Le
9 novembre 1972,
Jean Carrière reçoit le
Prix Goncourt pour
L’Épervier de Maheux.
Source
« LE PRIX GONCOURT, L’ARCHÉTYPE DE L’ARME A DOUBLE TRANCHANT »
Déjà, en 1968,
Retour à Uzès, son premier roman, avait été salué par la critique et couronné par l’Académie française. L’écrivain avait été pressenti comme un héritier de Charles-Ferdinand Ramuz, d’Henri Bosco et, plus proche de lui encore, de Jean Giono dont il avait été le secrétaire et ami.
Nature passionnée et tragique, Jean Carrière était un homme fondamentalement déchiré. Déchirement notamment perceptible dans ses amours inconciliables entre la terre des Cévennes, au centre de ses premiers récits, et New York qui exerçait sur lui une fascination inépuisable, voire vertigineuse. C'est dans l’alternance de ces extrêmes qu'il vivait son goût de la solitude. Celle de la grande mégalopole et celle, plus rude, du Mont Aigoual (Saint-Sauveur-Camprieu). Près duquel il s’était replié, dans les vignes de sa propriété de Domessargues, entre
Anduze et Uzès.
En hommage à mon cousin, Jean Carrière (Paoli par sa mère, Andrée Paoli, fille de Toussaint Paoli, originaire de mon village du Cap-Corse), né le
6 août 1928 à Nîmes* et décédé à Domessargues le
8 mai 2005, la page (ci-dessous) extraite de
L’Épervier de Maheux, ouvrage qui avait ouvert en lui une brèche dont il n’a jamais pu se remettre : « Le prix Goncourt est l'archétype de l'arme à double tranchant. [... C']est un gâteau couvert de mouches, et bourré de fèves sur lesquelles on se casse les dents » (
Le Prix d'un Goncourt/Les Cendres de la gloire, 1987).
En novembre 2007 est paru aux éditions Domens (Pézenas), grâce à l'association des Amis de Jean Carrière, une première livraison des
Cahiers Jean Carrière** (« Autour de
L’Épervier de Maheux ». Études, portraits et témoignages. Sous la direction de
Serge Velay).
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* Jusqu'au début des années 1990, il a existé à Nîmes une enseigne d’instruments et de disques au nom de “Carrière-Paoli”, magasin dont se souviennent tous les anciens Nîmois.
** Disponible au 15 bis, rue Séguier à Nîmes (30000), 19 €.
Ph., G.AdC
EXTRAIT
En regardant vivre et mourir ces montagnards depuis vingt-cinq ans, en comprenant très bien qu’il leur fallait imiter, pour survivre, ce qu’il y avait de plus détestable dans le progrès, et renier ce qu’il y avait de plus admirable dans leurs traditions pour y parvenir, il en avait conclu qu’entre le tumulte des grandes cités et le silence de ces plateaux déserts, la différence n’était pas si grande qu’on eût pu le croire: ce n’était qu’une différence de densité, non de qualité; ici comme à New York, l’animal tirait dans le même sens. Une photographie de la cité géante prise à l’aube montrait la même vacuité, la même vigilance aveugle d’insecte, comme si la terre, désertique, n’était peuplée que d’automates. Et lorsqu’il avait assisté à l’électrification du pays, il avait eu l’envie répréhensible et inavouable de penser quelque chose comme : « Vous aussi, vous avez loupé le coche… » Devant l’injustice et la misère, une telle attitude était un cas pendable; c’est la raison pour laquelle ce qu’il haïssait le plus dans la société de profit, ce n’était pas tant les injustices qu’elle engendrait, que plutôt d’avoir rendu suspect, et peut-être définitivement, tout acte, toute pensée qui n’étaient pas mobilisés pour l’abolir.
