Né le 4 novembre 1575 à Calvenzano à proximité de Bologne, Guido Reni, souvent appelé Guido ou le Guide, s’est formé dans l’atelier du peintre flamand Denijs Calvaert, puis à l’académie des Carrache, l’Accademia degli Incamminati. Ses œuvres de jeunesse témoignent de son admiration pour Raphaël et, un peu plus tard, pour Caravage. Imprégnée par l’histoire de son temps, son œuvre porte les empreintes de la Contre-Réforme. Ainsi de l’œuvre intitulée Atalante et Hippomène, réalisée par le Guide en 1618-1619.
 Guido Reni
Atalante et Hippomène
1618-1619
Huile sur toile, 206 x 297 cm
Museo nacional del Prado, Madrid
ATALANTE ET HIPPOMÈNE
Il existe deux versions de cette toile, toutes deux autographes. L’une, sans doute la version originale, se trouve au musée du Prado [cf. haut de note] à Madrid et l’autre à Naples, au Museo et Galleria Nazionali di Capodimonte [cf. bas de note]. Le sujet, d’inspiration mythologique, est tiré du livre X des Métamorphoses d’Ovide. L’histoire d’Atalante et Hippomène en est la dernière fable.
Prévenue par un oracle contre le mariage, la jeune Atalante, fille du roi grec Schoenée, s’est vouée au culte d’Artémis. Coursière imbattable, elle décourage les prétendants qui la poursuivent de leurs feux. Survient Hippomène, descendant de Neptune, qui brûle d’amour aussitôt qu’il aperçoit la belle coursière. Il se met au rang des prétendants et, comme eux, s’apprête à défier la jeune fille à la course. S’il l’emporte dans l’épreuve qui va l’opposer à Atalante, il pourra obtenir sa main et convoler avec elle en de justes noces. Mais au cœur de la joute, Hippomène s’essouffle. Il perd du terrain. Il ne peut vaincre la belle. Il implore Vénus de lui venir en aide. Elle lui remet trois pommes d’or (sans doute cueillies par la déesse dans le jardin des Hespérides). Et lui enseigne comment s’en servir. Atalante, finalement vaincue, épouse Hippomène. Ensemble, ils s’adonnent sans réserve à leur flamme. Dans un temple isolé, qui offre un asile propice à leurs fougueuses amours. C’est le temple de Cybèle. La déesse, outragée de leur aveuglement, se venge. Et métamorphose les jeunes époux en lions. Asservis pour jamais au joug de la grande déesse mère.
Tel est le sujet dont Guido Reni s’est inspiré. Pourtant, le peintre a élagué le long récit ovidien pour n’en garder que l’essentiel. Il a consacré toute son énergie et son talent sur un moment particulier de la course. Celui où Hippomène rattrape Atalante pour la seconde fois. Moment central et crucial. Qui ne laisse rien percer des épisodes antérieurs ni des tumultes qui vont suivre.
Davantage qu’à une course athlétique, la scène ressemble à une scène de poursuite ou même de fuite. Scène de « genre », très prisée à l’époque du Guide mais traitée par le peintre de manière originale. Une manière qui implique le spectateur dans une double démarche, méditative et interprétative.
La scène est centrée sur deux personnages. Homme et femme au corps sculptural, peints selon les canons de la beauté antique. Pris chacun dans le mouvement de la course. Et figés l’un et l’autre dans un instantané magistral, un arrêt sur image dont le sens, à première vue, échappe. Tous deux sont à moitié nus. Nudité que soulignent les voiles qui s’enroulent ou se déroulent autour de leur corps.
L’attention du spectateur est attirée par ce qui oppose les jeunes gens l’un à l’autre. Mouvements des corps et des drapés, attitudes, lumières. Le jeune homme, corps tendu et cambré dans un mouvement de recul et de rétention, domine la jeune fille de sa belle et puissante stature d’athlète. Le corps musculeux découpe ses formes au-dessus de l’horizon. La position de la jeune fille, courbée sur elle-même, presque happée vers le sol, s’inscrit, elle, au-dessous de cette ligne d’horizon. Ces positions antagonistes créent un déséquilibre dans la toile. Lui est tout entier tourné vers le ciel; elle, au contraire, est attirée vers le bas. Cet effet de dissymétrie est accentué par le mouvement du drapé, prolongement ailé chez Hippomène. Et préfiguration de quel envol à venir ? Atalante, elle, le corps alourdi par la masse de sa chevelure, le bras droit tendu vers le sol, semble chercher de la main un objet dont elle veut se saisir. Un objet sphérique, identique peut-être à celui qu’elle tient dans le recreux de la paume de sa main gauche. Et cette petite sphère, selon le récit d’Ovide, c’est une pomme. Atalante serait-elle, sous le regard du Guide, une sœur d’Eve ?
