Sculpteur, décorateur et architecte romain, Gian Lorenzo Bernini, dit le Cavalier Bernin ou Bernin*, est né à Naples le 7 décembre 1598. Fils du sculpteur florentin Pietro Bernini, cet artiste fougueux au tempérament bouillonnant, à la verve incontrôlable, est reconnu comme le maître incontesté de l’art baroque de la Rome du XVIIe siècle. Qui lui doit un nombre considérable d’œuvres majeures. Parmi lesquelles figure L’Extase de sainte Thérèse.
Ph. D.R.
L’EXTASE DE SAINTE THÉRÈSE (1647-1651)
Je ne peux séjourner à Rome sans me rendre au moins une fois à l’église Santa Maria della Vittoria. C’est en effet dans cette église que se trouve, à l’intérieur de la chapelle Cornaro, L’Extase de sainte Thérèse. Sculpture en marbre qui me fascine, me bouleverse, et me tient en contemplation.
Commandée à Bernini en 1647 par le cardinal vénitien Federico Cornaro, cette œuvre religieuse s’inspire des écrits autobiographiques de Thérèse d’Avila, fondatrice au XVIe siècle d’un des ordres féminins les plus importants de son temps. Les Carmélites déchaussées. Le sculpteur, impressionné par la vie de cette femme, lui rend ici un vibrant hommage. Et tente de transposer dans le marbre, avec une scrupuleuse fidélité, le récit d’une des nombreuses expériences mystiques rapportées par Thérèse d’Avila. Visions et extases.
« Je voyais près de moi, à ma gauche, un ange dans sa forme corporelle, ce qu’il ne m’arrive de voir qu’exceptionnellement […] L’ange n’était pas grand, plutôt petit, d’une grande beauté, son visage très enflammé le désignait comme des plus élevés, qui semblent tout embrasés […] Je voyais dans ses mains un long dard en or, avec, au bout d’une lance, me semblait-il, un peu de feu. Je croyais sentir qu’il l’enfonçait dans mon cœur à plusieurs reprises, il m’atteignait jusqu’aux entrailles, on eût dit qu’il me les arrachait en les retirant, me laissant tout embrasée d’un grand amour de Dieu. La douleur était si vive que j’exhalais ces gémissements dont j’ai parlé, et la suavité de cette immense douleur est si excessive qu’on ne peut désirer qu’elle s’apaise […] ».
Thérèse d’Avila, Autobiographie, Œuvres complètes, Desclée de Brouwer, 1964, page 207.
Le noeud de l’action de cette œuvre est bien la pâmoison de Thérèse. Alanguie, elle s’abandonne, corps et âme, yeux mi-clos, paupières palpitantes, lèvres entrouvertes sur des soupirs, aux forces vives de l’ange. À sa légèreté. À ses séductions. Elle succombe sous les traits de cet Amour. Amour divin, amour profane ? Où se situe la frontière entre l’éros et l’extase ?
Nul ne sait, pas même Bernin, que cette ambiguïté ― tout entière contenue dans le langage de la religieuse ― frappe et subjugue.
Mais le sculpteur, conscient qu’il touche là un sujet brûlant, renforce encore l’intensité dramatique de la scène en la théâtralisant à l’extrême. De part et d’autre de la scène centrale, dans deux corniches en vis-à-vis, des notables « au balcon » assistent à la scène. Et la commentent à grand renfort de gestes et de conciliabules. Parmi eux, le commanditaire, Federico Cornaro.
Ainsi exposée au grand jour, la vision de Thérèse d’Avila est donc donnée à voir. Aux yeux de tous. Et à contempler. Le spectateur ne peut qu’admirer l’expression de sublime spiritualité qui se dégage de cette mise en abyme baroque. Avec un art parfaitement maîtrisé, Bernin donne à la révélation divine sa dimension palpable faite d’érotisme, de sensualité et d’extase mêlés.
Ci-après, un court extrait (Plorate filii Israël) de l'oratorio Jephté (Historia di Jephte), du compositeur romain Giacomo Carissimi (1605-1674). Cet oratorio a été créé en 1649 pour l'oratoire de l'Archiconfraternità del Santo Crocifisso à Rome, alors même que Bernin réalisait L'Extase de sainte Thérèse.
