Il y a quatre-vingt-dix ans, le 30 décembre 1926, mourait d’une leucémie Rainer Maria Rilke, dans la clinique Val-Mont (Montreux, Suisse).
« Boris, il est mort le 30 décembre, non le 31. Encore un coup manqué de l’existence. La dernière et mesquine vengeance de la vie contre le poète. » Marina Tsvétaïeva à Boris Pasternak, Bellevue, le 1er janvier 1927. In Rainer Maria Rilke, Boris Pasternak, Marina Tsvétaïeva, Correspondance à trois, Gallimard, Collection L’Imaginaire, 2003, page 252. Tsvétaïeva à Pasternak Bellevue, 31 décembre 1926. « Boris ! Rainer Maria Rilke est mort. Je ne sais pas la date, il y a trois jours environ. On est venu m’inviter à un réveillon, et en même temps, on m’a appris la nouvelle. Sa dernière lettre (6 septembre) se terminait par un cri : Au printemps ! C’est trop long ! Plus tôt, plus tôt ! (Nous avions parlé de nous voir). Il n’a pas répondu à ma réponse, puis, après mon arrivée à Bellevue, je lui ai envoyé cette lettre en une ligne : Rainer, was ist’s ? Rainer, liebst du mich noch**? Dis à Svetlov (La jeune garde) que sa Grenade est ma poésie préférée, j’ai failli dire « meilleure » de toute l’année. Essénine n’en a pas fait une seule qui la vaille. Mais cela, ne le dis pas : laissons Essénine dormir en paix. Nous reverrons-nous jamais ? À sa bonne et heureuse ère, Boris ! »
M. *Im Frühling ? Mir ist lang, Eher ! Eher ! **Rainer, que se passe-t-il ? Rainer, m’aimes-tu encore ? Rainer Maria Rilke, Boris Pasternak, Marina Tsvétaïeva, id., p. 251. Lettre posthume de Tsvétaïeva à Rilke « L’année s’achève sur ta mort ? Une fin ? Un commencement. (Très cher, je sais que maintenant ― Rainer, voilà que je pleure ― que maintenant tu peux me lire sans courrier, que tu es en train de me lire. Cher, si toi, tu es mort, il n’y a pas de mort, la vie - n’en est pas une. Quoi encore ? La petite ville de Savoye ― quand ? où ? Rainer, et le nid (le filet*) de sommeil ? Maintenant, tu sais aussi le russe, tu sais que nid se dit gnezdό, et bien d’autres choses encore. Je ne veux pas relire tes lettres, sinon je ne voudrai plus « vivre » (ne le « pourrai » plus ? Je « peux » tout ― ce n’est pas de jeu), je voudrais te rejoindre, pas rester ici. Rainer, je sais que tu seras tout de suite à ma droite, je sens presque, déjà, ta tête claire. As-tu pensé une fois à moi ? C’est demain l’an nouveau, Rainer-1927. 7. Ton chiffre préféré. Tu es donc né en 1875 (le journal) ? 51 ans ? Jeune. Ta pauvre petite fille, qui ne t’a jamais vu. Pauvre moi. Pourtant, il ne faut pas être triste ! Aujourd’hui, à minuit, je trinquerai (oh ! très doucement, nous n’aimons pas le bruit, toi et moi) avec toi. Très cher, fais que je rêve de toi quelquefois. Nous n’avons jamais cru à une rencontre ici ; pas plus qu’à l’ici, n’est-ce pas ? Tu m’as précédée pour mettre un peu d’ordre ― non pas dans la chambre, ni dans la maison ― dans le paysage, pour ma bienvenue. Je te baise la bouche ? La tempe ? Le front ? Plutôt la bouche [car tu n’es pas mort], comme à un vrai vivant. Très cher, aime-moi, autrement et plus que personne d’autre. Ne sois pas fâché contre moi ― habitue-toi à moi, c’est comme ça que je suis. Quoi encore ? Trop haut, peut-être ? Ni haut, ni loin. …un peu trop en face de ce spectacle émouvant, pas encore, encore trop proche, front contre épaule. Non, cher grand garçon ― ô Rainer, écris-moi (est-elle assez bête, cette prière ?) Meilleurs vœux et beau paysage de l’an nouveau du ciel ! Marina. Bellevue, le 31 décembre 1926, dix heures du soir. Rainer, tu es encore sur Terre, pour 24 heures à peine ! » Rainer Maria Rilke, Boris Pasternak, Marina Tsvétaïeva, ibidem, pp. 254-255. |