Selon Ovide toujours, c’est à Hippomène que l’on doit la présence de ces fruits. Au nombre de trois dans la légende. En effet, pour tenter de vaincre Atalante, Hippomène lance au-devant de la jeune fille les pommes d’or dont Vénus, déesse de Cythère, lui a fait le don. Éblouie par les feux dorés des fruits qui roulent à ses pieds, Atalante ne peut résister au désir de s’en saisir. « Elle se détourne tout en courant et ramasse le fruit d’or roulant sur le sol. » Puis elle reprend sa course et distancie à nouveau Hippomène. Dont on peut supposer qu’il cache encore dans sa main le troisième fruit. Celui dont dépend sa victoire finale sur la jeune fille.
Le moment qui nous est décrit par Guido Reni est donc cet instant précis, extrêmement condensé, où Hippomène gagne du terrain sur sa rivale. Un moment dont l’intensité dramatique est soulignée par l’arrière-plan nocturne devant lequel se joue la course. Les deux personnages, qu’illumine une lumière spectrale, sont pris dans un étrange mouvement, un ballet nocturne, noyé dans la solitude et le silence. Ils sont pris dans une danse qui fait s’entrecroiser leurs jambes. Ensemble ils dessinent un X géant, qui découpe sa forme hallucinée sur la nuit.
Hypnotisé par cette scène mystérieuse et par le savant chassé-croisé qui se joue entre ces deux figures, le spectateur tente de déchiffrer cette toile hiéroglyphique. Et d’en décoder le sens.
Selon Ovide, la scène qui se déroule entre les deux jeunes gens est une scène de désir amoureux. Épris l’un de l’autre, ils s’éprouvent dans une course où leur rivalité est mise à rude épreuve. Guido Reni reprend cette joute amoureuse à son compte et la transpose dans son temps. Un temps inquiet, marqué par les rigueurs de la Contre-Réforme et les méditations sévères qu’elle imprime dans les esprits et dans les cœurs. Dans cette toile, le peintre met l’érotisme en regard avec l’histoire de son époque. L’érotisme qui naît de l’affrontement d’Atalante et d’Hippomène est souligné par les jeux des drapés. Qui s’obstinent malgré leurs envolées, à retomber sur les parties du corps où siège le désir. Comme pour mieux souligner l’inexorable et voluptueuse issue qui attend les jeunes gens. Mais, dans le même temps, Hippomène, par son geste de la main, tente de se tenir à l’écart d’Atalante, de s’en protéger. C’est le geste du « Noli me tangere » que l’on retrouve exprimé dans de nombreux autres tableaux.
Réinterprétée par Guido Reni, la fable d’Ovide prend une dimension inattendue. Derrière la victoire sportive d’Hippomène se profile sa victoire morale sur Atalante. Une victoire ailée qui se lit à travers la position du héros et des différents éléments descriptifs qui l’entourent. Atalante, elle, séduite par les plaisirs terrestres symbolisés par les pommes d’or, court à sa perte. Assujettie aux vanités illusoires de ce monde, Atalante incarne, sous le pinceau du Guide, une nouvelle figure d’Eve, personnification comme elle de la volupté.
La légende ovidienne faisait se rencontrer les amants avant que de leur infliger leur métamorphose. La volupté suggérée par Guido Reni dans cet épisode exclut la suite du récit. Dont l’essentiel se trouve exprimé dans cette joute prénuptiale. Hippomène se refuse à céder aux tentations que représente Atalante. Il refuse de céder à la volupté qu’elle incarne. Non pas que la volupté lui répugne ou lui fasse peur. C’est qu’elle n’est concevable, à l’époque du Concile de Trente, que si elle est contenue à l’intérieur des liens sacrés du mariage. Le mariage avec Atalante n’a pas eu lieu et ne peut avoir lieu. Ce qui se peint derrière la figure d’Atalante, c’est une figure contraire à celle que l’humanisme chrétien de la Contre-Réforme cherche à valoriser. Une icône féminine susceptible d’illustrer dans le même temps mariage et voluptés. Une anti-Eve, en quelque sorte. Capable de concilier ce qui relevait jusqu’alors de l’inconciliable.
