiens à te raconter l’histoire qui m’est arrivée ce matin...
Alors, voilà la différence entre France et Italie. On dirait un film...
Quand je te dis : « burocrazia della putana della madonna », je déconne pas... Sur le papier français, il est simplement écrit : « Rendez-vous à l’USL* le plus proche où l’on vous remettra immédiatement, en échange de votre carte européenne, un carnet avec la liste des médecins conventionnés et donc remboursés ; de même pour la médecine spécialisée... »
Attenzione...
Je me rends à l’USL le plus proche (soit un arrêt de métro quand même !), une vieille folle qui se boit « un caffè » me fait monter au dernier étage pour me faire ensuite redescendre au second et me dire que dans le couloir 3, porte B, on pourra m’aider ! Là, un autre type me donne un papier sur lequel il y a marqué la fameuse adresse : « via Odescalchi », un autre USL ouvert bien sûr deux jours par semaine et seulement le matin entre 9.30 et 12 h...
Je cherche donc dans le Tutto città, journal de référence pour les rues. Figurati, cette fameuse rue, elle existe dans la liste des rues mais pas sur le plan… impossible de la trouver, je te jure! Bref, je me rends sur mappy, je finis bien par la trouver, l’Odescalchi !
Le lendemain, je me fais un métro et deux bus, j’arrive au numéro 68 de cette rue, et là...
« Ah, ma no signora, lei si è sbagliata … è il numero 58... ! » [Ah, mais non, Madame, vous vous êtes trompée… c’est le numéro 58… !]. Okkay !
Et là, j’arrive dans un bureau complètement pourri. On me reçoit au bout d’un quart d’heure et on me dit gentiment : « Madonna mia !!!!... Non é questo USL, è quello che si trova alla fine della via delle Sette Chiese... [Ce n'est pas cet USL, c'est celui qui se trouve au bout de la rue des Sept-Eglises] Mariangela !!! »
Mariangela... Je sais pas ce qu’elle foutait, cette Mariangela, mais on m’a offert le « caffè » en l’attendant.
« Allora, deve tornare verso via Colombo: è al largo delle Sette Chiese… »
Bon... J’ai fini par y arriver, un immeuble années trente, tous les meubles dedans n’avaient pas été renouvelés depuis, de même pour la peinture… Je me croyais au Maroc, j’ai fini par prendre mon petit ticket avec mon numéro... Bien sûr, je suis le n°90 et l’écran qui indique les chiffres pendouille déjà à moitié sur le mur… il tombe en panne au n° 86… Aaaaahhh, ça fait un gros tuuuuutttt… et boom !!! Plus de chiffres. Trois portes s’ouvrent en même temps. Des gens sortent, entrent à nouveau :
« La machinetta è stata rotta, è rotta la machinetta dei numeri... Madonna mia santissima, la machinetta... Federico… la machinetta ...!!!! »
La femme gueulait en l’appelant... Federico était au deuxième étage... Bon ! Là, j’ai explosé de rire devant toute la file des gens qui attendait.
Ce qui est fou, c’est que les gens « s’engatsent »** pas comme en France, ils sont là et puis ils attendent, tout le monde se parle, se demande comment on va réparer la machinetta dei numeri…
Du coup, le portier s’est mis à dire les chiffres à voix haute, les uns après les autres, et tout le monde a eu droit à son tour. On m’a présenté une espèce de liste toute moisie écrite à la main avec les noms des médecins conventionnés. J’ai recopié le nom de ceux qui étaient à côté de chez moi...
C’est pas fini ! Pour la médecine spécialisée, comment je fais ? J’ai que les médecins généralistes !
Là …
« Aah, signora, no lo so, se lei ha un problema : prima va a vedere il medico generale, e poi, questo ti manderà verso quello di medicina specialistica ... » [Aah, Madame, je ne le sais pas, si vous avez un problème, il faut d’abord aller voir le médecin généraliste, et lui vous enverra vers le spécialiste].
Wwaaaaoooouuu !!!
C’est le Tiers monde ici… ! Mais les gens sont trop fous et moi j’adore ! Pareil pour quand il pleut ! C’est pas comme à Paris, les gens « s’engatsent », mais pas de la même façon. Exemple : en bas de chez moi, y a le pont du métro et quand il pleut fort les voitures peuvent presque plus passer... alors les gens sortent des voitures, klaxonnent... les pieds dans l’eau … et vas-y que le Napolitain commence à insulter l’autre dans son dialecte et vas-y que le Romain de la voiture de derrière s’en mêle et que le bus peut plus passer ... et que ... fffooouu ! UN CASINO*** !!!
Ils aiment trop la vie ces gens-là. Moi aussi !!!
leti****
* USL, Unità Sanitarie Locali (Centre de Santé)
** Engatser (s') [définition trouvée sur la Toile] : verbe argotique marseillais formé à partir du substantif italien cazzo (trivial), qui désigne la verge, plus exactement la « bite ».