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* L'avis des spécialistes m'a conduit à écrire Bernin plutôt que Le Bernin. Je me réfère en cela à la graphie adoptée dans l'ouvrage de référence paru en 1998 chez Gallimard, Bernin de Charles Avery (directeur du département de la sculpture européenne chez Christie's).
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On a la culture qu'on peut ! Voici un rapide clin d'oeil à Dan Brown qui dans Anges et Démons nous emmène visiter les plus beaux sites architecturaux de Rome et fait maintes références à Bernini ; il consacre même plusieurs pages à L'Extase de sainte Thérèse dont il fait bien sûr une interprétation attendue et profane.
Dan Brown, Anges et démons Éditeur Jean-Claude Lattès (mars 2005).
Rédigé par : pascale | 08 décembre 2005 à 11:35
Ciao Angela,
Je ne suis pas un grand passionné du baroque, à l'inverse de la Renaissance. Aussi, de ce bizarre mouvement, j'en aime davantage les perles discrètes que les voyantes : plutôt que le Bernin, qui ne parvient pas à me faire oublier la froideur du marbre, Borromini, dont l'oeuvre vibrante et mélancolique me touche. Je pense notamment à San Carlo alle Quattro Fontane dont j'aime tant le cloître dépouillé et diffusément tourmenté.
Quant aux pèlerinages… Je ne retournerai jamais à Rome sans aller voir (et, pourquoi ne pas le dire ?, caresser) Santa Cecilia de Maderno dans l'église éponyme du Trastevere : je ne sais rien de plus délicat, de plus émouvant que ce marbre.
Ceci dit, cette sainte Thérèse est admirable, magnifique. Je ne dirais pas pour ma part avec le président de Brosses que cette extase-là, je sais ce que c'est. Elle est pour moi également ambiguë… ou, pourquoi pas ?, simple : la sainte ne dit-elle pas elle-même que le bonheur s'est communiqué du coeur jusqu'aux entrailles ? Pourquoi, le spirituel et le matériel ne se continueraient-ils quelquefois pas au lieu de s'opposer toujours ?
A la prossima !
Don Diego
Rédigé par : Don Diego | 10 décembre 2005 à 07:57
Gentilissimo Don Diego, je reconnais bien en vous ce raffinement d'esthète qui vous sied tellement. Oui, bien sûr, Santa Cecilia. Une visite que je réserve généralement à mes ami(e)s les plus intimes. Pour ne pas trop tomber dans le stendhalisme "happy few", je me suis permis de rajouter un lien-image dans votre commentaire. Et qu'avez-vous pensé de la compagnie musicale du maestro di cappella de la reine Christine ? Quels sublimes prétextes que ces oratorios alors même que le genre de l'opéra n'avait pas droit de cité et ne pouvait de ce fait bénéficier de l'onction sainte. Quels délices cependant que ces voix suaves !!!
Rédigé par : Angèle | 15 décembre 2005 à 01:19
Carissima Angela, vous avez fort bien fait d'ajouter ce lien mais… permettez-moi d'exhorter vos doctissimes lecteurs qui ne l'auraient point caressée de sauter dans le premier train, le premier avion - que sais-je encore ? - pour Rome et de se ruer vers cette charmante Eglise du Trastevere afin d'admirer ce merveilleux chef-d'oeuvre. Je promets une des plus belles émotions qu'on puisse avoir en art.
Quant au reste, hélas, je confesse la surdité de mes jazzistiques oreilles.