Pour Guido Reni, la lointaine fable d’Ovide n’est donc qu’un subtil alibi. Un support fictionnel qui engage tout entière la réflexion du spectateur, bien au-delà du simple récit mythologique. Dans une méditation sur la vanité des plaisirs du monde et sur leur fugacité. Et au-delà encore, un moyen habile et éloquent de faire l’apologie du mariage. Mais aussi des voluptés secrètes et durables qu’il recèle. Voluptas voluptatum et omnia voluptas ? Ou vanitas ?
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
 Guido Reni
Atalante et Hippomène
1618-1619
Huile sur toile, 191 x 264 cm
Museo et Galleria Nazionali di Capodimonte, Napoli
Naples
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Una sensibilissima lettura, giocata su più piani e quindi accattivante, poi sorprendente nelle tue conclusioni !
M'innamorai di questo quadro sul finire degli anni Ottanta a una splendida mostra bolognese e lo rividi al Prado poi nel duemila e sempre quell'incanto dell'istante sospeso a catturarmi, quell'intensità espressa in incroci diagonali che distanziano i due protagonisti anziché legarli; e quel gesto simbolico di allontanamento ah quanto mi colpì allora...
Rédigé par : florit | 04 novembre 2005 à 19:12
Guido, le Guide... _____
Voici un florilège d’œuvres du Guide avec des commentaires intéressants par Insecula .com.
Parmi elles, celle que je préfère est : L'Enlèvement d'Hélène, même si la description qui en faite est fort complexe…
J’ai particulièrement retenu : « Hélène disparaîtra et deviendra, en compagnie de Castor et de Pollux, la protectrice des marins. Elle apparaîtra sous la forme de feux Saint-Elme. »
Voilà de quoi accompagner tous les navigateurs cap-corsins ancêtres d'Angèle vers les Amériques !
Amicizia
Guidu _____
Rédigé par : Guidu | 06 novembre 2005 à 14:34
Merci, Guidu, de mettre mes pas dans ceux de la « Belle Hélène ». Et de me renvoyer à ce superbe tableau de rapt, peint par Guido Reni. Je savais que l’épouse de Ménélas, roi de Sparte, était aussi la soeur des Dioscures. Castor et Pollux, des Gémeaux que j’affectionne, vous le savez. J’ignorais en revanche que, par assimilation aux feux Saint- Elme, les inséparables passaient pour être protecteurs des marins.
Vous dites que vous aimez cette toile. En dépit de sa complexité. La longue digression exclusivement mythologique donnée par le site Insecula n’est en effet pas très éclairante. La légende d’Hélène y est longuement narrée, mais rien ne nous est dit du tableau lui-même ni des interprétations diverses que l’on peut en donner.
Voici donc, très modestement, une piste de lecture :
je crois que là aussi, il faut replacer cette toile dans son contexte historico-religieux, celui de la Contre-Réforme donc. Et voir dans ce tableau d’inspiration apparemment profane, une scène à coloration mystique. Les visages des femmes ont la douceur qui baigne habituellement les figures des Saintes Femmes ou celles de personnages sacrés. Sous le pinceau du Guide, la scène de rapt païen de l’Antiquité, emplie de bruit et de brutalité, est transfigurée. En une scène de procession mariale. Empreinte d’une volupté toute de retenue. Ici, chez le Guide, les délices sont à venir. Ce qui semble être conforme à l’esprit de l’époque dans laquelle baigne le peintre.
Rédigé par : Angèle | 07 novembre 2005 à 14:28
Je cherchais des renseignements sur Atalante et Hippomène de Guido Reni.
C'était mon jour de chance. Je tombe sur votre site. Un commentaire clair, précis, intelligent. Ce qui m'a permis de me promener chez vous ou dans les liens remarquables que vous insérez. Il aurait été malhonnête de ne pas vous écrire pour vous dire l'intérêt et le plaisir que m'a procuré cette (rare) visite. J'y reviendrai, vu sa richesse.
Tous mes remerciements, et si j'ose, ...mes félicitations !
Rédigé par : Henri Wallich | 22 mars 2006 à 15:56
Je suis justement en train d'analyser cette oeuvre. Il y a tant de choses à dire sur elle et tant de traits à faire que j'ai de la difficulté à me comprendre! Elle est vraiment magnifique et il est évident que le peintre y a très pensé avant de la faire.
Rédigé par : Mélissa | 22 octobre 2006 à 04:34
comment Le Guide signait-il ses toiles? Guido? Guido Reni? Reni? GR?
merci de vos appréciations
Cordialement
François
Rédigé par : BASSOT | 09 mars 2010 à 08:45