Editions Jacques Brémond, 1993.
Lecture d’Angèle Paoli
Vue d'un ciel cévenol depuis une maison familiale de Lussan (à 15 km d'Anduze) Ph., G.AdC TRAQUE SUR LES PAS DE L'ABYME Le Journal d’Anduze de Lionel Bourg est un livre artisanal broché cousu « achevé d’imprimer à la cave de Cannes et Clairan dans le Gard Cévenol au cœur des vendanges mille neuf cent quatre vingt treize » par son ami Jacques Brémond. Imprimé sur des papiers blanchis du Moulin de Saint-Nabord (Vosges) et sous une couverture de gros grains en pur chiffon violine du Moulin de Larroque (Dordogne) où officient Noëlle et Georges Duchêne comme papetiers. Dans ce recueil, Lionel Bourg n’a de cesse de guetter en lui « cette quête d’un en-deçà, d’un en-soi parfois trop lourd à porter seul. Traque sur les pas de l’abyme, vers les douleurs de la nuit, sur les traces de toutes nos grottes aux armes rupestres. » Celles qu’au fond de nous, « nous rêvons toujours de reproduire ». Comme le souligne Jacques Brémond lui-même, l’éditeur a fait ce « livre d’une vacance pour Lionel, pour l’écriture de ce temps, poète et éditeur mêlés sur les bords du chaos. » Avec ses mains amies, comme en atteste la délicatesse des lettrines vertes qui ouvrent chacun des paragraphes. Lionel Bourg y convie son lecteur au cœur de ce pays cévenol qu’il a habité quelque temps. Le temps de convoquer ses vieux démons, dans une salutaire et salvatrice solitude ! De prendre ses distances avec lui-même dans un pays qui n’est pas le sien. De « boire l’eau d’oubli » et de renaître à de nouvelles forces de vie, grâce aux vertus cathartiques de l’écriture. Menée conjointement à des vagabondages où toute rencontre est « signe ». Le Journal d’Anduze est un journal de voyage à l’intérieur de soi. L’auteur s’y livre à de douloureuses explorations qui nourrissent son désespoir. Pareil à Dracula, son « semblable », son « frère », ou à Rimbaud, « l’homme aux semelles de vent », Lionel Bourg s’inquiète de savoir « si le malheur du vampire comme celui de certains poètes ne provient pas de l’insondable détresse dont ils sont les proies et qui les soustrait au devenir. » L’écriture n’en est pas moins irréversible. « En écrivant ces pages je trace la ligne qu’elles me permettent de franchir. Je ne pourrai plus reculer » (page 41). Sommation du poète. « Peut-être faut-il à chacun une montagne pour que, sans regret, sans appréhension, il accueille comme sienne la naissance du soir » (excipit des Montagnes du soir de Lionel Bourg). Angèle Paoli D.R. Texte angèlepaoli ____________________________________________ NOTE : Ce recueil n’est pas répertorié sur les sites librairies habituels, mais il en reste quelques exemplaires chez l’éditeur. Depuis le Journal d’Anduze, achevé d’imprimer en 1993, mais achevé d’écrire en février 1988, un autre ouvrage est paru chez le même éditeur, en décembre 2001 : Lettres de Lassalle (suivies de Fragments d'un livre d'amour). C'est en 1980 que Lionel Bourg a publié son premier recueil aux éditions Jacques Brémond : Contre Nuit (écrit en 1976). Autres écrits publiés chez le même éditeur : L'Etroite Blessure du silence, 1988; La Déchirure (Lettre à Clara d'Anduze), ouvrage épuisé, prochaine rééd. prévue par l'éditeur ; Jalcreste, in Itinéraires Littéraires en Lozère, 1990; Une certaine latitude, 1990. EXTRAIT Écrire me fut souvent non pas mentir, mais habiller, vêtir de telle sorte une part de vérité, que je la dissimulais tout en la révélant. Il y a du travestissement dans l’acte scriptural. Carnaval parfois désespéré, on y avance sous le domino des phrases, jouant des facettes d’une défroque d’Arlequin : l’insaisissable opère sournoisement. Plus jeune, le côté quasi instinctif de mes poèmes était cru. Vieillissant, de plus subtils déguisements me permirent de dire au grand jour ce que je n’ai jamais réellement osé prononcer. Jeux de miroirs, labyrinthe exécrable et pervers, les multiples glaces déformantes reflètent cependant la silhouette assez précise de qui tient la plume. Dans l’étoffe plus ou moins lacérée de mes contradictions, je n’ai montré que la moire, fût-elle la plus secrètement rongée d’insectes hautement dévastateurs, en sorte que mes écrits les plus « vrais », les plus nus, ne sont pas ceux tracés fiévreusement autrefois mais, lorsque la trame des sens et de la forme montre ses béances, ceux qui laissent s’engouffrer l’au-delà du silence et des mots. L’écrivain procède vis-à-vis d’autrui, tout particulièrement de ses éventuels lecteurs, par les subterfuges d’un même abus de confiance… Lionel Bourg, Journal d'Anduze, Editions Jacques Brémond, 1993, page 42. |
LIONEL BOURG ■ Lionel Bourg sur Terres de femmes) ▼ → [Ce fut un corps] (extrait de Stances pour un adieu) → 11 novembre 1989 | Lionel Bourg, Notes d'automne (note de lecture + extrait d'Une certaine latitude) |
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