Dans la nuit du 15 au
16 décembre 1989, la grande actrice italienne
Silvana Mangano meurt dans un hôpital de Madrid, emportée à l’âge de 59 ans par un cancer du poumon.
Image, G.AdC
RISO AMARO
Née à Rome le
21 avril 1930, Silvana Mangano, sicilienne par son père et anglaise par sa mère, gagne sa vie comme mannequin dans une maison de couture. Élue « Miss Rome » en 1946, elle apparaît au cinéma dans des rôles de figuration. En 1949, Giuseppe De Santis lui offre d’interpréter le rôle principal de son film
Riso amaro (Riz amer).
C’est ce rôle de « mondine » des rizières de la plaine du Pô qui assure d’emblée la célébrité de la jeune actrice. En même temps que le succès du film. Quel spectateur n’a gardé en mémoire le souvenir ébloui et ému de cette beauté plantureuse, aux formes avantageusement mises en valeur, foulant la rizière avec hargne, avec pour seul uniforme de travail un short relevé sur ses cuisses nues et la poitrine serrée dans un pull moulant ? Un vibrant plaidoyer de la condition ouvrière que ce film lyrique et sensuel !
Silvana Mangano, Stefano Patrizi, Luchino Visconti,
Claudia Marsani, Burt Lancaster, Elvira Cortese et Helmut Berger
sur le plateau de tournage de Violence et passion
Ph. D.R.
CONVERSATION PIECE de LUCHINO VISCONTI
Tout autre est le rôle que Silvana Mangano interprète dans
Gruppo di famiglia in un interno.
Violence et passion, réalisé par Luchino Visconti en 1974. Luchino Visconti confie à l’actrice le rôle d’une grande bourgeoise insolente et oisive, épouse d’un riche industriel. Exubérante, envahissante et excentrique, la marquise Bianca Brumonti, toujours flanquée de Konrad (Helmut Berger), son impossible et imprévisible amant, de sa fille Lietta (Claudia Marsani) et de son futur gendre Stefano (Stefano Patrizi), entreprend la conquête d’un vieux professeur esthète et misanthrope (admirable Burt Lancaster). Dont elle veut s’approprier un appartement resté libre dans le palais romain du professeur, piazza Campitelli. Cette intrusion tonitruante bouscule la vie solitaire du vieil homme, en conversation exclusive avec les « groupes » humains des tableaux qu’il collectionne et restaure
(Conversation Pieces). Passion qui donne son titre à la version anglaise du film. À bout de résistance et de patience, le professeur cède progressivement du terrain. Peu à peu, la famille Brumonti s’impose dans la vie du vieil homme amoureux de Mozart (« Vorrei spiegarvi, O Dio ») et de Gainsborough, bousculant sans vergogne son âge, ses us et ses valeurs. Lui imposant ses hystéries, ses folies, ses revirements et ses mœurs délurées.
Du jour au lendemain, le palais du professeur devient le théâtre d’un affrontement. Et d’un bouleversement irréversible. Deux civilisations se heurtent de plein front. Le monde clos, feutré et policé du professeur. Monde ancien, essoufflé, au bord de la disparition comme le vieil homme qui l’incarne. Et monde moderne des parvenus, excessif et vulgaire, toujours insatisfait, orchestré par la marquise Brumonti et son gigolo de Konrad. Deux mondes complètement opposés. Que rien en apparence ne pourra jamais rapprocher.
Pourtant, dans cette rencontre forcée, qui tient les êtres sous tension, le courant doucement passe, s’infiltre et tisse son réseau d’imprévisibles ramifications. Les amitiés et les amours se déplacent, les crises de nerf s’apaisent un temps pour laisser place à la tendresse. Le vieux professeur perd un peu de sa misanthropie, regagne en vitalité et les autres se civilisent à son contact. Entre le vieux professeur et Konrad, les liens se resserrent, s’affinent. La personnalité du beau et veule Konrad se dévoile au cours du drame qui se joue. Drame dont nul ne sortira indemne.
Pas même la marquise Brumonti. Toujours sur la brèche, toujours survoltée, toujours drapée dans sa dignité de nantie capricieuse et dans d’excentriques toilettes, la marquise perd un peu de sa morgue et de sa superbe. Son visage très fin devient plus pâle au fur et à mesure qu’évoluent les passions et les violences. Et dans son regard noir se lisent les pensées secrètes de la femme à la fois sublimée et trahie. Konrad mort, le menton et les lèvres de Bianca Brumonti tremblent. « Nous oublierons. Il était trop jeune pour avoir appris cette chose définitive et terrible ». Déclare la belle marquise en passant un long doigt effilé sur ses lèvres.
Élégante et raffinée dans ce rôle de composition paradoxal qui faisait l’admiration silencieuse de Luchino Visconti, Silvana Mangano traduit à la perfection « le charme étrange et abrupt de Bianca Brumonti ».
Un « charme étrange » qui a laissé définitivement imprimé en moi son subtil pouvoir et poison de fascination. Pour un monde disparu et pour ce superbe quintette orchestré autour de l’inoubliable trio Burt Lancaster/Silvana Mangano/Helmut Berger.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
Filmographie sélective de Silvana Mangano :
• 1947 : Elisir d'amore (Elixir d’amour) de Mario Costa
• 1948 : Riso amaro (Riz amer) de Giuseppe De Santis
• 1951 : Anna d’ Alberto Lattuada
• 1954 : L'Oro di Napoli (l'Or de Naples) de Vittorio De Sica
• 1956 : Uomini e lupi (Hommes et Loups) de Giuseppe De Santis
• 1957 : Barrage contre le Pacifique de René Clément
• 1958 : La Tempesta (La Tempête) d’Alberto Lattuada
• 1967 : Edipo re (Œdipe Roi) de Pier Paolo Pasolini
• 1968 : Teorema (Théorème) de Pier Paolo Pasolini
• 1970 : Morte a Venezia (Mort à Venise) de Luchino Visconti
• 1972 : Ludwig (Le Crépuscule des dieux) de Luchino Visconti
• 1972 : Lo Scopone scientifico (L'Argent de la vieille) de Luigi Comencini
• 1974 : Gruppo di famiglia in un interno (Violence et Passion) de Luchino Visconti
• 1984 : Dune de David Lynch
• 1987 : Oci ciornie (les Yeux noirs) de Nikita Mikhalkov
Angèle,
C'est avec grand plaisir que je lis ton papier sur la grande Silvia Mangano, merci d'avoir su la rappeler à notre souvenir. Ton évocation de Violence et Passion ramène également à ma mémoire le non moins merveilleux Helmut Berger, ténébreux et fascinant Konrad de ce film. Je suis en pâmoison !
Rédigé par : pascale | 19 décembre 2005 à 16:27
Je conserve de cette femme sublime le souvenir d'un profil, d'une extrême finesse, vu dans le film de Pasolini, Théorème, je crois (ou bien était-ce
Oedipe-roi ?)
J'apprends avec tristesse sa mort prématurée (à 59 ans),
emporté par ce vilain crabe qui fait tant de ravages...
Je suis sûre que sa beauté extérieure était celle d'une personne, forcément belle intérieurement aussi...
Paix à son âme !
Rédigé par : Hélène Gonnet | 12 août 2011 à 18:32
Riz amer, on aurait aimé planter le riz avec elle, et puis ce Visconti dont vous parlez si bien... Certains anniversaires reviennent (malgré tout) avec plaisir.
Rédigé par : Dominique Hasselmann | 16 décembre 2012 à 21:46