RAINER MARIA RILKE Source ■ Rainer Maria Rilke sur Terres de femmes ▼ → 4 décembre 1875 | Naissance de Rainer Maria Rilke → 15 avril 1904 | Lettre de Rilke à Lou Andreas-Salomé → 12 août 1904 | Lettre à un jeune poète (extrait) → 13 mars 1908 | Lettre de Rilke à Mimi Romanelli → 26 décembre 1908 | Rainer-Maria Rilke, Lettre à un jeune poète → 20 février 1921 | Lettre de Rilke à Merline → Chemins de la vie → Je voudrais tendre des tissus de pourpre → Ouverture → « Respirer, invisible poème ! » ■ Voir aussi ▼ → (sur Terres de femmes) 12 avril 1926 | Lettre de Pasternak à Rilke → (sur Terres de femmes) 5 février 1937 | Mort de Lou Andreas-Salomé |
Retour au répertoire du numéro de décembre 2005
Retour à l' index de l'éphéméride culturelle
Retour à l' index des auteurs
Merci pour ce message, Angèle. Rilke est le poète qui m'accompagne depuis mon "entrée" en poésie... Un peu comme un ange.
Je t'embrasse !
Rédigé par : nobody | 31 décembre 2005 à 09:27
Oui, triste anniversaire que celui de la mort de Rilke. Rilke qui a parlé de façon si claire et si épigastrique dans ses Lettres à un jeune poète de ce que Maurice Blanchot appellera « l’espace Orphique », Rilke pour qui tout poète trouve une paternité, qu’elle soit d’influence positive ou négative. Rilke enfin qui n’a cessé de son vivant d’écrire sur cette mort qu’il nommait « la maternité de l’homme ».
« O mon Dieu, donne à chacun sa propre mort,
donne à chacun la mort née de sa propre vie
où il connut l'amour et la misère.
Car nous ne sommes que l'écorce, que la feuille,
mais le fruit qui est au centre de tout
c'est la grande mort que chacun porte en soi. »
Extrait de Le Livre de la pauvreté et de la mort de Rainer Maria Rilke
Aussi le même Rilke passionné, qui écrivait à Marina Tsvétaïeva quelques semaines avant de mourir : « Ton dire, Marina, est comme le reflet d’une étoile quand il apparaît dans l’eau et se trouve par l’eau, par la vie de l’eau, par sa nuit liquide troublé, interrompu, aboli et réaccepté, puis accueilli plus profondément dans le flot, comme familiarisé déjà avec ce monde de reflets et, après chaque éclipse, encore plus profondément ! »
Rilke, poète avant tout.
Rédigé par : Edith | 02 janvier 2006 à 15:46
Merci, Edith, pour ce très beau commentaire sur Rilke. L'un des plus beaux qui ait été écrit sur Terres de femmes. Un vibrant hommage au grand poète. Et un extrait bouleversant sur ce qu'est notre humaine condition, dans ses contradictions les plus douloureuses mais aussi les plus nobles.
Rédigé par : Angèle Paoli | 02 janvier 2006 à 23:43
Le fils de Boris Pasternak, Evgueni Pasternak, est présent ce week-end à Sierre dans le cadre du Festival Rilke qui se déroule du 18 au 20 août 2006. Il y donnera une conférence, demain soir vendredi, sur La Correspondance à trois entre Rainer Maria Rilke, Boris Pasternak et Marina Tsvetaïeva.
Rédigé par : Agenda culturel de TdF | 17 août 2006 à 18:19