Mais il n’y avait pas que les hommes…
Il y avait ce pays de pierres ruiniformes, de hautes landes celtiques, de gorges et de sites préhistoriques où l’oreille, malgré elle, se tendait à l’affût de bramements monstrueux, il y avait son climat brutal, tout de contrastes, ces combes noircies par l’hiver, ces aires torrides à l’heure présente - et même ces bourgs pauvrement industrieux, avec leur rue unique de part et d’autre de laquelle
des façades pourries se considéraient dans le silence de mort des longs après-midi -, le souvenir de leurs génoises crottées par les hirondelles et décrépies, pesait sur celui de ses années d’études primaires : même aux heures de mouvements de la rue, leur surplomb crénelé conservait une sérénité intemporelle, un glissement paisible d’éternité au-dessus des époques, qui le fascinait. Partout dans ces fermes et dans ces hameaux, pesait la même oppression minérale. Au même titre que la mort, la roche immortelle affleurait partout, jusqu’au milieu des murailles; elle soulevait le sol de terre battue, épaulait une cheminée, lourde, compacte, hostile… Cette intimité entre les hommes et ce monde élémentaire comme émergé des premiers âges de la terre, lorsqu’il était adolescent, exerçait sur lui un charme puissant et morbide : il y avait une telle incompatibilité entre l’esprit humain et cette amère irruption de la matière à l’état brut, une telle contradiction entre les lois fragiles, incertaines, gouvernant celui-ci, et les immuables propriétés de celle-là, que cette promiscuité avait fini par le scandaliser et par l’angoisser, malgré son amour pour ce morceau de planète abandonnée, qu’était à ses yeux le Haut-Pays…
Jean Carrière, L’Épervier de Maheux, Jean-Jacques Pauvert, 1972, pp. 167-168.
L'Epervier de Maheux est un des plus beaux livres que j'aie jamais lu ! Je l'ai relu... c'était la même magie !
J'ai lu aussi La Caverne des pestiférés. Je cite cela de mémoire, il y a si longtemps, tant de livres sont passés dans mes mains !
Puis j'ai lu Les Cendres de la gloire et j'ai compris la souffrance d'un écrivain qui a trop peu édité (trop peu écrit ?) et auquel je voue une immense admiration.
Je viens de lire ton commentaire, Angèle. Ainsi, c'est ton cousin... ;-)))
Merci !
Rédigé par : nobody | 09 novembre 2005 à 13:54
Je me suis toujours demandé quel était ce Cyclope que vous craigniez pour vous avoir choisi un surnom aussi joycien : "Nobody". Merci, donc, mon cher Ulysse, pour ce beau témoignage. J'ai sous les yeux la dédicace de Jean Carrière, qui souhaitait par son livre, m'apporter "une bouffée de ce Sud que, par mon exil dans les brumes nordiques, j'avais perdu". Je crois que le sous-titre des Cendres de la gloire (Le Prix d'un Goncourt) permet de bien comprendre ce qui a pu se produire, outre le total contre-sens fait sur L'Epervier de Maheux moins bucolique que "tragiquement métaphysique" (mais là Pauvert était pour partie responsable qui, d'emblée, avait lancé cet ouvrage comme un "grand roman de la nature"). Sans oublier que le succès est arrivé en même temps que la mort du père. Et ne parlons pas de la crise de la cinquantaine et de New York... (L'Indifférence des étoiles). Au final, Jean Carrière a beaucoup écrit, mais a peu participé aux "pirateries" du monde germanopratin. Voir à ce propos, le très beau témoignage de Joseph Vebret, qui fut son ami.
Rédigé par : Angèle | 09 novembre 2005 à 19:27
Qui est Nobody ? Je serais tentée de répondre : personne. Rien qu’un regard passionné de lectures, de poésie surtout. Rien qu’une passante qui lit avec plaisir quelques blogs sélectionnés grâce à Google (les sonorités de ce mot ne me plaisent vraiment pas ! On dirait un mot qui s’avale lui-même avec une certaine difficulté… lol ! )
Quel cyclope pourrais-je fuir ? Ulysse était un homme, je suis une femme… Les femmes fuient-elles les cyclopes ou compatissent-elles à leur singularité ? Je penche pour la seconde supposition.
Un auteur qu’on apprécie n’écrit jamais assez !
Merci et amitié, Angèle !
Rédigé par : nobody | 09 novembre 2005 à 19:56
Tu oublies de préciser, Angèle, que Jean Carrière était aussi "fou de musique". Un amour qui lui venait sans doute de son grand-père Toussaint Paoli qui, rappelle-toi, tenait un "magasin de lutherie" à Nîmes.
