CORDILLERA
[…] ¡ Carne de piedra de la América,
halalí de piedras rodadas,
sueño de piedra que soñamos,
piedras del mundo pastoreadas;
enderezarse de las piedras
para juntarse con sus almas!
¡ En el cerco del valle de Elqui,
en luna llena de fantasma,
no sabemos si somos hombres
o somos peñas arrobadas!
Vuelven los tiempos en sordo río
y se les oye la arribada
a la meseta de los Cuzcos
que es la peana de la gracia.
Silbaste el silbo subterráneo
a la gente color del ámbar;
te desatamos el mensaje
enrollado de salamandra;
y de tus tajos recogemos
nuestro destino en bocacanada.
¡ Anduvimos como los jijos
que perdieron signo y palabra,
como beduino o ismaelita,
como las peňas hondeadas,
vagabundos envilecidos,
gajos pisados de vid santa,
hasta el día de recobrarnos
como amantes que se encontraran ! […]
CORDILLÈRE
Chair pétrifiée de l’Amérique,
hallali de pierre éboulée,
rêve de pierre, notre rêve,
pierres du monde avec leurs pâtres ;
pierres qui se dressent d’un coup
afin de s’unir à leurs âmes !
Dans la vallée close d’Elqui,
par pleine lune de fantôme,
nous doutons : sommes-nous des hommes
ou bien des rochers en extase !
Les temps reviennent, fleuve sourd,
et on les entend aborder
du Cuzco la meseta, marches
grimpant à l’autel de la grâce.
Sous la terre tu as sifflé
pour le peuple à la peau ambrée;
ton message, nous le dénouons
enveloppé de salamandre;
et dans tes brèches, par bouffées,
nous recueillons notre destin.
Nous avons marché tels les fils
qui ont perdu signe et parole
le Bédouin ou l’Ismaélite
ou les blocs lancés par la fronde,
vagabonds de la déchéance,
grains piétinés de vigne sainte,
jusqu’au jour où nous revenons
à nous, comme amants se retrouvent.
Gabriela Mistral, « Cordillera », in D’amour et de désolation (anthologie poétique), Orphée/La Différence, 1989 (rééd. 2012), pp. 98-99. Traduit de l’espagnol (Chili) par Claude Couffon.
Tu as raison lorsque tu dis que c'est un grand manque pour les non-hispanisants de ne pas pouvoir apprécier la poésie de Gabriela Mistral en langue originale... mais, quelquefois, la traduction donne lieu à une poésie en plus, -pas une autre poésie- mais presque un ...surplus de poésie. C'est le cas de cette incomparable traduction de Claude Couffon.
Merci,donc, de nous avoir donné ce double cadeau.
Rédigé par : madeinfranca | 15 novembre 2005 à 23:46
Tu as raison, madeinfranca. Mais ce que je cherchais à souligner, c'est qu'aucune traduction française des poèmes de Gabriela Mistral n'est aujourd'hui disponible en librairie. J'ai d'ailleurs eu beaucoup de mal à me procurer la petite anthologie publiée en 1989 chez Orphée/La Différence (à l'occasion du centième anniversaire de la naissance de Gabriela Mistral), et aujourd'hui épuisée. Oui, je viens de le vérifier, il n'existe en France aucun recueil poétique de Gabriela Mistral, alors qu'en Amérique latine, elle est mise sur un pied d'égalité avec Pablo Neruda. Et que, par ailleurs, Gabriela Mistral a été une grande francophile (le choix de son pseudonyme en atteste : D'Annunzio + Mistral). Elle a d'ailleurs notamment vécu à Paris, mais aussi à Bédarrides, près d'Avignon. De manière indirecte, cela nous donne une idée du courage éditorial des éditeurs de France. Et de la place de la femme-poète dans ce monde éditorial ! Même en 1944/45, Stock a longtemps tardé à publier l'un de ses recueils. Seul le Prix Nobel l'a décidé. Pas de quoi être très fier !!!
Rédigé par : Angèle | 16 novembre 2005 à 11:26
Voir, sur le portail de l'Unesco, l'hommage rendu en juillet dernier par le Directeur général de l’UNESCO, Koïchiro Matsuura, à la poétesse Gabriela Mistral, à l’occasion du soixantième anniversaire de son prix Nobel de littérature.
Rédigé par : Yves | 16 novembre 2005 à 11:54
J'ai commenté mais je ne retrouve plus mon commentaire ...
Rédigé par : Denise Le Dantec | 16 novembre 2010 à 01:38
Ce n'est pas sous le poème Cordillera que vous avez placé votre commentaire, chère Denise, mais sous le poème La cendre (comme cela se justifiait)
=> http://terresdefemmes.blogs.com/mon_weblog/2010/11/gabriela-mistralla-cendre.html
Bien amicalement
Rédigé par : éditeur-webmestre de TdF | 16 novembre 2010 à 07:18
bonjour Angèle,
Nous avons présenté en 2004 l'oeuvre et la vie de Gabriela Mistral lors de la célébration du centenaire du Prix Nobel de Frédéric Mistral au cours d'une exposition et d'une soirée où une chanteuse d'origine chilienne, Gabriela Barrenechea, avait chanté et mis en musique des poèmes de ces deux grands auteurs. Je vois une note sur son séjour à Bédarrides, avez vous plus de détails ?
Merci
Michel
Rédigé par : Michel | 09 mars 2012 à 16:05
Bonjour Angèle et tous ! Meilleurs voeux en cette Nouvelle Année à vous et à tous vos lecteurs ! Merci de toujours nous faire partager la beauté profonde à vivre des poètes et poétesses de partout :) C'est un enchantement permanent et nous en avons tant besoin... Oui, les femmes en 2013 sont toujours peu mises en avant, mais vous comblez ce manque de belle façon !
Chaleureusement :)
Rédigé par : Voltuan-Redde | 03 janvier 2013 à 13:26