Ce verbe s'emploie dans diverses acceptions : s'enthousiasmer, prendre la mouche, se fourvoyer, s’embrouiller, s’énerver tout seul, s'exciter et se disputer.
« Il s'est engatsé pour la petite Fanny »
« Il a un caractère, je t'assure; il s'engatse pour un oui, pour un non »
« Ils se sont engatsés comme des estrasses. »
*** Un bordel !
**** Vous aurez reconnu l'air de la Fogaraccia (Nino Rota) dans Amarcord de Fellini (scusa, Leti, c'est l'air qui m'est venu en tête en te lisant).
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J'ai bien ri en lisant ce papier de Laetizia et ses tribulations romaines ! Oui, c'est bien ça l'Italie, ce mélange de nonchalance et de perpétuelle agitation. Tout est extrêmement grave et dérisoire à la fois, le sérieux et l'humour, chaque chose et son contraire. Belle leçon de vie !
Rédigé par : pascale | 02 janvier 2006 à 15:53
Aoh, Angèle,
Merci d'avoir publié la mia "storiella". Ce que j’ai adoré, c’est les explications du lexique italiano-marsigliese, de façon très claire, comme dans un dico finalement, ma UN CASINO, je crois que c’est vraiment intraduisible, non ? Parce que, même si c’est un bordel, c’est un bordel, mais EN GRAND, à l’italienne quoi…
Ciao bella ! Ci vediamo
E pace è salute lo stesso…
Rédigé par : leti | 04 janvier 2006 à 21:04
Aoh, Leti,
Di niente, mi ha fatto tanto ridere, la tua storiella ! vero, sai !
C’est étrange, ce « Casino ». C’est vrai que le mot est intraduisible. Je l’ai quand même transposé en « bordel » pour que l’on ne puisse pas imaginer qu’il s’agit d’une quelconque supérette de quartier ! Et puis, en te relisant, je me dis que c’est tout de même très étrange que ce « casino », qui est en réalité un diminutif, toi tu le transcrives en quelque chose d’ENORME. Et tu as raison bien sûr ! Alors, tu vois, comment rendre compte, en français, d’un pareil paradoxe ? C’est la quadrature du cercle, autant dire, pour l’illustrissime mathématicienne que je suis, c’est infaisable. Mais non impensable !
Ton histoire m’en rappelle une autre du même ordre : un embouteillage à Naples. Rien jusque là d’extraordinaire. Sauf que l’embouteillage était dû à une grève d’étudiants en médecine, en plein mois de juillet, sous un cagnard impitoyable. Et bien sûr, je me trouvais coincée, moi aussi, dans ma petite voiture, au milieu de cette marée de voitures sans air conditionné, sans air du tout d’ailleurs, c’était l’afa! Ouffa! Alors, je me suis hissée sur le marchepied, pour respirer mais surtout pour jouir du spectacle. Car c’était un spectacle, du jamais vu ! Les automobilistes s’invectivaient à qui mieux mieux. Les uns avaient grimpé sur les capots de leur voiture, les autres sur celui de la voiture voisine, les uns criaient, « ma indietro, vada via, coglione ! » et les autres au contraire, « ma forza fatti avanti, puttana della madonna ! » et comment faire pour aller avanti o indietro dans ce "patti fenomenale" ? Eh bien, sais- tu, Leti, j’ai vu ce soir–là des motards qui empoignaient leur monture à bras le corps et qui passaient par-dessus les véhicules à l’arrêt, en les enjambant !!! Si, si!!! Ils sont passés aussi par-dessus ma voiture à moi, j’étais éberluée! Jamais je n’avais vu une chose pareille. N’empêche, grâce à ces motards, l’embouteillage a fini par se défaire ! Incredibile ! Je ne risque pas de l’oublier cet épisode napolitain !
Rédigé par : Angèle | 05 janvier 2006 à 00:30
Angèle,
La lecture de tes aventures napolitaines dans un embouteillage m'a instantanément ramené en mémoire Le Grand Embouteillage de Luigi Comencini dans les années 70. Heureusement, ton expérience semble nettement plus anodine que les drames qui se déroulaient dans ce film sûrement réaliste mais ô combien grinçant.
Rédigé par : pascale | 05 janvier 2006 à 09:13
L’Italie, c’est aussi le pays de la tendresse …
LUCIO BATTISTI le chante très simplement !
Voici pour toi, Pascale : Amarsi un po !
"... Amarsi un po' è come bere
più facile è respirare
Basta guardarsi e poi avvicinarsi un po'
e non lasciarsi mai impaurire no
Amarsi un po' è un po' fiorire
aiuta sai a non morire
Senza nascondersi manifestandosi
si può eludere la solitudine
però volersi bene no partecipare
è difficile quasi come volare
Ma quanti ostacoli e sofferenze e poi sconforti e lacrime
per diventare noi veramente noi uniti
indivisibili vicini ma irraggiungibili... "
Amicizia
Guidu_____
Rédigé par : Guidu | 05 janvier 2006 à 13:01