Rédigé par : Yves | 09 novembre 2005 à 20:08
Pour Nobody. C'est vrai que derrière Google se cache quelque difficulté à déglutir. Mais derrière lol, il n'y a pas que mdr ("lot of laugh" ou "laughing out loud"), il y a aussi le diminutif d'Apollonie, Lola, et un très beau film de Jacques Demy. Il ne pleut pas toujours sur Nantes !!!
Rédigé par : Yves | 10 novembre 2005 à 12:36
Moi qui suis si paresseux lecteur, je viens de finir L'Epervier de Maheux que j'avais acheté pour faire de la monnaie dans un vide-grenier du Morvan. J'avais oublé à quel point lire peut nous élever.
Merci à Jean Carriere de me l'avoir rappelé.
De passage à la fnac, je n'ai trouvé en poche aucun livre de lui.
Triste non?
Rédigé par : Alexandre | 15 novembre 2005 à 09:04
L’Association des amis de Jean Carrière verra officiellement le jour demain soir, mardi, dans le bureau de Jean Carrière. Bravo à toi, Emmanuel, pour tout le travail de mémoire que tu entreprends autour de ta branche paternelle. Je t'aiderai autant qu'il est possible à retrouver tes racines corses. Je te le promets.
Rédigé par : Angèle | 13 février 2006 à 22:39
Un bien bel hommage à cet écrivain.
Rédigé par : Frontere | 24 avril 2008 à 15:47
Président des Amis de Jean Carrière, je vous remercie d'avoir publié cette information relative à nos activités. La deuxième livraison des Cahiers JC paraîtra en janvier 2009. Elle sera consacrée aux écrits de jeunesse : extraits des carnets et du journal, correspondance avec Jean Giono et divers textes inédits, notamment des pages préparatoires à Retour à Uzès, auxquels s'ajouteront plusieurs témoignages. Mais dès le début décembre prochain, nous ferons paraître, toujours chez Domens à Pézenas, la préface de Jean Carrière à l'édition Famot (1977) du Pavillon des cancéreux d'Alexandre Soljénitsyne. Je vous remercie pour votre attention.
Serge Velay
Rédigé par : serge velay | 08 octobre 2008 à 23:16
Je vous informe que le n°2 des Cahiers Jean Carrière est paru aux éditions Domens (Pèzenas). Cette livraison (280 pages) est consacrée aux Ecrits (inédits) de jeunesse de l'auteur de L'Epervier de Maheux. On y trouve aussi les lettres de JC à Jean Giono, ainsi que plusieurs articles critiques. En préparation: le premier volume des Oeuvres complètes, à paraître début 2010 aux éditions Omnibus, sous la direction de Serge Velay, avec une préface de l'éditeur de Jean Carrière, Jean-Jacques Pauvert.
Rédigé par : serge velay | 13 mars 2009 à 23:13
A l'attention d'Angèle Paoli, de la part de Serge Velay. Comme je vous en ai informée dans un précédent message, le Tome 1 des oeuvres de JC paraîtra en janvier prochain chez Omnibus, préfacé par JJ Pauvert. Outre la présentation générale de l'oeuvre et les notices, je rédige une chronologie. Pourriez-vous me donner des renseignements sur la lignée Paoli ? Sur Toussaint et sur Jeanne (Mémé Paoli, la princesse adorée de Janot), les grands-parents maternels ? Toussaint avait-il été militaire ? Jeanne était-elle née Mouraille ? Que savez-vous sur l'ancêtre Mouraille, communard exilé à Londres, que Jean a évoqué publiquement dans un meeting en 1986? Quelques renseignements là-dessus seraient les bienvenus pour évoquer les lignées Carrière et Paoli, dans la section Enfance de la chronologie. Si vous avez des documents à me communiquer, vous pouvez les envoyer à l'adresse des Cahiers, qui est aussi mon adresse personnelle : 15 bis rue Séguier 30000 Nîmes. Et d'ailleurs, avez-vous les Cahiers 1 et 2 ? Si non, je vous les enverrai volontiers. Quelle est votre adresse postale? Merci d'avance de votre réponse. Bien cordialement. Serge Velay
Rédigé par : Serge Velay | 10 septembre 2009 à 23:11