Rédigé par : Don Diego | 15 décembre 2005 à 18:36
L’EXTASE DE SAINTE THERESE SELON LACAN___________
Lu sur la toile ce texte de Miquel Bassols :
" …Nous avons aussi une autre référence célèbre que Lacan a donné dans son Séminaire de l’année 1973, nommé Encore. Cette référence a fait l’illustration de la couverture de son fameux séminaire, c’est la sculpture de Bernini, L’extase de Sainte Thérèse, qu’on trouve à Rome. C’est vraiment un spectacle que de voir, figée dans la pierre, cette image qui est aussi, dans le visage de Sainte Thérèse, celle d’un plaisir ignoré, d’une jouissance éprouvée dans le corps, dans l’expérience de l’extase de l’amour divin. Il faut noter que Bernini, quand il a fait cette sculpture, ne savait pas très bien lui-même ce qu’il faisait. Quelque chose de sa jouissance passait à la pierre sans qu’il sache de quelle façon, parce que cette sculpture, qui l’a consacré, a en même temps considérablement contribué à son discrédit. Selon l’opinion des critiques, Santa Teresa semble éprouver un orgasme, plutôt que l’amour divin, s’éloignant ainsi de l’idéal classique de la vierge et d’une scène d’extase divine. C’est vrai que si l’on voit cette sculpture – comme celle de Ludovic Albertoni, très proche de celle de Bernini – on voit que là on dépasse l’idée de l’amour, l’idée de l’extase, et que l’on arrive plutôt à l’expérience de la jouissance sexuelle telle quelle. Et cette image, plantée au milieu de l’église paraîtra un peu obscène. C’est pour cela que Bernini a été discrédité, à partir de ce chef-d’œuvre où il a figé cet au-delà du plaisir dans la jouissance du corps de Santa Teresa. Cette référence sera centrale, dans ce séminaire où Lacan fera une recherche de ce qu’est la jouissance dans le corps du sujet… "
« LE CORPS ET SES JOUISSANCES »
Séminaire du Champ Freudien
Amicizia
Guidu__________
Rédigé par : Guidu | 07 janvier 2006 à 18:32
Bonjour,
Merci Angèle de donner à écouter cet extrait de Jephté. C'est beau à pleurer. Etant un amoureux de la période baroque, notamment en terre romaine, je me suis permis de faire référence à votre article ci-dessus sur mon blog. J'y ai aussi inséré un lien jusqu'à l'extrait que vous proposez.
M'y autorisez-vous ?
Bien à vous
Jean-Marc
Rédigé par : Jean-Marc | 16 novembre 2006 à 12:07
Mais bien évidemment, Jean-Marc. Vous m'avez ainsi donné l'occasion et le plaisir de vous rendre visite. A très bientôt.
PS : Un petit cadeau pour vous :
Ahiit ergo in montes, issu du même oratorio.
Rédigé par : Angèle Paoli | 17 novembre 2006 à 18:19
Chère Angèle,
Un grand merci pour votre cadeau. Toujours d'une beauté exquise. Puis-je vous demander comment vous avez découvert cet oratorio (Jephté), ce compositeur (Carissimi) ? Si j'en crois tout ce que j'ai pu lire à son sujet, il serait tombé dans l'oubli le plus sombre après avoir été adulé en son siècle... Vanitas vanitatum...
Amicizia
Jean-Marc
Rédigé par : Jean-Marc | 19 novembre 2006 à 10:51
Je vais essayer de vous "donner le fil". Il se trouve que Rome est une de mes villes de prélidection et que j'ai eu l'occasion d'écrire un papier sur le palais Farnèse, lors de la sortie chez FMR d'un ouvrage qui lui est consacré. Dans le même temps, j'ai vu un film de Manoel de Oliveira Parole et Utopie(Palavra e Utopia). Tout ceci ne pouvait que me conduire à Christine de Suède et à son maestro di cappella del concerto di camera, qui a composé pour elle la majorité de ses cantates. Je ne pouvais faire autrement que de me procurer Jephté. Dans la version de Konrad Junghänel (Deutsche Harmonia Mundi 77322). Non, non, détrompez-vous, Carissimi est encore très écouté par nombre de mélomanes.
Amicizia
Rédigé par : Angèle Paoli | 19 novembre 2006 à 11:19
Au hasard du www, je trouve votre site et cet échange à propos de sainte Thérèse et de son ange à Rome.
Je suis architecte d'expositions en Australie et suis intéressé par le 'point de vue' que l'artiste propose au spectateur.
Nous pauvres mortels contemplons cette scène héroique et érotique se déroulant à au moins six mètres du sol.
Vous aurez compris que je suis à la recherche de photographies, ou dessins, montrant l'oeuvre à 'une hauteur de la situation'. Celle que ces spectateurs dans leur loge ont le plaisir de contempler. Ceci pourrait donner une lecture différente du scénario - ou tout au moins le confirmer.
Si vous avez le temps de commenter, ou de me diriger quelque part.
Bien à vous.
Patrice Riboust
Senior Exhibition Designer
National Gallery of Australia
Rédigé par : Patrice Riboust | 23 juillet 2010 à 08:20